Geneviève Garland (Marianne Basler) « est » Andromaque. Elle « est » Andromaque, puisqu’elle reprend le rôle, pour la ènième fois, face à son mari, André (Jean-Philippe Puymartin), qui lui donne la réplique dans le rôle de Pyrrhus. La nouvelle réalisation de Paul Vecchiali s’ouvre sur un fragment de répétition. Puis elle redevient Geneviève G., « Gégé », comme la surnomme une groupie : une femme qui prépare le déjeuner du couple, connaît des problèmes de couple, une situation de marivaudage classique, la rivalité féminine en moins, assaisonnée des reproches de son mari quant au fait qu’elle s’occuperait trop de leur fils... Il faudra attendre l’ultime scène - espièglerie vecchialienne et/ou jeu avec une hyperdramatisation théâtralisée dont la musique de Roland Vincent semble sourire... - pour que le voile de deuil qui pare la tragédienne soit levé et que l’on comprenne jusqu’à quel point Geneviève est effectivement Andromaque, même si cette identification s’effectue au prix d’une fusion des figures d’Hector et Astyanax, fusion qui laisse une place assez réduite au pauvre André, à peine « un soupçon d’amour », en effet.


On comprend, a posteriori, pourquoi le rôle d’Andromaque lui était devenu insupportable et en quoi la situation de marivaudage, avec Fabienne Babe dans le rôle d’une rivale en même temps amie, était en quelque sorte un trompe-l’œil ; le « soupçon d’[un] amour » extra conjugal n’était donc en rien central. Alors s’effectue un revisionnage mental et rétroactif de l’ensemble du film : on comprend pourquoi l’enfant, le fils de douze ans un peu trop parfait, un peu trop aimant, spirituel, docile (Ferdinand Leclère),n’apparaît à l’image que lorsqu’il s’y trouve seul avec sa mère... On comprend la théâtralité excessive et presque irréelle des dialogues. On comprend les couleurs un peu trop vives et saturées, forcées, du chef opérateur Philippe Bottiglione. Et l’abri offert par une moustiquaire de lit devient plus miraculeux, efficace et touchant que la plus sophistiquée des machines à remonter le temps... D’autant que la dédicace finale achève de confesser combien est intime, pour le réalisateur, cette thématique de l’étrange survivance du deuil.


On comprend pourquoi, si souvent, durant la projection, on a eu le sentiment d’assister à la chimérique hybridation du factice et de la profondeur, aboutissant à un objet artistique qui intriquerait étroitement le faux et l’ajusté. Un oxymore qui en découragera plus d’un, mais mérite toutefois que l’on s’y arrête et que l’on considère, au-delà des apparences vaudevillesques, une intéressante variation sur le deuil.

AnneSchneider
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le 27 août 2020

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Anne Schneider

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