Tout ce qu’on demande à J.J. Abrams, c’est de ne pas tout foutre en l’air. Un postulat à la diction simple, aux ramifications infiniment complexes. La trilogie est là pour poser les bases, la prélogie, pour former une encyclopédie des erreurs à éviter. Star Wars VII est attendu. De tous. Reste à savoir de quel côté de la force fléchit le film.


Impossible de manquer le phénomène cinématographique de l’année. Disney s’est assuré que tous les êtres vivants dans cette galaxie et au-delà soient au courant que Star Wars revient au cinéma. Pourtant bien des choses ont changé. George Lucas a passé le relais à J.J Abrams, responsable des Star Trek au cinéma et des séries Lost, Alias et Fringe. Une nouvelle génération d’acteurs est sous les projecteurs et les fans évoluent désormais entre adoration et doute sur la saga, malheureusement ternie par une prélogie moins reluisante que les épisodes originels.


Mais est-il seulement possible de faire un mauvais Star Wars, à l’heure où la création de Lucas est en passe de devenir le produit culturel le plus fédérateur de notre temps ? En théorie, la réponse est non. Dans les faits, les risques sont multiples. La déception, la frustration, l’antipathie, les moqueries. Elles engendrent la colère, la haine, la souffrance. Vous connaissez la rengaine. Pourtant, les dernières aventures de la Force naviguent avec grâce dans les eaux troubles de la méfiance. Mieux : Star Wars VII est un excellent cru.



Une affaire de famille et d’héritage



Une communion. Voilà en substance à quoi ont assisté tous les fans qui s’étaient levés tôt pour participer à la première mondiale de Star Wars VII : Le Réveil de la Force. 30 ans après Le Retour du Jedi, le Premier Ordre est né des cendres de l’Empire déchu par Luke Skywalker et la rébellion de Leia Organa. Dernier Jedi, cible prioritaire pour Kylo Ren et ses sbires, Luke s’est exilé afin de protéger les siens. Les repères sont solides, et la narration notre tuteur durant tout le métrage.


De tous les instants, le spectateur est pris par la main, accompagné dans cette (re)découverte de l’univers qu’il a appris à aimer grâce à six films cultes. Le désert de Jakku comme ersatz de Tattoine, l’aventure de nos nouveaux héros Rey (Daisy Ridley), Finn (John Boyega) et Poe Dameron (Oscar Isaac) débute le nez dans le sable. J.J Abrams déterre les reliques avec le soin d’un archéologue passionné. Un respect de tous les instants, une démonstration qui ne se force jamais. Servi par une technique clinquante, le film d’Abrams parvient avec brio à se détacher de l’oeuvre originelle, à se forger une propre identité.


Impeccable, le rythme est quasi-parfait lors d’un premier tiers didactique sans jamais sombrer dans la complaisance. Plutôt que par les mots ou par une mythologie forcée, ce sont par les actes que Rey et Finn se distinguent premièrement. Efficace et surtout cohérent dans le scénario, tant les deux nouveaux venus sont à l’image du spectateur : désireux de découvrir un monde qu’ils peuplent tout en redécouvrant leurs mythes.


Une nouvelle ère de Star Wars se profile. Si le scénario ancre profondément ses racines dans la diégèse que George Lucas a créée, la réalisation sent le neuf, le propre, et le moderne. Le nouveau maître à bord fait passer les réalisations de George Lucas pour des brouillons. Dynamique, l’image accompagne chaque mouvement, sursaute à chaque impact de blaster. Autant dire que la Force est bien éveillée. La 3D est elle aussi impeccable, jamais intrusive, jamais prise de tête, toujours agrémentant l’immersion d’un doux coup de pouce.



La guerre, c’est pour tout le monde



Elles sont reléguées au passé, les frasques enfantines de la prélogie. Ici, J.J. Abrams soigne les relations entre les personnages. Elles sont forcément fraternelles, paternelles, maternelles. Chacune est dirigée par un mantra simple. Le bien et le mal, la loyauté ou la trahison, l’acceptation ou l’abandon. Star Wars est une mythologie fondée sur la dichotomie, la bipolarité, le manichéisme. Conscient de ces codes, Abrams met un point d’honneur à relever les défis unilatéraux qui ont bercé tant de générations de fans de science-fiction et de grand divertissement.


Le bon samaritain démuni devient le héros en charge du destin du monde, frappé par la fatalité de sa condition, sans jamais en occulter totalement sa descendance royale. Au delà d’une figure répétée, et pas seulement dans les Star Wars, Le Réveil de la force se complaît à mettre en scène l’adaptation, la transformation subie et subite de ses personnages, dans cette parabole de l’adolescence, définition du monde en même temps que de soi. « Seul un Sith résonne en absolus », déclare Yoda. Voilà donc le parti de la rationalité entamé par Star Wars 7. De la relativité.


Une tactique qui paie, puisqu’elle permet d’explorer une profondeur insoupçonnée. Pas seulement de la part de personnages ni de leurs héritages, mais bien de camps tout entiers. Ces guerres de l’étoile ne sont plus circonscriptibles aux héros et à leurs forces armées présentes pour illustrer la chair de la guerre, mais bien à l’ensemble de la galaxie. Tous, du dernier pilote de X-Wing au premier régiment de stormtroopers, ont leur part à jouer. Désignés par un simple matricule, la chair à canon du Premier Ordre dispose désormais d’un visage. Une donnée qui ravira un public enclin, plus que tout autre peut être, à l’imprégnation et à l’identification.



Le cycle réhaussé



Lawrence Kasdan, scénariste de l’Empire Contre-Attaque et du Retour du Jedi signe ici un épisode palpitant. En multipliant les personnages clés, en faisant évoluer son récit dans une mythologie forte, que les personnages découvrent avec émerveillement, l’histoire du Réveil de la Force s’imbrique à la perfection dans le grand ensemble initié en 1977.


On en parlait plus haut, la première partie du film tient de la perfection cinématographique. Mutique, la pillarde Rey dévoile plus de sa personnalité en fixant les étoiles adossée à un TB-TT qu’en s’exprimant de vive voix. Une narration millimétrée, qui s’accélère nettement dans sa deuxième partie, riche en révélations. Si certains pourront s’exaspérer du « déjà-vu » des enjeux de la Rébellion, ce serait oublier bien vite que dans la galaxie de Star Wars, tout est cyclique.


Impossible de tout changer, de redéfinir dans sa totalité une saga qui a des ancrages forts dans la culture populaire. Peu importe, ça fonctionne, avec une fluidité terrifiante. Comme cette scène, pensée pour devenir culte, où Han Solo s’avance face caméra pour déclarer à son fidèle acolyte poilu « Chewie, on est à la maison ». Harrison Ford est impeccable, pour la simple et bonne raison que l’acteur, gentiment aigri, lunaire et grognon, a vieilli comme son alter ego contrebandier. Un régal, à mettre en parallèle à une Carrie Fisher parfaite en vieille sage d’expérience, porteuse d’espoir et commandante en chef des Rebelles.


« Juste » un nouveau Star Wars ? Certainement pas. Une nouvelle direction, un nouveau voyage. Les bagages sont les mêmes qu’il y a 10 ans, mais les passagers ont de bien belles choses à nous raconter. J.J Abrams corrige les errances, souligne des détails qui n’en sont plus, apporte une voix à ceux que l’on pensait faire partie du décor. Car oui, l’une des plus belles idées de Star Wars VII : Le Réveil de la Force, c’est bien d’offrir une identité, un background et une profondeur qui reste encore à creuser, ce, dans de nombreuses directions. La porte est en tout cas ouverte.


Chié, il ne s'est pas, J.J. Abrams. Alors que tous, du geek le plus crasse à une Madame Michu désireuse que son gosse se taise enfin pour 2h15 dans la journée étaient prêts à lui tomber dessus, le voilà qui se sort à merveille d'un Star Wars : Le Réveil de la Force qui ne nous laisse aucune occasion de rouler des yeux ou de soupirer. Elle est là, la vraie grande folie de Star Wars 7 : avoir réussi à concilier l’exigence multi-générationnelle des fans du monde entier et la facilité de lecture d'un divertissement à valeur universelle. Ni plus, ni moins. On y fonce en vitesse-lumière.


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le 16 déc. 2015

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