Qu'on soit clair, juger et apprécier une oeuvre à l'aune des récompenses qu'elle a ou non obtenu n'a que très peu d'intérêt. On peut évidemment parler des aspects politiques qui entourent les éloges cannois du film, mais en ne se focalisant que trop sur ce prisme, on passe à côté des engagements esthétiques qu'il prend.
Un simple accident, de Jafar Panahi, est effectivement une oeuvre critique sur le régime iranien et le climat de répression politique qu'il fait régner. Mais cet aspect du film n'en constitue pour moi pas le trait principal et sert plus ici d'élément de forme que de propos de fond.
Nous suivons ici les 24h tourmentées d'un civil iranien qui tabasse et enlève un homme croisé par hasard et qui va se questionner sur deux aspects : cet homme est-il bien le tortionnaire qui a brisé sa vie et doit-il se venger par le meurtre. Dans la proposition que nous fait Jafar Panahi, nous voyons ici une référence évidente au théâtre de l'absurde de Samuel Beckett (En attendant Godot cité par l'un des personnages et l'arbre mort dans la steppe qui est une référence de mise en scène) ainsi qu'à l'existentialisme sartrien.
Par le développement de sa journée et les rencontres qu'il va faire, le personnage principal, ainsi que les complices qu'il va emmener avec lui, vont se questionner sur les motivations qui peuvent justifier un meurtre de sang froid et la nécessité de la vengeance par la violence. Dans cette proposition, on est clairement sur des allusions à Les mains sales de Sartre ou Les Justes de Camus, tant sur le propos politique de ces oeuvres que sur le propos philosophique. La question, subsistant jusqu'à la fin, de savoir si la personne enlevée est bien un tortionnaire à la solde d'un régime autoritaire, ou s'il est un simple civil enlevé et lui-même torturé par erreur, donne un développement qui oscille en permanence entre le comique et le drame. Car oui, la référence au théâtre de Samuel Beckett passe aussi par cet humour latent sur l'existence et les choix absurdes qu'elle propose.
J'ai vu quelques critiques qui évoquent une tension que trop faible ou artificielle, mais ce n'est pas le propos du film (il me semble) que de proposer une tension exacerbée. La volonté esthétique est ici de nous amener à comprendre les questionnements moraux des personnages et à nous faire rire jaune sur les actions qui en découlent.
Alors oui, effectivement, la forme du propos passe par le contexte politique dans lequel se place le film. C'est finalement le régime iranien, qui par son autoritarisme, sa répression des oppositions, dresse le contexte dans lequel les personnages vivent et les engage sur la voie de la violence pour répondre à l'absurdité existentielle qu'il créé. Si ce contexte est un élément important de la filmographie de Jafar Panahi, nous voyons aussi que le film a aussi une existence esthétique propre en dehors de celui-ci.
C'est une approche très théâtrale que nous propose le réalisateur, en témoignent les quelques plans séquences fixes, les longues répliques théâtrales des personnages et la durée de l'action qui se déroule en 24 heures. En tant que tel, en plus d'être une oeuvre politique, Un simple accident est aussi un bel hommage au théâtre de l'absurde (lui-même politique par ailleurs) de Beckett, Camus ou Sartre.
Par sa proposition esthétique, il nous propose de traverser, entre humour et drame, la détresse existentielle des personnes détruites par le régime iranien.