le 30 sept. 2025
La bataille à chier
Un film qui donne finalement plus envie de passer son permis que de faire la révolution, il fallait y penser, Paul Thomas Anderson l'a fait. Précédé d'une immense attente, nourrie à la fois par le...
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Bon, faut que je parle de ce film. Je trouve que PTA a cette étrange capacité à faire soit des vrais films de porc (dans le sens positif) soit des trucs beaucoup plus... je ne saurais même pas le définir - qui laisse un espèce d'arrière goût de meh. (inherent vice, the master...)
Donc oui, évidemment que c'est magnifiquement filmé avec ces cadres impeccables et cette séquence de poursuite dans le désert qui ressemble à du Jodorowsky halluciné, oui le cast est excellent avec DiCaprio qui livre une performance solide en ex-révolutionnaire paranoïaque un peu neuneu du groupe French 75 vivant off-grid et Sean Penn qui bouffe littéralement l'écran en Colonel Lockjaw ce militaire fasciste obsédé, oui l'exploration du terrorisme domestique et de la répression anti-immigration est audacieuse et clairement pertinente en 2025. Oui Jonny Greenwood livre encore une fois une partition nerveuse qui colle vraiment à l'ambiance du film, et oui, Anderson maîtrise son craft comme personne avec cette mise en scène calibrée au poil de fesse (cette poursuite du troisième acte qui est probablement une des meilleurs séquences qu'on ait vu ces dernières années) mais putain qu'est-ce que le film est décevant et frustramment superficiel pour un réalisateur de ce calibre parce qu'en essayant de faire son premier vrai blockbuster mainstream il livre quelque chose de techniquement impeccable mais thématiquement creux qui transforme un film avec un potentiel énorme en adventure movie moralement simpliste où les gentils révolutionnaires qui font exploser des bâtiments sont héroïques et les méchants représentants du gouvernement sont des cartoons ambulants trop méchants sans trop de nuance entre les deux, et franchement pour quelqu'un qui nous a donné There Will Be Blood, soit un de mes films préférés, c'est juste pas assez.
Le pitch de base est solide, bien sûr : quand Lockjaw ressurgit après seize ans à la recherche de Willa, Bob doit se reconnecter avec ses anciens camarades révolutionnaires pour la sauver tout en naviguant les conséquences de son passé radical qui inclut avoir libéré des migrants d'un centre de détention ICE, avoir été le Clyde de la Bonnie d'un GI-joe fasciste en puissance humilié et follement amoureux de ce personnage féminin puissant jouée par Teyana Taylor, mais le problème c'est qu'Anderson sépare Bob et Willa après littéralement une scène et les réunit seulement tout à la fin donc on est censé être touché par leur relation père-fille alors qu'on n'a jamais l'opportunité de réellement la voir à l'écran, Willa est juste définie par sa grit et son indépendance sans qu'on comprenne qui elle est vraiment en tant que personne au-delà de l'archétype de la fille badass.
Le vrai problème fondamental du film et c'est ce qui empêche vraiment d'atteindre la grandeur des meilleurs PTA c'est que le script refuse complètement d'engager avec la complexité morale de son sujet : oui l'ICE et la répression anti-immigration c'est horrible et ça mérite d'être dénoncé avec force mais de là à ce que tous les représentants du gouvernement développés dans ce film sont soit racistes soit meurtriers soit menteurs souvent les trois pendant que les révolutionnaires du French 75 qui tuent des innocents collatéraux sont présentés comme des héros sans aucune remise en question de leurs méthodes au-delà du surface level ils se battent contre l'oppression, certains sont très cons, mais c'est bon. Anderson transforme donc Lockjaw et ses Christmas Adventurers, ce groupe de white supremacists en caricatures Saturday Night Live, et certains critiques ont raison de dire que c'est soit un cop-out juvénile soit un refus d'engager avec la gravité réelle du moment qu'on vit pour le tourner plus de façon comique, ce qui aurait pu marcher mais le film présente un univers moral si terriblement simpliste que ça en devient presque insultant pour l'intelligence du spectateur qui vient voir un PTA en s'attendant à de la profondeur psychologique et de l'ambiguïté morale, pas à une fable politisé et que cette influence cameronienne est clairement assumée ici avec ce setup de deux guerriers rivaux des US à bout de souffle qui se poursuivent et converge vers le même but - l'enfant. Le reste du cast est condamné à des personnages larger-than-life qui manquent cruellement de profondeur : Teyana Taylor a probablement le personnage le plus intéressant psychologiquement en Perfidia cette figure blaxploitation dont les batailles font rage dans sa tête mais elle disparaît du film après une demi-heure ce qui est criminel vu son potentiel, Benicio del Toro aussi joue le sensei de karaté de Willa qui dirige secrètement un réseau underground pour migrants et c'est cool dans une séquence sous forme de one-shot lors du deuxième acte mais ça reste juste un archétype sans vraie profondeur et lui aussi disparaît sans grande influence sur le scénario si ce n'est d'avoir filé le fusil... ok Usual Suspect, Sicario mais c'pas grave. Regina Hall a un rôle d'ancre émotionnelle que le film utilise beaucoup trop peu, et même Sean Penn en Lockjaw malgré une performance vraiment remarquable est tellement monotonement one-dimensional que ça frôle le comique involontaire, il y a même ce subplot où Lockjaw essaie de rejoindre un groupe white supremacist au nom ridicule du coup, les aventuriers de Noël, et c'est tellement caricatural que ça dépasse le satirique pour devenir juste... con en fait, non?
Bob lui-même est transformé en clown chaotique en peignoir à carreaux qui oublie les mots de passe secrets et tombe des toits dans des gags (bon j'avoue j'ai ri), et même si Leo joue ça comme une version sous coke de Scoobi-doo, avec son lot de moments de stoner réellement drôles, on a quand même du mal à le prendre au sérieux comme protagoniste d'un film politique qui prétend dire quelque chose d'important sur l'Amérique divisée. Le dialogue oscille entre le naturel et le sermonnaire avec des moments où les personnages arrêtent littéralement l'action pour expliquer les thèmes du film au cas où on aurait raté le message pourtant martelé toutes les cinq minutes, et l'humour est tellement hit-or-miss qu'on se demande quel ton Anderson voulait vraiment : c'est une comédie, un thriller d'action, une satire politique, un drame père-fille, qu'est ce que c'est bordel ? Le film essaie d'être tout ça en même temps sans jamais vraiment exceller dans aucun de ces registres. La structure narrative manque de cette sophistication temporelle qu'on attend d'un PTA, et même la fin est mignonne mais très loin d'être poignante, oui on essaye d'éliciter de l'émotion en essayant de connecter Willa à sa mère et à son "père" mais tombe complètement à plat parce que le film n'a jamais pris le temps d'établir cette relation. One Battle After Another met donc en lumière un problème sérieux pendant deux heures quarante-cinq sans jamais avoir le mordant satirique nécessaire pour faire vraiment passer son message, c'est de l'humour ouais, mais qui souffre d'un manque de spécificité qui n'approfondit jamais ses personnages caricaturaux ni les vrais problèmes que l'Amérique affronte actuellement.
Ce qui rend tout ça encore plus frustrant, c'est le timing catastrophique de la sortie et cette réception critique qui sent le biais politique à plein nez : le film arrive en pleine période de division extrême en Amérique et au lieu d'essayer de construire des ponts ou au minimum de comprendre pourquoi les gens tombent dans ces extrêmes il préfère juste présenter un côté comme des héros révolutionnaires cool qui fume la moquette et l'autre comme des fascistes sans aucune humanité, résultat ça plaît à la moitié du pays qui est déjà d'accord avec la position politique du film pendant que l'autre moitié se sent insultée et sort de la salle en tappant des pieds. Si on reste juste sur le film, sa forme est excellente, mais son fond est malheureusement surcoté et ce peut importe les opinions politiques. Le film à une sensibilité leftist que je trouve rafraichissante dans ce climat de merde, mais c'est quand même bizarre de voir autant d'accolades pour un film qui n'est vraiment pas extrêmement bon. Le fait que le film ait 94% sur Rotten Tomatoes et 95 sur Metacritic pendant qu'il provoque aussi des reviews assassines de gens qui disent ça glorifie le terrorisme et on a peur et le gouvernement c'est les gentils (cry me a river de justin timberlake en fond) prouve que, d'emblée, le film n'est pas fait pour parler à tout le monde mais juste pour prêcher les convaincus, donc oui PTA ! A mort la monarchie et l'extrême droite et l'oppression du peuple par des gros fachos de merde qui n'aime pas les noirs ! Merde au capitalisme débile et à ces ultras riches qui se réunisse dans des maisons de bourge avec des sous sols c'est l'Upside Down de Stranger Things dirigié avec un papi flippant en chaise roulante pour parler biscuit de noël, assassinat et Ford Mustang pendant que nous, on veut juste s'occuper de nos gosses remixés comme un gros son de Tupac et un discours de Bardella tranquillou bilou ! Je dirais même FUCK à ces putains d'enfoiré de l'immigration qui arrêtent Benicio Del Toro juste parce que son nom fini par O ! Mais, même en étant globalement d'accord avec les positions anti-fascistes du film, on peut pas ignorer que les critiques refuse de soulever les problèmes du projet car enfin, on a un film qui dit des choses.
Mais comment dit-il ces choses? Est ce que le film est rondement mené? Est ce qu'on utilise un cast aussi bon à bon escient? Est ce que les tropes de l'histoire ne sont pas trop visibles, la morale trop blunt? Les personnages ne manquent-ils pas cruellement de profondeur? Un réalisateur qui nous donne Magnolia et There Will Be Blood ... c'est juste décevant de le voir livrer quelque chose d'aussi artistiquement propre et juste un peu subversif là ou c'était le moment de déglinguer les portes, de faire dans le profond, la satire crade, mais pas du tout. Du coup on a un projet souvent drôle, tout aussi souvent long, mais surtout, surtout, parfois simplement prétentieux et moralisateur.
Donc bref, One Battle After Another reste un film avec beaucoup de qualités indéniables : cette cinématographie VistaVision qui est vraiment spectaculaire et qui ramène ce format abandonné depuis les sixties, Leo et Penn et toute la troupe qui donnent tout ce qu'ils ont même avec un matériau bancal, ces scènes d'action qui sont parmi les meilleures que PTA ait jamais filmées avec cette poursuite hallucinatoire et cette séquence avec Benicio qui évacue des migrants, cette tentative au moins de faire un film politique relevant qui parle du moment présent même si c'est maladroit, et le fait que ça prouve qu'Anderson peut faire du blockbuster divertissant quand il veut ce qui est pas rien, mais dsl - c'est fondamentalement gâché par un script qui manque de nuance et de complexité morale, qui transforme des questions politiques difficiles en cartoon manichéen, qui refuse d'engager sérieusement avec les implications de glorifier la violence révolutionnaire même quand elle est dirigée contre des oppresseurs, et qui au final livre un film qui va probablement être oublié dans quelques années comme un reliquat d'une ère post-2024 merdique où tout le monde prétendait que c'était fantastique juste pour faire un point politique alors qu'en réalité c'était juste excellent techniquement mais terriblement pauvre en écriture bien que parfois gonflé à bloc thématiquement, le genre de film où on sort en se disant "ouais c'était bien filmé mais, c'est un peu débile non?" et où, même en reconnaissant que c'est pertinent, on peut pas ignorer que ça aurait pu être tellement plus intelligent et subversif si PTA avait eu le courage de vraiment étayer ses propres positions au lieu de juste les affirmer avec style, le fait que le film ait coûté entre 130 et 175 millions selon les sources et qu'il soit en train de perdre 100 millions à Warner Bros selon Variety avec seulement 200 millions au box office prouve que même le public mainstream qu'Anderson visait avec ce pivot n'a pas vraiment mordu à l'hameçon, c'est ni assez PTA pour les fans hardcore ni assez accessible pour le grand public malgré DiCaprio en tête d'affiche.
Juste un cluster fuck frustrant qui a le cul Guevara entre deux chaises avec son potentiel énorme et qui se gâche avec des choix narratifs et thématiques trop sous exploités pour un réalisateur de ce calibre. Pourtant, sur la tête de Willa, qu'est ce que je voulais l'aimer ce putain de film. Viva la vida.
Créée
le 18 nov. 2025
Critique lue 7 fois
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