... et ça sera (partiellement) mérité.


Lars von Trier avait pourtant un sujet en or : un serial killer autiste maladivement maniaque de l'ordre et de la propreté, voilà qui avait le potentiel d'une farce gore assez jubilatoire. Les deux premiers "chapitres" exploitent d'ailleurs assez bien le comique sombre et violent de l'histoire et laissent présager, esthétique solide à l'appui, une intéressante et auteurisante proposition décalée du film de psychopathe.


Mais von Trier est incapable de se limiter à se la jouer Tarantino. Son égo le déborde : il faut qu'il se cite (via des extraits de sa propre filmographie), et surtout il faut qu'il montre qu'il pense et que cela s'entende. Alors son personnage ergote, multiplie les réflexions pseudo philosophiques, graphismes explicatifs à l'appui, sur la nature humaine, la beauté, l'art... Overdose d'une voix off qui se prend très au sérieux pour pas grand chose, qui se répète, qui crée un rythme rapidement lassant de redondances, écrasé par un montage qui joue aussi la carte de la redite, le tout étirant le film sur une éprouvante durée de plus de 2h30.


Jusqu'à tomber dans le franchement insupportable. Dans la salle, des spectateurs par paquets de dix se sont barrés, la plupart choqués par l'ultra violence puérile des nombreuses scènes de meurtres, d'autres sans doute juste par ennui, le film mettant sérieusement à l'épreuve une capacité de résistance - au jeu de massacre sadique, à la branlette intellectuelle, au spectacle d'un manège mauvais qui s'amuse à tourner en rond jusqu'à l’écœurement.


Là où moi j'ai tiqué, c'est ce moment où von Trier, à travers la voix de Matt Dillon, se met à délirer sur la beauté du chaos absolu, poétisant Birkenau, évoquant rêveusement Albert Speer et s'interrogeant sur la grâce qui naîtrait de l'horreur des dictatures, images de charniers à l'appui. Alors que jusque là je trouvais le temps long et que je m'amusais des réactions choquées des spectatrices autour de moi face aux scènes de meurtres et de tortures, j'ai presque sursauté, remuant de malaise sur mon siège en me disant que le mec venait de franchir la frontière du franchement dégueulasse, moralement parlant, et que ce passage là était, pour le coup, objectivement abjecte, sur le fond comme sur la forme. Surtout lorsque l'on se souvient qu'à Cannes en 2011, il a dit son admiration pour l'architecte du IIIème Reich et exprimé son empathie pour Hitler. Si l'auteur est douteux, alors une séquence qui pourrait seulement l'être tombe dans l'inacceptable.


La descente aux enfers finale constitue sans doute le mouvement du film le plus maîtrisé : retrouvant le mystique prétentieux qui lui sied le mieux, von Trier y développe une esthétique hypnotisante (qui n'est pas exempte de quelques plans très kitschs) et une langueur qui trouve enfin sa justification.
Dommage toutefois qu'il balance son générique avec un tonitruant "Hit the road, Jack", crâneur rappel de l'aspect intrinsèquement gaguesque d'une entreprise volontiers misogyne (le tueur privilégie le massacre d'insupportables idiotes), qui fait fi de toute cohérence (le serial killer, pourtant maniaque, n'obéit à aucun mode opératoire, changeant sans cesse de type de victime et de façon de les tuer) et qui s'embourbe dans des logorrhées au mieux vaines et pénibles, au pire insupportables dans ce qu'elles évoquent.
Il existe pourtant un morceau de Metallica s'appelant "The house Jack built"...

AlexandreAgnes
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le 5 juil. 2018

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Alex

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