Adversité, confrontation, domination, soumission, chaque parcelle de The Master s’annonce comme la dissection clinique de la notion même du couple, qu’il soit façonné par l’amour, la complicité intellectuelle ou bien la souffrance. Quoi de plus naturel alors qu’un duel au sommet, le combat mental que se livrent deux acteurs ayant déjà prouvé, à maintes reprises, leurs capacités à faire corps avec leurs personnages, pour illustrer les différentes facettes de cette caractéristique complexe chère à l’être humain : cette connexion parfois presque mystique qu’il peut partager avec l’un de ses semblables.


Paul Thomas Anderson prend le temps d’aller au bout de son sujet en illustrant son propos dans les moindres détails. Des origines du mal-être partagé par ses deux protagonistes à leurs relations amoureuses particulières —le premier fuit un bonheur potentiel, l’autre choisit de la rationnaliser à l’extrême, quitte à l’épurer de toute passion—, un chemin de vie se dessine, l’occasion d’écorner, au passage, quelques facettes peu reluisantes d’une Amérique controversée.


Où comment pointer du doigt, tout en développant un sujet bien plus universel, l’emprise que peut avoir un esprit sournois sur l’autre lorsque ce dernier ne s’accroche plus qu’à l’infime espoir d’expliquer sa condition : une vie qui peine à faire sens parce qu’elle se résume à un travail étouffant, une routine tenace ou des échos d’une guerre lointaine qui suce la vitalité d’amis, connaissances, amants, envoyés au front.
Une mise en situation de l’esprit sectaire poussé à son paroxysme, entre violence psychique et art de la manipulation, certaines scènes font froid dans le dos, à l’image des techniques quasiment militaires qui inspirent les examens d’entrée, première phase de vampirisation des futurs membres de la « famille ».


Philip Seymour Hoffman, Joaquin Phoenix et Amy Adams servent les trois forces majeures qui permettent à PTA d’énoncer, de manière très didactique, cette notion de domination mentale. Si les deux premiers s’échangent tour à tour le masque de dominant, Amy Adams semble être sans égal. Choix particulièrement intéressant que de faire de ce personnage tapis dans l’ombre l’incarnation de la vraie menace : la certitude du bien fondé de ses agissements est tellement forte qu’il n’est jamais question de se remettre cause. D’attitude égale, avec les pauvres bougres qui peuplent son espace immédiat comme avec les élus de sa sphère intime, faussement attentionnée mais férocement autoritaire, son personnage fait frissonner.


Dommage que ce contexte particulièrement inspiré finisse par piétiner dans le dernier acte. Si PTA réussit à introduire efficacement ses personnages et à mettre en exergue leurs différentes fonctions, il peine un peu plus à les mouvoir une fois levés les mystères qui les entourent. Et ce, même si la fin parvient à surprendre parce qu’elle déjoue la plupart des pronostics nés lors d’une première heure particulièrement noire.


Hermétique, peu flatteur, parfois radical, The Master est un film complexe et délicat à appréhender. Son rythme lancinant fait, certes, la part belle à ses personnages importants, mais ces derniers y évoluent sans réelle aisance. Ils se contentent d’être là, de remplir leurs fonctions, d’habiter les belles images composées par leur metteur en scène. Un voyage intéressant mais aussi frustrant : si l’on comprend les intentions qui l’ont provoqué, il est par contre beaucoup plus délicat de se positionner quand à son véritable intérêt.




6.5/10

oso
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le 24 avr. 2016

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oso

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