Après The Witch et The Lighthouse, Robert Eggers se lance dans la réalisation de The Northman, l'épopée légendaire de Amleth, guerrier viking, cherchant à venger la mort de son père assassiné sous ses yeux par son propre frère.

J'ai un problème avec The Northman. Alors oui, le film est techniquement remarquable, la mise en scène est bien pensée, les mouvements de caméra sont toujours surprenants et travaillés, la lumière et les décors sont magnifiques, la reconstitution à la fois des décors et de la culture viking est admirable (sur la forme seulement)… Mais voilà, si je ne remet pas en cause ses indéniables qualités techniques, The Northman de Robert Eggers représente néanmoins à mes yeux tout ce qui me déplaît chez un certain cinéma d’auteur actuel : tout pour la forme, rien pour le fond.

Avec le récent Barbie de Greta Gerwig, The Northman compte assurément parmi les séances de cinéma les plus désagréables de ma vie. En effet, pour la première fois je rencontrais cette fâcheuse sensation d’extériorité, le sentiment tout à fait pénible de n’être à aucun moment concerné par le récit qui défilait devant mes yeux. Suite à cette séance pour le moins désarçonnante, je cherchais ce qui, dans un film qui disposait pourtant de toutes les qualités pour faire mon bonheur, m’avait à ce point manqué pour que je me prenne à penser à mon estomac en plein milieu d’un climax enflammé. La raison de ce surprenant désintérêt s’impose à moi de manière évidente : le manque d’émotion. La raison de ce cruel déficit émotionnel réside dans un tout, car tout dans The Northman participe à une mise à distance du spectateur par rapport aux événements du récit : la mise en scène tout d’abord, minutieusement pensée par Eggers, atteint rapidement ses limites lorsqu’elle finit par s’apparenter à du théâtre filmé, lorsque les acteurs se mettent à déclamer face caméra, à la manière d’une pièce shakespearienne, un texte d’une banalité confondante. Cette théâtralité est d’autant plus flagrante dans les scènes de combats : bien qu’usant ad nauseam du (faux) plan séquence (nouvelle mode trahissant l’incapacité de certains jeunes cinéastes à penser, découper et monter correctement une scène d’action), d’ordinaire utilisé dans l’optique d'une expérience immersive, le spectateur se retrouve une fois de plus en dehors de l’action, contemplant via un traveling latéral ou un contre jour sur flanc de volcan en éruption, des chorégraphies ciselées, propres, mais diablement théâtrale et aseptisées, jamais prenantes ou viscérales, on remarque la mise en scène et le mouvement de caméra ostentatoire, on salue l’exercice de style mais on demeure à distance. Cette distance a également pour effet de désamorcer une violence que beaucoup qualifie de graphique et viscérale, là où je ne vois qu’un timide défilé de tripailles désincarné qui ne parvient jamais à émouvoir. Cette mise en scène théâtrale et ostentatoire provoque également un sentiment d'artificialité. La débauche stylistique rappelle tellement au spectateur sa condition que tout semble factice, jamais le public n’est embarqué dans l’histoire, jamais il ne pénètre dans l’univers du film, jamais il ne croit à ce qu’il voit, et Dieu sait que Robert Eggers s’est donné du mal pour faire de The Northman un exemple de fidélité historique. En effet, le cinéaste aime à évoquer ses minutieuses recherches et nombreuses collaborations avec historiens et autres spécialistes de la période viking. Mais voilà, si l’historicité du film est réelle (ce qui prouve au passage que ce n’est pas tant le degré d’historicité qui nous ancre dans un récit historique que la façon dont l’univers est présenté et mis en scène), Eggers se laisse par moment allé à de curieuses et dérangeantes entorses. Si je ne fais pas d’ordinaire partie des partisans de l’historicité à tout prix en l’élevant au rang de critère d’appréciation absolu, je la considère néanmoins dès l’instant où elle fait explicitement partie du projet d’un cinéaste, c’est pourquoi je ne peux que demeurer perplexe face au choix du bovin Alexander Skarsgard pour interpréter Amleth. Avec son physique de bodybuilder stéroïdé, le personnage donne davantage l’impression de suivre un régime protéiné entrecoupé d’intenses séances de musculation que de sortir de la mise à sac d’un village entre deux fjords scandinaves. Difficile, donc, de croire à cette musculature acérée et sculptée dans un tel contexte, on imagine de même assez aisément que la graisse devait avoir son importance pour ces peuples du froid. Vous me rétorquerez que le film s'inspire librement du Conan le barbare de Robert Howard adapté en 1982 par John Milius et qui disposait d'une musculature comparable, et je ne saurais vous donner tort, mais voilà, ce physique ahurissant correspondait aux premières illustrations de Frank Frazetta, une esthétique seventies que Milius s'est appropriée. De plus, le film de 1982 ne revêt aucune valeur historique, et pour cause, le roman de Howard est une pure œuvre d'heroic-fantasy. Dans The Northman, au contraire, Robert Eggers s'échine à nous offrir une reconstitution historiquement ultra-fidèle de la culture viking, et même si l'histoire tant à verser dans l'heroic-fantasy, le réalisateur l'inclue dans une ambiance et un décor historique rendant le physique très moderne de Skarsgard des plus anachroniques. Ajoutez à cela des vikings se battant en slip ou encore le recours à l’anglais moderne en lieu et place du vieux norrois, qui aurait permis un meilleur ancrage du spectateur dans l’univers du film, et vous voilà en présence des quelques entorses, étonnement pas si anodines, qui personnellement me dérangent.

Comme il semble être devenu de coutume dans le cinéma actuel, The Northman se pare également d'un ton on ne peut plus sérieux et plombant. Certes le film tire son inspiration du Hamlet de Shakespeare, mais est-ce pour autant une raison pour se lancer à corps perdu dans une ambiance que je qualifierais d'outre-tombe ? Par ailleurs, si Hamlet est bien une tragédie, on notera que le simple fait que le personnage éponyme feigne la folie apporte une évidente note de légèreté et de comique à l'œuvre, et ce n'est malheureusement pas le cas dans The Northman. Le film se prend trop au sérieux, ne laisse jamais de répit au spectateur, l'ambiance est pesante de bout en bout, le film devient ainsi assez indigeste, une lourdeur qui n'est guère arrangée par des dialogues empreints d'un style shakespearien, à défaut d'en avoir la substance.

Non content de ne procurer aucune émotion, le film, aussi beau soit-il, se révèle très rapidement vide de sens. The Northman ne raconte rien de bien intéressant, ainsi, prenant place dans les rudes terres islandaises du XIIIe siècle, on aurait tout légitimement pu s'attendre à ce que le réalisateur nous propose une réflexion sur la figure du viking, sur ce que cela signifie d'être viking, de même, le film faisant le récit d'une légende, il n'aurait pas été incongru de s'attendre à ce que Eggers nous propose une réflexion sur ce qu'est une légende, un mythe ou encore le lien qu'entretient l'homme avec les récits légendaires, autant de choses que le film n'aborde jamais. Et même lorsque le cinéaste semble tenir une idée intéressante, ici le retour à ce qui constitue la base des plus vieilles légendes de l'histoire humaine, à savoir : l'assimilation de l'homme à l'animal au cours de rites religieux spécifiques à la culture viking, il se contente de la montrer, platement, il reste en surface, n'approfondit rien, gâchant par corollaire l'une de ses seules occasions de raconter quelque chose d'intéressant. Enfin, je ne m'étendrais pas outre mesure sur les nombreux emprunts faits à Conan le barbare, la puissance en moins, car si je ne me considère pas comme un fan absolu du film de Milius, forcé de constater qu'il possédait une puissance dont The Northman est totalement dépourvu.

Je ne peux décemment considérer The Northman comme un mauvais film, bien que je sois circonspect sur bien des points, y compris la photographie qui, bien que bénéficiant d'un tournage en décors et lumière naturels, n'atteint jamais la splendeur d'un film comme Le 13e Guerrier, l'histoire se suit quant à elle sans trop de problèmes, je ne peux pas non plus lui enlever son originalité ainsi que son jusqu'au boutisme dans la retranscription du monde viking, bien que je regrette qu’il ne soit que de surface. Oui, The Northman est rafraîchissant, le film se démarque du tout venant hollywoodien, mais voilà, le film m'a laissé totalement en dehors, je dois même avouer m’être quelque peu ennuyé, car voir de belles images c'est bien, mais ce qui grave ces images dans les mémoires c'est avant tout l'émotion et le sens qu'elles véhiculent. Non pas que le film ne soit pas impressionnant, certaines scènes demeurent incroyables, mais au fond assez vaines, seule une scène est parvenue à me sortir de ma torpeur, une scène durant laquelle Amleth part récupérer une épée légendaire et finit par se battre contre ce que l'on imagine être un roi mort-vivant. Cette séquence, directement inspirée du Conan de Milius, marque par sa puissance, un véritable sentiment de frayeur se crée, on ressent le poids de la créature, le danger. Mais voilà, cette scène résume également à elle seule ce qu'est The Northman, à savoir une constante déception. Avec cette séquence, Eggers semble narguer le spectateur, lui refusant la jouissance d'une scène d'action bourrine, réelle et assumée, au profit de l'ennui mortel d'une expérience soi-disant sensorielle et d'une pseudo réflexion sur le héros mythologique. S'en est presque triste, je ne me suis jamais senti concerné par l'histoire, et même le final, au demeurant techniquement bluffant, n'aura eu pour seule vertu de me libérer de ce superbe documentaire Arte sur les contes et légendes vikings, la faute encore une fois à une mise en scène plaçant le spectateur à distance de l'action, loin de toute violence, transformant un duel qui, entre les mains d'un Mel Gibson aurait dévoilé tout son potentiel lyrique et viscéral en une banale, mais néanmoins sublime, expérience visuelle.

Voilà donc ce qu'est à mon sens The Northman : de superbes images tournées par un jeune réalisateur conscient de son talent et qui, par moments, semble se regarder filmer, une superbe coquille vide, tant de sens que d'émotion qui refuse toute notion d'épique et d'héroïsme. Un exercice de style qui ravira sans doute les fans de technique mais qui plongera les autres dans un état de torpeur profonde.




Antonin-L
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le 14 sept. 2023

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