La postlogie n'a rien inventé en matière de heurts culturels et de débats houleux. La prélogie avait eu son lot de dissidents et pour en revenir en des temps plus anciens, les puristes soixante-huitards de la trilogie originale conspuaient déjà Le Retour du Jedi pour son Han solo périphérique à l'histoire, ses ewoks et sa galerie de muppets. Chemin faisant entre réhabilitation de certains segments par un renouvellement des générations et refuge d'une époque révolue pour les anciens, Star Wars est devenu LA PROPRIÉTÉ des fans hardcore dont le temps libre consiste à emplir les ellipses entre chaque volet tout en ayant une idée très précise des habilités physiques et psychologiques de chaque protagoniste. "Les légitimes" comme certains les désignent, puisent tant qu'ils peuvent dans leur propre coffre à jouets en fantasmant un univers cinématographique étendu. Une radicalisation culturelle qui recouperait presque la conversation tenue entre Francis Ford Coppola et son ami George Lucas à propos de la popularité de l'œuvre et la proposition ironique d'en faire une religion. L'identité de Star Wars étant de son côté écartelée rendant la marge de manœuvre extrêmement difficile pour les créatifs et les ayants droit.


Avec un tel pedigree, le futur Réveil de la force entame bien difficilement sa production auprès de la fanbase surtout que Disney ne fait pas appel au papa de la saga comme consultant. La souris connote davantage Wall street plutôt qu'un atelier d'ébénistes auprès des admirateurs de Lucas. Pourtant, en contrepoint d'un premier départ de feu lié à l'image dévastatrice de la multinationale, les annonces de JJ ABRAMS à la réalisation et Kathleen Kennedy à la production renforcent l'idée d'un projet solide. Sur le papier sont conviés Lawrence Kasdan, plume affûtée des Aventuriers de L'arche perdue, L'empire contre attaque et justement...Abrams dont la dette créative passe essentiellement par la team Lucas/Spielberg. Lorsque sort en décembre 2015 le Réveil de la Force, critiques et spectateurs s'accordent à dire qu'il s'agit d'un excellent retour de la franchise mais au loin les premiers grondements sourds de la révolte se font entendre. L'épisode 7 serait un vulgaire succédané d'Un Nouvel espoir. Un second départ de feu qui va rapidement se propager en un gigantesque brasier culturel avec un second volet axé sur la dépression et l'ecornement du mythe.


Au grand désespoir de beaucoup, Le Réveil de la Force mime les grands axes d'écriture et reprend certains symboles de son ainé. Le Premier Ordre remplace L'Empire, Starkiller devient la Nouvelle Étoile de la Mort et Rey marche dans les pas de Luke. Max von Sidow dans un rôle moins emblématique qu'Alec Guiness et Peter Cushing assure la caution classique des grands comédiens des années cinquante et soixante. Avec une telle charpente scénaristique, le réflexe serait de s'étendre sur l'analyse du soft reboot/sequel un poil paresseux. Seulement, même si la structure joue un air bien connu, l'épisode 7 délivre déjà en filigrane un cassage de codes et de règles de la trilogie originale assimilées par tant de spectateurs depuis Le Retour du Jedi. Ce n'est finalement pas un hasard si le Star Wars de 1977 est choisi pour enclencher cette nouvelle salve de films. Que l'on préfère L'Empire contre attaque ou La Revanche des Siths pour leur sensationnalisme, l'original reste le segment le plus structuré et celui qui s'affranchit du bouillon de culture dressé par Lucas. Derrière le grand écart référentiel - Jack Kirby, Akira Kurosawa et le Serial Flash Gordon - se joue la jeunesse d'un pilote perdu au milieu de trois figures paternelles. Toutes les questions sont ainsi posées sur l'émancipation et les choix que constitueront la perte de l'innocence, le deuil et l'entrée dans la vie d'adulte, sujets maintes fois abordés par Le Nouvel Hollywood. Néanmoins, le travail de fond du Réveil de la force n'est en rien le désir de refléter son époque. S'il épouse l'armature du volet 4, ses intentions se portent sur ce que la plupart des cinéastes n'ont plus à l'esprit, la notion de point de vue unique d'un personnage. Abrams et Kasdan confient leur film au spectateur. Cet acte de l'identification absolue se déroule à travers les yeux d'un Stormtrooper, chair à canon du Premier Ordre et incarnation du soldat inconnu. Sous le casque, un traumatisme, une trace de sang sur la visière puis la découverte d'un visage humain presque familier. FN - 2187 devient FIN (John Boyega) le regard à 180° du spectateur. Un humain lambda à peine plus entraîné que la moyenne au cœur d'un monde sans foi ni loi. Son introduction est à l'image d'un roman ou la première personne permet l'identification immédiate. Abrams n'amoindrira jamais la force de ce personnage unique en posant la question suivante : Sans aucune habilité (ou si peu) comment faire face à tant de figures mythologiques ? Un simple humain peut-il être le pivot au milieu des belligérants ?


FIN se dégage du héros traditionnel doté de talents pour s'orienter vers les thématiques purement Spielbergienne de l'être moyen confronté à l'extraordinaire. Dans une franchise comme Star Wars, c'est l'occasion de détourner adroitement les codes pour, à nouveau, relancer l'action et de nouveaux enjeux. George Lucas admirateur de Kurosawa contait Un Nouvel Espoir à la manière de La Forteresse cachée par le truchement de robots protocolaires, eux-mêmes les incarnations de deux paysans Japonais. L'identification fonctionne mais elle inclue de ne jamais prendre part à l'action et de faire montre d'un dépassement de soi. Humour de circonstance oblige. À l'inverse Fin ne prend aucune distance avec le spectateur. Au fil de la narration l'ex-Stormtrooper hésite à prendre sa place aux côtés de la Résistance, tente une fuite en avant, manque de tact face à Han Solo et exprime difficilement ses sentiments à Rey dont la puissance ne fait qu'augmenter. Au coeur du personnage il y a un réel sentiment d'infériorité qui ne cesse d'être compensé par des actes héroïques timides qui ressemblent plus à des actes manqués. Le défilé des Mano a mano perdus exprime l'écart entre l'homme simple et les extraordinaires capacités des êtres de la galaxie Star Wars. Porter un sabre laser et affronter des soldats du Premier Ordre n'en fera pas un Jedi. Outre les interrogations que se posent les spectateurs sur l'éventuelle acquisition de la Force par un tel personnage, FIN ne verra jamais son destin basculer dans la performance physique et l'élévation spirituelle. Il restera cette bonne âme téméraire loin de toute méritocratie dont l'écriture habituelle du Blockbuster est encore adepte. FIN est un catalyseur mais est aussi le premier révélateur d'une saga tentant l'exercice complexe de l'émancipation d'un ordre hiérarchique imposé par George Lucas autour de ses six premiers films. Dans sa configuration première, Star Wars dispose de ses personnages à la manière d'un échiquier : Les forces de chacun sont respectées avec minutie pour une cohérence parfaite. En d'autres termes une pyramide qui verrait en son sommet l'acquisition du pouvoir mental et physique. Le socle serait attribué aux créatures fonctionnelles susceptibles de servir.


L'ordre établit aurait donc tendance à s'inverser devant la caméra d**'Abrams** qui de manière moins abrupte que son homologue Rian Johnson jongle avec la mythologie. Rey fonctionne en miroir avec Luke avec plus de sensibilité à la Force mais une noblesse et une spiritualité moins ancrées dans l'Ordre des Chevaliers Jedi. De son côté, Kylo Ren reste figé dans le souhait de la filiation de Vader. Un désir de puissance jamais assouvi et la confirmation d'un être doué vivant dans la frustration de n'être qu'une pâle copie dans un casque creux.


Le Réveil de la Force ne duplique jamais les personnages d'Un Nouvel Espoir. Au contraire, il les fuit afin de modeler ses propres croyances dans le mythe. Les derniers Jedi abandonnera rapidement le point de vue et dévitalisera FIN de son intérêt pour se concentrer sur la figure de Luke. Abrams élève les quidams, Johnson fragilise les légendes. Une relecture passionnante d'une postlogie en trompe l'oeil fracassée en bout de course par le cynisme et la perte de foi de ses exécutifs.

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le 19 juin 2022

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