J'ai beaucoup d'admiration pour les moines copistes, ces travailleurs infatigables bourrés de talent qui poursuivaient inlassablement une tâche qui n'avait d'ingrate que l'apparence et qui, humblement, à la toute fin, se contentaient de gribouiller quelques lettres de leur nom dans le colophon, laissant le chef d'oeuvre parler par lui-même sans le souiller de leur présence inutile et vaine.


J.J. Abrams n'a bien sûr pas le moindre idée de ce dont je parle. Les références qu'il calque comme un tâcheron bien sage naissent et meurent avec son adolescence à la fin des années soixante-dix et ce qui peut avoir existé avant semble n'avoir aucune importance à ses yeux. En cela, il recopie sans maîtriser plus loin que la surface de son écran prépubère. Là où George Lucas ingurgitait ses propres mythes d'enfance pour recréer quelque chose après, il se contente de recracher dans un remake mal assumé des images dont il n'a compris que l'apparence. Et quiconque chercherait ici la moindre enluminure ou composition un tant soit peu marquante se prépare à une amère déception.
En se contentant de copier avec une certaine habileté besogneuse, il profite de la force du matériau d'origine pour rendre presque digeste l'absence complète et définitive d'idée qui caractérise son dernier film. En sachant éviter les plus gros défauts infâmes de la prélogie, il laisse croire que l'univers de Star Wars est suffisamment riche pour que n'importe quoi de raconté dedans pourrait être accepté avec délice par les spectateurs les plus exigeants. Et le pire c'est qu'il y a du vrai là-dessous, je suis persuadé d'ailleurs qu'une histoire nouvelle narrée par le petit bout de la lorgnette et placée dans cette lointaine, très lointaine galaxie suffirait à mon bonheur. Et tant pis si chaque nouveau vaisseau est un peu raté, si chaque partition autre qu'originale semble faiblarde, tant pis si la coquille est vide, c'est une si jolie coquille.


Malheureusement, Abrams n'est pas un très bon copiste, il refait tout en moins bien, la scène du bar, le petit robot bipeur, l'attaque de la lune déjà refaite de l'attaque de l'étoile, les combats spatiaux, les duels au sabre, le fiston à son papa, les macarons plus le chignon en un seul mélange plutôt indigeste et la gueule gouailleuse et fatiguée de Han Solo.


Malheureusement aussi, Abrams n'a pas eu l'humilité de laisser faire ceux qui savaient. Que ce soit sous la productrice Kathleen Kennedy ou le scénariste Lawrence Kasdan, toujours son nom énorme s'impose comme une réponse évidente à ceux qui se demandaient pourquoi la résurrection de Star Wars n'a pas eu lieu.


Malheureusement enfin, Abrams est incapable de raconter une histoire. Même dans l'immonde prélogie, Lucas laissait voir quelques bribes de ce qu'il essayait de nous raconter entre deux personnages numériques foireux. Ici, rien, que dalle, que nib, le néant. On enfile sans aucun recul les scènes obligées entrecoupées de blagounettes sympathiques et de cris d'auto-congratulation qui le sont beaucoup moins, pas de rythme, pas de pause, pas de temps pour quoi que ce soit. On fait table rase de tout ce qui rendait les films d'origine passionnants comme la temporalité maîtrisée, la logique des voyages intergalactiques, les relations entre les personnages... Le grand vide. la moitié des personnages va en deux secondes d'un point à un autre en sachant exactement où est le reste du monde dans une absence d'enjeux fascinante. L'héroïne maîtrise instantanément la force, l'escrime et prend même quelques secondes pour apprendre à Han Solo comment piloter le Faucon Millenium, c'est dire si tout cela palpite.


Avec ça, elle n'est pas trop mal la petite, bien qu'un poil trop sérieuse, elle a du potentiel, c'est déjà beaucoup.
A un moment je me disais qu'Abrams aurait mieux fait de sacrifier Isaac plutôt que de lui laisser un rôle aussi décousu, mais bon, faut voir ce qu'on se tape à côté, et même si je m'attendais à pire, le boulet à la démarche disgracieuse qui sue beaucoup est quand même embarrassant lorsqu'il se croit apte à effleurer un sabre laser du bout des doigts de son absence de charisme.


Et puis il y a les méchants.


C'est important le méchant, ça doit faire plus de vingt ans qu'il n'y en a pas eu un de regardable dans un blockbuster. Ici, on a le droit à un concentré de tout ce qui s'est fait de plus laid et ridicule dans Prometheus, Harry Potter et le Seigneur des Anneaux réunis, c'est à peu près aussi misérable que dans les Gardiens de la Galaxie, mais ça n'a l'air de déranger plus personne... En plus de ce big boss d'opérette, on a le droit au sous-Dark Vador de service, qui va nous casser les burettes encore longtemps, j'en ai peur, on passe la moitié du film à se demander pourquoi il a une sorte de trompe de fourmilier sur le masque avant de passer l'autre moitié à le supplier de le remettre en lieu et place d'un des plus disgracieux visages que la terre ait jamais porté, avec le jeu d'acteur idoine, le tout semblant sortir tout droit d'un film Z parodique.


Engoncé dans ses maladresses d'héritier auto-proclamé, à jamais incapable de la moindre invention, Abrams ne parvient finalement pas à tuer le père à force de trop vouloir l'imiter sans posséder un millionième de son imagination. Ce dernier s'était pourtant presque suicidé de lui-même en se crashant avec son beau jouet il y a de cela dix ou quinze ans, ça ne devait pas être compliqué de l'achever le pauvre, en plus, on dirait bien qu'il en souffre.


Alors faute de pouvoir achever l'holocauste en bonne et due forme, on pille comme on peut le cadavre qui bouge encore, la carcasse est encore riche de vaisseaux magnifiques, de décors foisonnants, de ferraille lumineuse, et ça marche presque, on étirera encore ça dans deux, trois, dix films peut-être, tout ce qu'on pourra, jusqu'à la lie qu'on le boira ce calice-là, jusqu'à la dernière amertume, tant il reste assez dans une seule goutte du tout premier cru pour dépasser en saveur tout ce qui se fait ailleurs.

Torpenn
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le 17 déc. 2015

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Torpenn

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