Attention, cette bafouille contient des spoilers ! Merci de votre compréhension.
Auteur trop souvent bridé, Shane Black, quand il est en pleine possession de ses moyens, livre des films aussi jubilatoires qu'énervés. Ainsi, après l'enlèvement de la série L'Arme fatale de son contrôle et de longues années d'errance à Beverly Hills, Black faisait de son premier film Kiss Kiss Bang Bang une exhibition du très cruel désenchantement d'Hollywood, les starlettes venant s'y brûler les ailes. Et voilà que maintenant, après un Iron Man 3 décevant où on sentait autant la patte de son auteur que la polisseuse de Marvel, il revient avec The Nice Guys, un opus au modèle identique à celui de son premier film (un buddy movie plongeant dans les intrigues complexes de l'âge d'or du film noir) mais pour un résultat encore plus maîtrisé. La grande œuvre de son auteur, avant que celui-ci ne se lance dans la production imminente de The Predator qui, s'il n'y a aucun parasitage d'exécutifs (on peut toujours rêver), pourrait bien s'élever au niveau du film original de John McTiernan.
En attendant, The Nice Guys colle aux basques de Russell Crowe et Ryan Gosling, tous deux prodigieusement relax, dans la peau de deux détectives paumés trouvant sans se l'avouer dans leur affaire commune une sorte de rédemption. Ils sont accompagnés d'une Angourie Rice doublement mature (son jeu est d'un très haut niveau pour une gamine de son âge, exposée à une débauche comparable à celle de These Final Hours dans lequel je l'avais découverte), et ils croisent des bonnes vieilles trognes (Keith David !) et de bonnes vieilles beautés (Kim Basinger) du genre. Bien que le film se déroule dans les 70's, son affaire est néanmoins alarmiste : Shane Black s'attaque de front au lobby automobile voulant étouffer les affaires de pollution autant que la population de LA. Un contexte dans lequel l'amertume éternelle de Black se vérifie par deux fois : d'abord par l'échec des héros à changer les choses ("Tout ce qui aura changé, c'est que le soleil se sera couché deux fois"), mais aussi par le destin grandiose que prête les bad guys à l'industrie automobile de Detroit, ville aujourd'hui en faillite. Laissant toujours cette amertume s'imprégner chez le spectateur au-delà du divertissement certain que procure ses films (comme une bonne bière, en fait !), Shane Black en arrive là à une sorte de rétro-contestation particulièrement douloureuse. L'humour avec lequel Black dépeint les groupes protestataires de l'époque est contrebalancé par la fatale constatation de l'exactitude de leurs prévisions. Et ses personnages ne sont pas exempts de ces cruelles vérités : l'acte héroïque de Crowe au diner ne fait que lui rappeler son impuissance, tandis que le flair perdu de Gosling présenté comme un gag sera finalement ce qui a tué sa femme.
Ne laissant pas pour autant The Nice Guys plonger entièrement dans le plus désespérant cynisme, Shane Black signe son meilleur film à ce jour, toujours bourré jusqu'à la gueule d'incroyables péripéties et de vannes imparables. Le tout servi dans un récit beaucoup plus fluide qu'auparavant (alors que Kiss Kiss Bang Bang avait tendance à se mettre sur pause pour checker régulièrement que le public suive bien) et une mise en scène très élégante (en parlant de ça, la scène d'ouverture est même magique !). Arrivant au summum de son style, Black en profite aussi pour rappeler à quel point son écriture a pu préparer à celle d'un Tarantino : on n'avait jamais revu depuis Pulp Fiction de bavardages aussi passionnants, de tels dialogues ralentissant le suspens et retardant les séquences fatidiques du film sans jamais perdre l'attention de son spectateur ravi et hilare. Ajoutant à son habituel ton revanchard envers Hollywood (n'est-il pas éloquent que les héros s'acharnent à y sauver un film) une pleine confiance en son art, Black nous livre ainsi le polar le plus abouti de ces dernières années... en attendant le prochain si The Predator finit en une énième frustration artistique pour Black.