Pour son premier long-métrage, Pau Calpe Rufat offre un segment de vie à la sauce western rurale. C’est aussi imprévisible que merveilleux, même au fin fond d’une province, où la terre est désenchantée et que la poignée d’habitants qui y vit font tout en leur pouvoir afin de protéger ce qui leur appartient. Outre le bien que ces agriculteurs produisent, que cette richesse qu’ils cultivent, c’est une famille de famille qui déroule le discours de toute une génération, dont on a arraché l’avenir. Un duel entre un père et son fils devient l’enjeu qui surclasse celui des larcins, simplement témoignage d’une désertion intensive de ces zones agricoles. L’auteur du roman éponyme, Rafael Vallbona, a sans doute capté cette énergie, qui malgré les bonnes intentions, entraîne ses deux héros dans une spirale de violence et de nostalgie qui ne peut pas toujours guérir.


L’appui de la scénariste Marta Grau permet donc ce saut vers l’image, celle qui terrifie, celle qui cristallise ce silence glacial et ce gouffre de noirceurs. Les champs sont là, immobiles, dans un état qui en dit long sur les moyens disposés par des locaux qui en partagent les rides et les fractures. Joan (Pep Cruz) ne peut donc plus supporter l’intrusion d’un jeune maghrébin, qui vient cueillir le résultat de ses efforts. Et le soupçon du deuil viendra confirmer sa part de folie et sa légitimité en tant que parent. C’est d’ailleurs ce qui ramènera soudainement son fils Pepe (Roger Casamajor), qui préfére fuir en direction de Barcelone. Pourtant, ces deux hommes ont amèrement échoué dans leur conquête, l’un avec l’avenir de son enfant et l’autre avec son émancipation forcée. Leur polarité est perceptible et l’intrigue viendra renforcer cette observation au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans une nuit décisive.


Une patrouille nocturne se forme entre agriculteurs, déterminés à défendre leur terre. Ici, ni la loi ni la police peuvent contenir ce mouvement, évidemment bienvenu, dans la mesure où l’on parvient à garder le contrôle. La justice n’est plus possible, car elle n’aurait pas de sens dans le débat qui suit. Une chasse à l’homme apporte alors tout ce qu’il faut en tension, afin de pousser le père et le fils à se jauger, avant de se confronter pour la première fois. Ils sont poursuivis par les mêmes remords et les mêmes craintes du passé, qui les rattrapent fatalement, tout en assumant une part de tendresse. Nul ne se laissera marcher dessus et nul ne capitulera sur les motifs d’une réconciliation nécessaire. Tous ceux qui graviteront autour d’eux galvanisent leur élan, tantôt audacieux, tantôt incompréhensible et c’est dans cette ambiguïté que le récit gagne à laisser germer ses propres émotions.


Au-delà d’être une étude sociale sur un dépeuplement massif des campagnes, « Tros » (A Piece of Land) captive par son magnifique portrait de cette vie simple, mais peu assister par un tiers. Joan et Pepe ne sont que les échantillons d’un conflit que l’on ne conte pas à coup de sermons, mais bien par des actes de solidarité dont ils font preuve, ensemble et en famille. Cela possède toutefois des limites, qui sont le reflet de ces mêmes champs défraîchis et qui ne demandent qu’à être entretenu. Finalement, le résultat importerait peu, tant que l’on finit par satisfaire les choix de chacun, superposés à la course vers la réussite. Mais soyez rassurés, car le tourment de ces protagonistes ne fait que commencer.

Cinememories
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le 20 avr. 2022

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