Liberté retrouvée


Lorsque le premier plan de "The Canyons" fait son apparition, l'image d'un cinéma ravagé par le temps couvre l'espace dans son intégralité. "The Canyons" est l'oeuvre la plus représentative du Schrader contemporain. Le Cinéma est mort. Du moins, cette forme d'Art telle que l'ont connu "Les cadres" du Nouvel Hollywood. Schrader, bâtisseur de cathédrales scénaristiques et d'espaces de liberté pour Scorsese, Pollack et De Palma apostasie tout en rassemblant ses derniers efforts dans des projets personnels aux budgets ridicules. Une foi artistique ébranlée par les multiples batailles souvent perdues face à la caricature rigide du producteur omnipotent.


"First Reformed" dans la langue de Shakespeare est une résurrection artistique pour l'auteur de "Taxi Driver". Un retour parmi les vivants et une profession de foi aussi solide qu'une croisée d'ogives. Un film sobre doté d'un ratio 4:3 qui dénote l'humilité d'un artiste franchissant à nouveau le parvis de l'église. Pétrie de références (Bresson, Tarkovski), cette charpente religieuse, jamais prosélyte se couvre d'un manteau d'appréhension mais aussi d'espoir. Schrader raconte et se raconte à travers le Révérend Toller, un Pasteur qui ne reconnait plus le monde dans lequel il vit.


Toller, ex Aumônier dans l'Armée traîne avec lui un passé chargé de pertes familiales. Une douleur vivace et toujours présente qui a des allures de chemin de croix. Malgré le deuil d'un enfant, et la séparation, Toller ne déviera jamais de ses engagements religieux. Pourtant, il suffira de quelques stimuli malvenus pour éveiller une poignée de sentiments contraires mais aussi de questions. Sans sous textes aucuns, "First reformed" révèle sa vraie nature au travers de dialogues brutes mettant en avant les activistes écolos pactisant avec la violence dans le but d'éradiquer les industriels pollueurs mais aussi l'absence de contact humain incarné par le tout numérique. En d'autres termes, l'avancée technologique utilisée à mauvais escient. Mais un monde en proie aux diverses mutations et au pragmatisme accorde-t-il encore une légitimité aux hommes d'église, gardiens de la sagesse ?


Le Christ moderne


Paul Schrader ne fait pas figure de scribouillard tiède. L'homme est amateur de conflits et c'est surtout à travers le Septième Art qu'il s'est accompli. C'est sous sa plume que l'élévation sportive par la douleur de La Motta trouvera grâce dans "Raging Bull". Il fait aussi de Jésus un homme pétri de questions dans "La Dernière tentation du Christ" s'attirant au passage les foudres de traditionalistes Chrétiens. Le questionnement religieux, ennemi des écrits puisque n'appliquant pas à la lettre ce qui est couché sur papier est la force intellectuelle de Schrader. Les dernières décennies ont permis à l'artiste de trouver un encodeur parfait devant l'objectif de Scorsese, l'homme parachève en solo son monument avec ce dernier essai en forme de "What if". "Et si" Toller était une résurrection moderne du Christ ? Libre à chacun d'y voir le capitalisme envahissant tenu par les Pharisiens prendre corps et incarné aujourd'hui par des multinationales finançant en sous main le culte religieux. Libre à chacun de constater que l'ère moderne abrite sa flopée de judas, d'Apôtres dissidents et d'icônes sacrifiées par les épines qui bouffent les chairs avant de s'éparpiller à coup de charge de plastique. A moins que le souffle de l'explosion ne s'efface au profit du baiser rédempteur de Marie Madeleine.


En 2018, la réponse de Schrader se fait moins tonitruante que dans «Taxi Driver». Point de rédempteur comme Travis Bickle pour purifier une faune de vendus et de dépravés. Pas d'ambulancier pour panser les plaies et faire du social comme Frank Pierce dans «A tombeau ouvert». Juste un homme en soutane au constat de la fin d'une civilisation. Ce qui aurait pu tourner au discours d'un vieux con se révèle être un témoignage furieusement actuel avec au bout du calvaire...une once d'espoir.

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le 22 mars 2019

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