Après nous avoir emballés au fil de ses performances d’acteur (Little Miss Sunshine, There Will Be Blood, Prisoners, Swiss Army Man), Paul Dano présentait son premier film à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise en mai dernier, avant d’être retenu dans la sélection du ZFF. Wildlife expose les tragiques désillusions d’un couple pourtant taillé pour les étoiles au coeur d’une Amérique profonde baignée de mélancolie. C’est dans ce cadre tout bonnement époustouflant (les massifs olympiens du Montana, à l’époque dévorés par les feux de forêt) que Paul Dano plante la paire de rêve Jake GyllenhaalCarey Mulligan au pied des cimes rosées d’un continent à l’aube de son essoufflement. Dans cet environnement paisible se succèdent les couchers de soleil spectaculaires, sans pour autant laisser entrevoir la moindre perspective d’héroïsme dans l’horizon.


Wildlife est une plongée au coeur de l’intimité d’une petite famille en décomposition, non sans rappeler Faute d’Amour d’Andrey Zvyagintsev (l’enfant victime, malmené, oublié, voire utilisé au gré des querelles entre ses parents) ou Les Noces Rebelles de Sam Mendes pour sa profonde réflexion sur le modèle américain du couple et de la famille dans les années 60. Un univers qui évoque les plans crépusculaires de The Tree of Life, et qui transpire l’Amérique fantasmée d’Edward Hooper, picturiste culte des classes moyennes de l’époque (maisons en bois, dinners, avenues résidentielles, …). Mais aussi un cadre dans lequel un homme ne peut se considérer comme un bon père (ou se considérer tout court) s’il n’a pas d’emploi, et n’offre pas à son foyer les moyens d’adopter un style de vie similaire à celui de ses semblables des suburbs voisines.


Sa perte d’emploi provoque alors la rébellion, la honte, l’isolement, puis la fuite… et pour sa compagne, une incapacité systémique à le soutenir sans blesser, dans une société codée et genrée à l’usure. En résulte chez elle un désir flamboyant de vie, d’indépendance de de reconnaissance face à l’oubli, et le coup d’envoi de la saison des égarements, des doutes et des sanglots. Véritable éponge débordant de belles intentions, leur fils de 14 ans Joe devient malgré lui le complice désolé de tous ces malheurs qui deviendront les siens, pour une adolescence et une construction des plus sauvages.


À l’image des cinéastes cités précédemment, Paul Dano parvient à donner à son premier projet un souffle rare – une âme – en se passionnant autant pour son contexte que pour l’intimité de ses protagonistes aux masques travaillés avec densité, et interprétés avec humanité. Cette force repose sur la capacité totale à faire de ses personnages des “nous” et, symétriquement, d’une situation de famille classique une tragédie grecque, car présentée à hauteur du regard de ceux qui l’animent et la traversent. On souffre continuellement pour Joe, mais aussi pour ce couple qui vacille et se désintègre avant même de s’en rendre compte, loin des préoccupations de l’amour et du manque. Les jadis tourtereaux se noient dans un rêve américain tyrannique composé d’hommes de la maison et de “petits bras”, d’entrepreneurs plein aux as et de loubards prêts à tout pour 1$ de l’heure, de gamins mieux tombés et d’autres qui, à travers leur adversité et leur détermination, se chargent à leur manière de perpétrer la légende de l’Ouest pour les décennies à venir.


— vu au ZFF 2018 | article complet disponible sur TheBergerie.net

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le 5 oct. 2018

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