Depuis plusieurs années, je pense qu'il existe deux seules façons de regarder un film. Il y a une vision purement sensitive, émotionnelle, une vision qui amène des idées, un point de vue par la seule force de sa direction artistique, de sa direction d'acteurs et prioritairement de sa mise en scène. Et une autre, que l'on peut réduire facilement en la qualifiant de franco-française, appuyée par les élites culturelles de notre paysage journalistique qui ne donne du crédit à une oeuvre de cinéma que si elle abonde dans leur sens, et surtout, si elle permet à nos chers journalistes d'élaborer des théories farfelues en interprétant le moindre plan, la moindre ligne de dialogue, et de conforter leur suprématie intellectuelle. C'est pour cela que l'accueil de The Social Network, nouveau long de David Fincher sera tiède. Voulant raconter la naissance de Facebook à travers le portrait de Mark Zuckerberg, tout le microcosme attend la critique acerbe des dérives du réseau social et de la perte de la notion de vie privée. Malheureusement pour eux, ce n'est pas du tout le sujet du film, et les connaisseurs de l'oeuvre de Fincher savaient dès la première bande-annonce que le développement de Facebook n'aurait qu'une seule vue: peindre notre société «2.0».
En 1999, David Fincher adaptait Fight Club, brulot anti-capitaliste de Chuck Palahniuk sorti 3 ans plus tôt. Qualifié à sa sortie de film fasciste par nos maîtres à penser parisiens, et depuis, suite à une adulation populaire unanime, est reconnu comme le film marquant de toute une génération Ikéa, où l'individu adulte s'échappait d'une société tentaculaire en revenant à sa nature animale et violente. 10 ans plus tard, The Social Network revient faire le point sur notre état d'esprit et la situation à bien changé. Ici, ce sont les jeunes qui sont mis en valeur, et notre envie de faire partie du groupe, de la tribu à tout prix. Le film montre l'envie, le besoin quasi vital de notre jeune population à faire partie du groupe, de la tribu, et dont Facebook à été l'outil précurseur. Car c'est bien cela qui intéresse Fincher dans cette histoire. L'arrivée de Facebook au moment idéal, et les motivations qui ont conduit Mark Zuckerberg à penser et conceptualiser cette idée. Et les raisons de le naissance du deuxième site le plus visité au monde sont simples et pourtant évidentes: le sexe et la reconnaissance.
David Fincher l'a déclaré à de nombreuses reprises, il ne connaissait que de nom Facebook avant le début du projet, et depuis il n'est pas plus interessé par le réseau social. Ce qui compte à ses yeux, c'est les causes qui ont amené Facebook, et non les conséquences que cela à pu engendrer. Le film débute directement par un dialogue entre Mark Zuckerberg et sa future-ex petite amie, qui d'entrée pose tous les enjeux du film. Par un simple champ-contrechamp, magnifié par une photographie sublime, Zuckerberg , interprété par la révélation Jesse Eisenberg, juste brillant, expose les fondements de la jeunesse d'aujourd'hui, le besoin de faire partie d'un groupe pour réussir socialement et professionnellement, quitte à franchir toutes les frontières. On le suit ensuite, après avoir été plaqué sèchement, courir vers Harvard, son université, son refuge représenté lors du générique comme une forteresse dorée aux murs imposants. Il créera dans la même soirée un site de comparaison d'étudiantes, quand les autres iront s'amuser et s'exhiber (toute cette séquence en montage alterné d'une rapidité à couper le souffle). Ce sera son laboratoire, les prémisses de sa réussite future, et également de ses échecs.
The Social Network est donc avant tout un très grand film de mise en scène. Les idées du film, ses réflexions ne sont pas juste assénés par des dialogues, mais par des idées visuelles, c'est avant tout la base même du cinéma. Le film n'est que dialogues et joutes verbales. Cela fait bien longtemps qu'il nous ait été donné de voir un scénario aussi finement dialogué, et on le doit à Aaron Sorkin, l'auteur de la série A la Maison Blanche, déjà réputée pour son sens du verbe. Mais un film ultra-écrit ne peut donner tout son potentiel que magnifiée par une mise en scène qui comprend les tenants et aboutissants du script et les incarne par l'image sans être une seconde didactique. C'est là tout le talent de David Fincher, qui depuis quelques années à délaissé une mise en images démonstrative pour en revenir à l'essentiel du langage cinématographique. Une réalisation plus sobre, plus mature, mais toujours fourmillante d'idées. La course d'aviron des deux frères à l'origine du projet de réseau social en dit beaucoup plus sur eux et leur futur que tout discours pompeux. Aussi, le placement des personnages, en priorité Zuckerberg, dans des pièces entièrement vitrées, comme des bulles de verre, dont il ne sort jamais met bien en avant le caractère du personnage, personnalité publique mondialement connue et pourtant on ne peut plus seule. Et toujours sans un mot.
Mark Zuckerberg n'est jamais représenté sous une seule facette. Fincher et Sorkin le voient tantôt comme un prophète, qui a senti le vent tourner avec une longueur d'avance et a compris les envies de sa génération, tantôt comme un salaud qui a laissé ses idéaux de côté pour garder le contrôle de son bébé. Même si on voit bien qu'il à piqué le concept même du réseau social, c'est bien lui à l'origine des petites idées qui en ont fait son succès mondial (le «mur» de publications pour suivre l'actualité de son groupe d'amis, la notification de la situation amoureuse,...). Mais il n'hésite pas à éradiquer ses seuls amis si ils ne comprennent pas son point de vue sur l'avenir de Facebook. L'une des phrases importantes du film, «Ce n'est pas toi qu'ils veulent, c'est ton idée» devient la véritable explication sur l'histoire de Zuckerberg, prêt à tout pour voir vivre son bébé. Ce qui est sur, c'est que chacun d'entre nous, jeunes adultes, avons en nous une part de Zuckerberg et c'est ce point que le film traite. Jusqu'au bout, Fincher explore les facettes de cet étudiant ayant grandi trop vite, dans un plan final bouleversant.
The Social Network est la suite logique du Fight Club. Portrait pas forcément glorieux d'une époque, où la masse suit ces hommes qui leur font voir un Eldorado bâti sur des frustrations et des envies. Tyler Durden entraînait un groupe vers la violence extrême en vue d'une destruction massive de la société de consommation, Mark Zuckerberg les relie vers un monde de contacts permanents, sans frontières ou distances. Fincher nous raconte la même histoire, et 10 ans plus tard, les motivations, l'état d'esprit à changé, mais le résultat reste le même. Aidés d'une réalisation virtuose, d'acteurs brillants et d'un scénario en béton armé, The Social Network s'impose comme le coup de maître de son auteur, si ce n'est parfait, proche de la perfection. Un film culte instantané qui a toutes les cartes en main pour marquer son époque. J'aime.