Le meilleur des mondes

Vu pour la deuxième fois plus de vingt ans après la première. Je l'avais trouvé trop angoissant pour avoir l'envie de m'y replonger. Prenant mon "courage" à deux mains, j'y suis retourné avec plus de recul.

Le film est donc basé sur un scénario d'Andrew Niccoll a qui l'on devra Bienvenue à Gattaca et Time Out. Il est donc à l'aise dans les scénarios d'anticipation dépeignant un avenir sombre ; un univers rappelant celui de Philip K. Dick. Le scénario de The Truman Show est d'ailleurs inspiré de Le temps désarticulé (que je compte lire rapidement).

Apparemment, le metteur en scène devait être Brian De Palma mais celui-ci ne voulait pas de Jim Carrey dans le rôle titre. Il avait donc certainement envisagé une version plus sombre que celle que va finalement réaliser Peter Weir.

Justement, avec Jim Carrey (acteur surtout connu pour son registre comique), Peter Weir va nous dépeindre un monde horrible sous des aspects presque merveilleux. C'est bien cela qui rend le film si angoissant, bien plus que les films d'anticipations sombres auxquels on est habitué. Tous les gens sont gentils et complaisants en façade. Truman de son coté semble heureux dans le monde qu'on lui a fabriqué, qui rappelle le village du Prisonnier avec Patrick McGoohan. Cette tonalité faussement légère donne plus de force au propos selon moi, alors qu'une version noire, à la Blade Runner ou Minority Report était en effet possible.

Truman n'est pas un personnage ténébreux qui va se rebeller. C'est un quidam dont la candeur, la bonté et les failles vont être exploitées contre lui-même. On a donc fabriqué un trauma chez lui (la noyade de son père) pour l'enfermer dans cette prison dorée, dans laquelle on lui a trouvé une belle femme, un ami d'enfance confident et un emploi dans le tertiaire. Jim Carrey est parfait dans ce rôle en étant plus sur la retenue qu'à l'accoutumée. Difficile d'imaginer un autre acteur dans ce registre, hormis peut-être Robin Williams.

Derrière ce sujet, se dissimule la question du parallèle entre réalité et monde fabriqué. Qu'est ce qui relève du produit de notre imagination dans ce que nous percevons ? Notre libre-arbitre existe t-il ? Ce sont des thèmes récurrents chez Peter Weir. On peut l'étendre à nos sociétés modernes qui tendraient vers des dictatures molles consenties, où un confort est créé pour nous inciter à ne pas en sortir.

Ed Harris incarne un réalisateur démiurge qui voit Truman et son monde comme sa création. Il a conçu un monde parfait qu'il ne faut pas perturber selon lui. Son look d'artiste cool du show-biz est assez savoureux.

Ce schéma n'est pas sans rappeler la télé-réalité, qui n'est encore qu'à ses prémices. Autant le réalisateur Christof est cynique, mais les spectateurs sont représentés comme étant assez pitoyables. Ils sont à la recherche constante d'une émotion artificielle à travers la vie de Truman. C'est assez précurseur quand on voit l'évolution de télévision, où on ne peut plus voire une émission où l'on n'essaye pas de faire pleurer les gens.

On peut regretter le manque de développement de la relation entre Truman et Sylvia. En effet, c'est elle qui est à l'origine de sa prise de conscience lui donnant des envies d'ailleurs. On reconnaît ici la fibre sensible du cinéaste mais elle nous laisse un peu sur notre faim. Il aurait peut-être fallu que cette dernière joue un rôle un peu plus actif dans sa libération.

La mise en scène de Peter Weir s'adapte parfaitement au sujet. Ce dernier à qui l'on reproche souvent sa discrétion, parvient ici à trouver des angles nous représentant une caméra espionne et intrusive dans la vie de Truman, et c'est réussi.

La bande originale est bien appropriée au film, tantôt guillerette, tantôt sombre.

Dans son adaptation du scénario, Peter Weir, bien aidé par Jim Carrey, nous met en scène une fable que l'on pourrait qualifier de terrifiante de bonheur fabriqué. J'avais lu une critique journalistique disant que réalisé par Brian De Palma (autrement dit un réalisateur de renom), ce film aurait été un chef d’œuvre. C'est selon moi doublement faux. D'une part, sans dire que The Truman Show est un chef d’œuvre - terme galvaudé - c'est un excellent film devenu culte et traité d'une manière originale ; d'autre part, c'est manqué de respect à Peter Weir qui est trop sous-estimé par rapport à ses pairs, alors qu'il apporte dans le cas présent, une pierre de plus à sa filmographie singulière.