Alors que la projection de son "Haut les mains" venait tout juste d'être autorisée, après plus de dix ans de censure prohibitive, et consécutivement au succès critique du somptueux "Cri du Sorcier" (Grand Prix du Jury à Cannes en 1978), Skolimowski, le plus britannique des réalisateurs polonais, réalisait un double film, politique et social.

Et voilà donc que débarquent à l'aéroport d'Heathrow quatre travailleurs polonais, sous couvert d'un visa touristique, leurs poches chargés (à en déborder !) de clous, et autres instruments de construction. Pas un ne parle anglais, hormis Nowak, leur chef. Ce dernier doit ruser pour passer le crible inquisiteur d'un officier de l'immigration zélemment pointilleux. Puis l'on découvre que leur "mission" sera de retaper entièrement une vieille baraque londonienne pour le compte d'un riche polonais. Le tout avec un budget limité de mille deux cents livres, nourriture comprise (et non, la sixième chaîne n'a vraiment rien inventé).

Atmosphère confiné, huis-clos oppressant, air saturé de la poussière des travaux. La maison est un désert, une prison dans laquelle Nowak maintient ses congénères. Il les a choisit stupides, donc dociles. Lui n'est motivé (obsédé serait plus exact) que parce qu'il pourra ramener à sa femme. Eux par la promesse de gagner plus en un mois à Londres, qu'en un an à Varsovie. Les couleurs sont ternes, sous la grisaille maussade de ce mois de décembre anglais. Le film est filmé tout en plans serrés, on étouffe à l'unisson de Nowak et ses camarades, dans la cabine téléphonique, dans le vétuste pied-à-terre. Seule exception, le supermarché, où la caméra prend un peu d'altitude.

Parabole politique, puisque les quatre polonais (les Beatles de l'Est ?) font le douloureux apprentissages, à base de privations diverses, de la vie à l'Ouest. Nowak en est réduit à inventer de savantes et savoureuses techniques de vol. On ne s'amuse pas beaucoup plus dans l'Angleterre de Thatcher que dans la Pologne de Jaruzelski, semble nous dire Skolimowski. Justement, le général pré-cité prend le pouvoir alors que la fine équipe est en plein dans ses travaux de rénovation. D'où l'isolement total avec la mère-patrie. D'où un énième mensonge de Nowak, contraint de dissimuler le fait à ses compères.

Nowak, tyranneau pathétique, campé avec un talent indiscutable par Jeremy Irons. Il y a du Jaruzelski dans ce personnage, qui, sous prétexte de les diriger, de les protéger, prend ses semblables en otage. Qui déchire les affiches de Solidarnosc qu'il croise dans les rues de la capitale anglaise.
D'ailleurs, c'est l'occasion pour le réalisateur de s'interroger sur le véritable degré de solidarité des anglais. Une "solidarity" proclamée, collée même sur tous les murs sales, mais qui relève plus de la profession de foi que de l'action, si l'on s'en tient au comportement des natifs de la perfide Albion rencontrés. Et notamment de ce voisin acariâtre, profiteur et bougon (et doté d'une moustache à faire pâlir ma brosse à dents).

Vie et misère du lumpenproletariat polonais, exposé politique engagé, accomplissement dans l'esthétisme du caniveau, on peut parler de vraie réussite pour ce film, qui témoigne une fois de plus, si l'en est encore besoin, de la qualité du cinéma polonais, qu'il soit émigré ou non.
Pedro_Kantor
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le 28 avr. 2011

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