"Seems like we always spend the best part of our time just saying goodbye."

Au-delà du mélodrame hollywoodien typique de ce que le cinéma américain des années 50 a pu engendrer, A Place in the sun constitue un portrait très corrosif de l'American Dream, et en tous cas beaucoup moins idyllique que ce que le titre et la première partie du film peuvent laisser supposer. C'est tout le contraire, en réalité : une charge vigoureuse contre un mythe et sa représentation au cinéma, dont George Stevens aura repris les principaux codes pour mieux les cuisiner à petit feu et renverser la perspective.


Le tableau des classes sociales est à la fois simple dans son principe et complexe dans son exercice. Quand Montgomery Clift pénètre dans l'empire financier de son oncle à la recherche d'un petit boulot, au tout début, il entre par la petite porte, effectue un travail à la chaîne correspondant à son statut implicite et flirte avec une collègue. Il se plonge dans le bain de ses semblables sans renâcler. Tout le renvoie à sa condition, de ses fréquentations à son costume en passant par ses aspirations : quand il aperçoit pour la première fois Elizabeth Taylor, une femme à la beauté rayonnante appartenant à la haute société, dans le décor de la luxueuse maison familiale, sa sidération entérine leur différence, sa stupéfaction résonne comme une hypnose.


Tout le film se concentrera alors sur une trajectoire impossible, celle d'un jeune homme qui oscillera entre deux femmes aux statuts antagoniques. À mesure que sa passion le détourne de sa condition initiale et l'entraîne vers la haute société, des zones d'ombre apparaissent tant dans la possibilité d'émancipation qu'il avait entrevue que dans son détournement de son flirt original. La fracture sociale enfle progressivement, jusqu'à exploser lors d'une séquence-climax à bord d'un bateau, sur un lac paisible, où la tension dramatique grandissante et interminable pourrait faire écho à celle de L'Aurore de Murnau. Le revers amer du rêve américain, à partir de se moment-là, sera sans cesse alimenté dans ce qui s'apparente à une descente aux enfers, judiciaire, intellectuelle et sentimentale.


Très peu de stéréotypes dans ce canevas pourtant classique, même si on sent poindre un certain fatalisme forcené dans les enchaînements. À l'image de l'avocat du jeune homme, porteur d'un symbole de l'Amérique, aux strates imperméables et aux jugements moraux prédominants : "If he's innocent, I'll get the best defence I can get for him. If he is guilty, I won't spend a single cent to save him from the electric chair!" Son ascension sociale n'aura été que de très courte durée. Dans sa description des désillusions qui explosent et d'une idylle qui se referme comme un piège sur sa proie, Une Place au soleil constitue un élément essentiel du cinéma américain des 50s.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Une-Place-au-soleil-de-George-Stevens-1951

Morrinson
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le 23 avr. 2018

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Morrinson

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