Le soleil brille, les oiseaux chantent et "Donjons et Dragons" bide en salles : c'est peut-être le moment idéal pour se recueillir sur "Vive les vacances", comédie américaine estivale passée complètement inaperçue à sa sortie en 2015. Première réalisation de John Francis Daley et Jonathan Goldstein, ce film s'est crashé au box-office au même titre que les autres travaux du duo, Game Night puis Donjons et Dragons donc ; sauf qu'à la différence de ces derniers qui ont acquis une certaine légitimité, Vive les vacances n'a récolté quasiment que des quolibets et continue aujourd'hui de croupir dans le back catalog des plates-formes de streaming dans le même mépris critique et public qu'à sa sortie. Il faut dire que le film a souffert d'un mauvais timing, en sortant quelques années après la vague de comédies US "fashion" dont ont fait partie Supergrave, Step Brothers, les Ron Burgundy, soit en fait l'essentiel des productions Apatow qui ont redéfini le genre dans la décennie 2000-2010 ; et ce, sans forcément en avoir la patte, la vision, avec un style d'humour beaucoup plus brutal et old school, plus proche d'une fin de carrière des ZAZ (Scary Movie ?) que de la modernité des films de Judd Apatow. C'est d'ailleurs vrai qu'à ma première vision de Vive les vacances, la comparaison avec les bulldozers comiques avec Will Ferrell n'a vraiment pas joué en sa faveur et je me suis demandé comment une comédie américaine aussi vieillotte avait pu se retrouver en salles.


Mais voilà, un peu comme un bon vin ne se déguste pas tout juste mis en bouteille, il a fallu attendre quelques années pour voir cet étrange film prendre de la valeur. Il y avait un petit quelque chose de gratuitement méchant dans Vive les vacances, un parfum de sincère irrévérence qui m'a donné envie de lui redonner sa chance. Puis une autre. Puis encore une autre. Jusqu'à ce que, en 2023, le film finisse par clairement faire partie de mes comédies américaines préférées, selon des mécanismes que je ne m'explique pas complètement mais qui pourraient bien "simplement" tenir à l'incroyable mécanique de précision mise en place par ses deux réalisateurs, dont le talent serait confirmé par leurs réalisations suivantes. Vive les vacances est une pure comédie hollywoodienne des années 90 mais torchée avec un savoir-faire et des références contemporaines, ce qui lui donne un cachet singulier à condition de faire l'effort d'une certaine réceptivité. Convenons-en, cela peut être compliqué au vu des scores minables réalisés par le film ; mais le tout ne serait-il pas, finalement, "que" de se laisser emporter par son style un peu désuet, d'accepter l'invitation à son voyage crado, de tolérer d'être cueilli par ses blagues méchantes et son rythme effréné ? On peut se rendre compte, alors, que cette étonnante comédie dispose de son propre cercle de fans, y compris dans les cercles les plus distingués de la profession : j'ai notamment essayé, sans succès, de retrouver pour cette critique une interview de Bruno Podalydès pour la sortie d'un de ses derniers films, dans laquelle il affirmait que Vive les vacances était la comédie qu'il aimait le plus montrer à ses amis, et l'une de celles qui l'avaient fait le plus rire, tout en en citant religieusement les vannes les plus bêtes au journaliste médusé.


L'amour de Podalydès pour cette comédie délicatement vulgaire n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard tant Vive les vacances semble se rapporter (outre, évidemment, à sa propre saga "National Lampoon" dont elle est une sorte de reboot, chose toutefois inutile à comprendre pour profiter du film) à l'un de ses excellents premiers films, "Liberté-Oléron", sorti à peu près vingt ans plus tôt, clairement beaucoup plus français, mais pas si différent dans l'esprit. A tel point que, d'une certaine manière, Vive les vacances pourrait en être considéré comme le remake américain. Liberté-Oléron racontait les vacances de galère d'une famille au bord de l'explosion, au sein de laquelle le seul père (interprété par un Denis Podalydès aussi jeune que dépassé) semblait faire des efforts pour maintenir un semblant d'unité et de plaisir d'être ensemble, en s'inventant l'objectif d'un tour en bateau pour ressouder son mariage fragile et ses enfants rebelles. Vive les vacances part du même postulat, à ceci près que la traversée en rafiot est remplacée par un road-trip à travers tous les Etats-Unis. Les personnages sont assez similaires, leurs relations aussi. On retrouve aussi dans le film américain le même amour pour les inventions étranges, marque de fabrique de Podalydès : celui-ci se matérialise ici à travers une voiture de location à la conception totalement absurde, équipée de sièges tournant à 360° et d'une télécommande affichant des boutons incompréhensibles. Diffèrent les gags, beaucoup plus cruels (quoique, ceux de Liberté-Oléron avaient parfois leur violence bien à eux). Le film de Goldstein et Daley n'existe aussi que comme une enfilade de gags, vu que l'ensemble du film est prétexte à des blagues et n'a pas de "vrai" liant : on se moque éperdument de l'histoire, qui n'est qu'un moyen comme un autre de faire s'enchaîner les séquences trash ou bêtes en épuisant au maximum la thématique des vacances pourries.


Et si Vive les vacances est un film qui s'apprécie au fil des revisionnages, c'est parce qu'il va si vite qu'il est extrêmement compliqué de se conformer à son rythme en saisissant chaque blague au vol. En cinq minutes, cette comédie peut passer d'un quiproquo dans un avion (c'est clairement sur cette ouverture que l'héritage des ZAZ est amoureusement clamé par ses réalisateurs) au bullying d'un ado efféminé par son petit frère ("Non, ton grand frère n'a pas de vagin, et même s'il en avait, où serait le problème ?"), en passant par un dialogue avec une voiture de location hurlant en coréen et disposant de "deux réservoirs d'essence, pour avoir deux fois plus d'essence". Dans ce foutoir où la moindre ligne de dialogue est timée avec la précision d'une montre suisse, le spectateur est obligé de s'accrocher à chaque seconde pour garder le fil. Ed Helms et Christina Applegate sont impeccables dans leurs rôles de parents dépassés dont le mariage s'effrite. La naïveté de l'un, les rêves d'ailleurs de l'autre sont parfaitement mis en valeur par les dialogues qui n'hésitent pas à forcer le trait de leur attachante bêtise, voire de leur trouble passé en sautant à pieds joints dans l'irrespect le plus total (la sainte mère de famille voit par exemple son ancienne vie d'étudiante délurée dévoilée au grand jour).


Les réalisateurs n'hésitent jamais à mettre les pieds dans le plat, en balançant les vannes les plus méchantes avec la plus totale décontraction. Il y a quand même de l'humour "gentil", simplement absurde (par ailleurs assez efficace), mais il est tout de même minoritaire. Le film est le plus souvent assez sale, à la limite du crasseux pur, notamment quand les gags du film font intervenir d'énormes pénis, des excréments ou des seringues usagées, des pédophiles ou des croix gammées, mais c'est aussi le génie de ce film complètement débile : réussir à entasser des blagues toutes plus bêtes et crades les unes que les autres dans un très fluide enchaînement ne se souciant guère de la bienséance, tout en gardant d'extrême justesse un esprit familial clairement passé à deux doigts d'une interdiction aux moins de 12 ans. Je ne serais d'ailleurs pas étonné d'apprendre que l'échec du film serait au moins en partie dû à son ciblage marketing, Vive les vacances étant vendu comme une comédie familiale alors que la cruauté de ses vannes l'adressent plutôt à un public nettement adulte. Les enfants du film eux-mêmes semblent le savoir, en étant totalement détraqués : le cadet interprète littéralement un psychopathe souhaitant la mort de son grand frère (lequel est d'ailleurs brillamment interprété par un certain Skyler Gisondo qui s'illustrerait quelques années plus tard dans "Licorice Pizza" de Paul Thomas Anderson (et dans le jeu The Quarry, mais silence pudique sur ce dernier point)).


Et c'est au final peut-être aussi l'époque qui fait prendre de la valeur au film. Récemment, une certaine production AppleTV+ parlant notamment de suicide affichait un carton d'introduction aux personnes sensibles pour prendre le sujet avec le plus de gants possibles sans heurter qui que ce soit. C'est en train de devenir la norme, parce que la société change. Or, dans Vive les vacances, la même question est abordée sans aucune délicatesse : la famille Griswold passe à deux doigts de la mort à cause du suicide d'un personnage tiers qui tente de les emporter avec lui. C'est brutal. C'est bête. Et c'est drôle. C'est sans doute drôle parce que c'est bête et brutal. C'est sans doute drôle, surtout, parce que le duo de réalisateurs exigent de lui-même un sens du timing et de la punch-line qui ne souffre d'aucun reproche. La famille, particulièrement gratinée, ne se voit rien épargnée. Les personnages qu'elle rencontre au fil de son road-trip tout cassé non plus : en troisièmes rôles, Charlie Day, Chris Hemsworth, Leslie Mann et Norman Reedus sont juste absolument parfaits et n'hésitent pas à enclencher le mode auto-dérision maximal sans prendre aucune pincette. Pour ce dernier acteur en particulier, qui interprète un camionneur violeur d'enfants croisé par hasard sur l'autoroute (ma foi), le décalage est tel que je n'ai pas pu m'empêcher d'écarquiller les yeux en me rappelant sa performance dans Walking Dead ou Death Stranding. Il faudrait que je demande à Podalydès son avis sur Kojima d'ailleurs, mais je vais m'arrêter là : si du bon humour crado ne vous fait pas peur, n'hésitez pas à vous pencher sur la première réalisation des messieurs "Donjons et Dragons", aujourd'hui sans doute bien plus drôle qu'en son temps.

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le 8 mai 2023

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Seb C.

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