Avant d’être le film d’un cinéaste et d’une distribution cinq étoiles, The Big Short : Le Casse du siècle est avant tout le film d’un auteur : Michael Lewis. Il est à l’origine du roman The Big Short : Inside the Doomsday Machine (édité chez Sonatine sous le nom Le Casse du siècle) dont la parution en pleine crise économique lui a permis de truster pendant 28 semaines la liste des best-sellers du New York Times. Cet auteur remarquable est reconnu pour être également derrière les adaptations ovationnées qu’ont été Le Stratège (six nominations aux Oscars) et The Blind Side (Oscar de la Meilleure Actrice pour Sandra Bullock). Connu outre-Atlantique pour ses récits et analyses économiques, Michael Lewis est rapidement devenu la coqueluche du cinéma hollywoodien tant chacun de ses ouvrages adaptés a été acclamé par le public et la profession. Ce n’est pas un hasard si Brad Pitt, qui tenait le premier rôle dans Le Stratège, a financé The Big Short via sa société de production, Plan B. A la tête de ce film, affublé d’un titre français qui renvoie au titre de l’ouvrage paru dans l’hexagone, on retrouve Adam McKay. Si ce nom vous échappe, les amateurs de comédies barrées américaines ne peuvent ignorer son existence tant il est perçu comme l’un des grands manitous de la comédie US avec Judd Appatow, ce dernier l’ayant produit à ses débuts. On lui doit notamment les succès de Very Bad Cops, Frangins malgré eux, Ricky Bobby : roi du circuit ou Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy. Le retrouver à la tête d’un scénario économique complexe et -paradoxalement- décomplexé pourrait sembler surprenant. Mais Adam McKay a tenu à être de la partie, acceptant même de donner une suite à Ron Burgundy (Légendes Vivantes) pour que la Paramount lance le feu vert et lui laisse la réalisation. Il faut dire que le succès critique et commercial du Loup de Wall Street a donné des idées aux pontes du studio. Alors revenir sur l’histoire vraie d’investisseurs illuminés qui ont parié sur la crise plutôt que tenter de l’en empêcher, c’est un matériau forcément idéal pour le cinéma tant il dévoile le cynisme et l’ironie du monde impitoyable de la finance.


Ce casse du siècle, il est orchestré par trois groupes d’investisseurs qui indépendamment vont miser sur la chute du marché immobilier et ce qu’ils prévoient comme la chute du Capitalisme. Aux motivations diverses (gloire, argent, vérité), ces insensés regardent les événements se déroulant devant leurs yeux avides de certitude jusqu’à ce que l’improbable se produise, pour leur plus grand plaisir de donner tort à tout le monde. Car à l’époque, leurs prédictions ont été moquées par toute la profession. Ils ont été la risée des conférences et ont dû batailler pour convaincre leur hiérarchie qu’ils étaient dans la raison la plus totale. Mais en même temps que ces salariés répondent à une quête de la rentabilité, ils parient néanmoins sur une situation économique mondiale inédite qui les touchera directement : la chute de tout un système qui entraînera avec eux des populations dont le seul tort aura été d’avoir fait confiance à ceux qui manipulent l’argent. Les conséquences sont ce qu’elles sont : Crise économique de 2008, des millions de personnes à la rue, du chômage, la crise en Grèce, en Espagne, etc. Et nous, spectateurs, on assiste à ce petit théâtre cynique qui se joue dans les hautes tours de Wall Street. Adam McKay ne nous épargne pas la complexité des discussions économiques et l’enjeu capital de toutes ces transactions. Mais il trouve la formule adéquate pour expliciter les situations : il brise le quatrième Mur. A plusieurs reprises, Ryan Gosling s’exprime à la caméra tout comme certaines célébrités (un analyste financier ou plus surprenant une plantureuse actrice, un cuisinier gastronomique ou une chanteuse pop) viennent proposer une explication ou une métaphore d’une opération financière difficilement compréhensible pour des non-initiés. Ainsi on assiste à un Ryan Gosling évoquant sa cool-attitude et la vanité du milieu dans lequel il évolue, ou bien une Margot Robbie jouant son propre rôle et proposant sa définition du mot «subprimes» dans une baignoire, tandis que Selena Gomez illustre un investissement risqué à travers une partie de blackjack. Il s’agit de moments qui servent à dynamiser l’intrigue tout en apportant une dose d’humour que l’on retrouve tout le long du film, sans qu’il soit trop pesant laissant une saveur autant dramatique que comique au film.


Cet humour est surtout porté par un casting qui ne semble s’être jamais aussi lâché sur ce tournage tant chacun apporte à sa manière une folie euphorisante. Habitué aux rôles mutiques, Ryan Gosling n’a jamais autant débité de lignes de dialogues dans ce rôle d’un beau-gosse visionnaire et sûr de lui où il témoigne d’un humour salvateur, qu’on lui connaissait déjà dans la comédie Crazy, Stupid, Love. Dans ce dernier, il avait déjà donné la réplique à Steve Carrell qu’il retrouve ici. Après Foxcatcher, Steve Carrell continue d’interpréter des rôles forts, proches de clowns tristes. Il incarne Mark Baum, un responsable d’investissements qui surmonte difficilement le suicide de son frère et ne supporte plus l’univers dans lequel il est employé. Sa seule motivation est de prouver au monde que ce petit jeu de la finance est une bombe à retardement et que le temps est bientôt imparti. Seule la future réjouissance de montrer au monde entier la stupidité de ces sans-scrupules l’excite dans la vie. Christian Bale offre une partition étonnante de Michael Burry, un docteur réorienté, présomptueux sympathique, désinvolte et qui découvre tous les rouages de ce qui va amener l’économie mondiale à sa perte. Après 12 Years a Slave, Brad Pitt se donne à nouveau le bon rôle dans un film qu’il produit puisqu’il interprète un ancien trader repenti, épuisé par ce monde cynique et sordide. Dans un ultime échange, il délivrera la morale du film lorsque les fous célébreront leur victoire. Ce n’est pas tant un reproche puisqu’il incarne avec tout le sérieux et la maturité qu’on lui connaît ce personnage sage et déterminé. On pourra reprocher l’absence de rôles féminins forts, Melissa Leo et Marisa Tomei étant brièvement présentes dans l’intrigue ou à la tête de rôles faibles (la bonne épouse pour la seconde). Etonnant de la part d’un cinéaste qui s’était justement évertuer à revendiquer le machisme du milieu de la télévision dans Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy et revaloriser la femme dans le monde journalistique. Non pas que Adam McKay ne leur accorde pas d’importance ici, car on peut également voir ce choix comme une manière d’accentuer la stupidité de ce qui s’est passé dans les hautes sphères financières dominés par un monde de mâles. C’est donc un casting absolument dément qui porte ce film et dont l’interprétation collective mériterait une récompense pour l’ensemble de cette distribution.


Adam McKay livre donc un film aux antipodes de ce que l’on aurait pu en attendre. Chaque séquence fourmille d’idées décapantes qui témoignent de l’absurdité de ce qui se passe dans les bureaux de Wall Street : soit une économie mondiale entre les mains de moutons aveuglés se dirigeant droit dans la gueule du loup. Rien de nouveau sous le soleil donc mais la représentation que donne Adam McKay du monde de la finance trouve le juste équilibre, entre une jeunesse de golden boys matérialistes et immoraux et la génération précédente qui travaille avec certains codes moraux ancrés, mais soumis à la loi du marché. Tout en livrant son film le plus profond, le cinéaste ne s’émancipe jamais de son esprit barré et les dialogues percutants du film peuvent en témoigner. Cette vivacité des dialogues permet de donner au film un rythme survitaminé dont la succession d’images parfois épileptiques est d’une véritable réjouissance. Sans compter que le film semble parfois jouer à la frontière du documentaire et de la fiction. Entrecoupant son action d’images d’archives ou simplement d’illustrations (souvent décalées), le cinéaste montre le déroulement des événements de manière fictive et les conséquences de manière réelle et figée. Ce parti-pris témoigne d’un choix artistique pertinent tant il offre un parallèle bouleversant entre l’exultation des conférences financières à Las Vegas et la misère des nouveaux expulsés. C’est tout ce décalage, que l’on retrouve dans la bande-son composée de quelques morceaux de métal, qui participe à l’étonnante partition d’un film décapant et corrosif.


Avec ce casting des plus prestigieux, The Big Short est un outsider improbable dans la course aux Oscars. C’est tout ce que l’on souhaite à ce film qui a su traiter de l’épineux problème de la crise économique dans un pays qui n’a pas encore surmonter ses erreurs passés et qui continue pourtant à commettre les mêmes. La fin dans ce sens est d’une ironie sans nom et laisse le constat palpable d’acteurs de l’économie qui ne savent plus s’arrêter. De la maîtrise de sa mise en scène à la maestria des dialogues et la profondeur de son propos, The Big Short – Le Casse du Siècle est autant un divertissement rythmé qu’un film nécessaire, insolent et dopé à l’ironie. Magistral.


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Softon
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le 27 nov. 2015

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Kévin List

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