Quand Un Nouvel Espoir s’ouvre, Luke Skywalker est cet enfant rêvant plus que tout de prendre son envol d’adulte, avec comme point terminal de cette voie lactée qu’il s’apprête alors à emprunter cette figure chimérique de l’adulte qu’il promet de devenir, figure hantée tout au long du métrage par cette image illusoire et idéalisée qu'on lui fait de son Père : Anakin, grand pilote et guerrier Jedi, Héros d’un autre temps. Mais comme souvent dans ce genre de récit où un enfant court vers l’image et l'héritage de son père, Œdipe se révèle ne pas être loin. Pour cause, lors du final tumultueux de l’épisode suivant, Luke tombe littéralement dans le gouffre des désillusions, et nous avec lui : son père est un monstre ténébreux et inhumain, celui-là même qu’il doit combattre, et tuer. C’est un peu ainsi qu’un enfant peut d’un coup se faire adulte en prenant conscience que ses parents peuvent parfois être dans l’erreur, où l’ont été jadis. Le père n’est pas un dieu. Il ne l’a jamais été.


Tel Prométhée le Prévoyant qui chaque jour subissait les souffrances d’un foie inlassablement dévoré par un aigle divin et tortionnaire, Anakin, lui, subit le tourment d’un cœur rongé par les prévisions funestes d’un avenir qu’il ne peut contrôler et de destinées sur lesquelles il n’a pas prise. Et si Luke était au début cet enfant désireux d’être l’égal de son père, Anakin lui est cet enfant sans père, un titan parmi les hommes, qui, à force de constater cette injuste fragilité des mortels face aux malheurs et à la mort, veut être l’égal des Dieux. Et ce, dans le seul but de les en affranchir. Et c’est là qu’il se trompe de chemin, en prenant celui le plus court (le plus rapide, le plus séduisant, disait Yoda), avec la noble volonté, touchante mais forcément tragique, d’acquérir le pouvoir de préserver de la mort les êtres qui lui sont chers, et de les sauver de ses cauchemars prophétiques. Lui qui était un Marcheur du Ciel se retrouve ainsi à arpenter les sentiers obscurs qui bordent les rives du Styx, ses chairs brûlées à jamais enfermées vives dans le sarcophage sinistre qui le maintien en vie. Surement en dépit de son souhait. Son souhait d’en finir.


Son nom est Vador, et cet époustouflant épisode narre sa terrible histoire.


Charnière et conclusion parfaite du geste entier de la guerre des étoiles, cet ultime opus cligne de l’œil à ceux qui ont suivi amoureusement l’affaire depuis les 5 épisodes, depuis ces trente ans, et à moi, depuis mes 7 ans. Fort de cette complicité et de son statut unique de début, suite et fin, il peut alors se permettre de conjuguer avec panache l’action et le drame tantôt au passé-futur, tantôt au futur-passé. Alors pétrifiés par la vision d’un Anakin tordu de douleur hurlant sa haine alors que sa colère le consume, nous savons : il y a dix-sept ans, Anakin renaîtra de ses cendres ; dans vingt-cinq ans, Dark Vador revint dans la lumière. Nous le savons, c’était, et ce sera, dans Le Retour du Jedi.


Et à travers ce canevas mythologique passionnant sur lequel Lucas brode les tapisseries faustiennes de la destinée d’Anakin, le créateur de la saga semble aussi se positionner sur un niveau étonnamment plus intime, posant un regard lucide et légèrement chagriné sur son parcours d’homme et de cinéaste. En 77, tel un Luke songeur devant ce double crépuscule, il était ce jeune cinéaste s’engageant dans une aventure pleine de promesses et de rêves d’indépendance vis-à-vis de la dictature hollywoodienne. 30 ans plus tard, à l’image de Vador sur le pont d’un redoutable croiseur dans les dernières minutes du film, il est cet homme démiurge perclus d'amertume, dont la quête d’indépendance s’est muée progressivement en une solitude bien cloisonnée, désormais perçu comme un traitre à sa propre cause par une frange de ses admirateurs d’autrefois, à la tête d’un Empire de contrôle et de pouvoir, regardant cet astre artificiel et laid se construire, cette Guerre des étoiles qui l’a occupé pendant trente ans. Lucas est le Prométhée d’Hollywood.


Et Sidious, le Malin en ces lieux. Quand il révèle enfin son véritable visage, masque livide de la mort et regard aux éclats perçants de démon, incarnation géniale du cauchemar de Fussli, Iago terrifiant et machiavélique d’une autre galaxie, il enclenche dans le même temps les retrouvailles tant attendues avec la dichotomie du bien et du mal, souterraine dans les deux précédents opus, dans un déchainement des Forces revenant à la fabuleuse mystique de la trilogie originelle.


Spectaculaire au possible, plus que jamais opéra, sombre et lyrique, incroyablement dense – trop peut-être, imparfait, parfois maladroit, La Revanche des Sith clôt, complète et initie tout le cycle Star Wars avec contraste et intensité, suivant le fil simple et efficace d’une narration resserrée au maximum et sur lequel sont enfilées d’anthologiques séquences. L’ouverture vertigineuse sur les percussions martiales de Williams, les ombres qui commencent à se dessiner dans l’alcôve d’un opéra où résonne une chorale lugubre et irréelle, le périple d’Obi-Wan qui hume le bon vieux serial dans sa poursuite du Général Droïde, un Mage noir qui jubile d’un rictus diabolique de se jouer des nacelles de la démocratie, ce duel fratricide au sein d’une Caïne antédiluvienne. Et, aussi, lorsqu’au détour d’une scène muette, primitive et touchante, le film embrasse d'une sublime façon le parfum tragique qui accompagne la tournure que prend l’histoire, quand les deux époux, séparés par un océan de métal, se regardent sans se voir alors que le soleil se couche définitivement sur leur bonheur.


Mon affection pour ce film est immense, elle dépasse le film en lui-même, ses qualités comme ses défauts. Elle est intimement liée à mon parcours, de film en film, depuis tout petit et qui m’a fait grandir en tant que spectateur. Ce film, c’était une promesse, et c’était une très forte émotion que de la voir être tenue d’une si belle façon, avec la poigne au cœur et la gorge nouée d’être le spectateur d’un voile qui se lève enfin sur cette fascinante et ténébreuse icône : de manière aussi inattendue que bouleversante, ce n’était qu’un homme passionné qui voulait donner le feu là où il voyait une froide injustice, et qui finit tragiquement consumé par lui.

Omael
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le 16 juil. 2014

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