Qu’il vaut mieux apprendre aux enfants à admirer la vérité que la force

Eh bien, cela me choquerait presque moi-même, mais finalement je l’ai trouvé mignon tout plein, ce Wonder Woman 1984 ! Entendons-nous : c’est bourré de niaiserie, de fonds verts baveux, d’effets moches et de choix de mise en scène mollassons. Mais la démarche étant délibérément inscrite dans une esthétique enfantine naïve et surannée, ça n’est, au fond, jamais si gênant.


Il s'agit ici d'un film qui s’assume comme prioritairement adressé à un public de petits, et ma foi, dans ce registre, je le trouve tout à fait louable : outre que cela soit rigolo, coloré et fait de bon cœur, cela prend le temps surtout de dispenser de l’attention à ses personnages, et parvient à construire quelques situations assez franchement émouvantes. (Enfin, je ne mentirai pas : les relations père-enfant sont ma corde sensible, et il suffit de peu sur ce registre pour placer mes émotions sous assistance respiratoire. Et sans trop révéler quoi que ce soit sur le film, il se peut fort que son dénouement ait à cet égard quelque peu aboli mon jugement.)


Quoi qu'il en soit, il faut dire en premier lieu qu'il s'agit d'un film bienfaisant. Y compris avec ses antagonistes. Et qu'il ne s'y trouve aucune joie mesquine ou revancharde. Or, la chose n’est pas franchement si courante : le cinéma hollywoodien est en général pétri de valeurs basses, de culte de la force triomphante du héros, de sentiments grégaires un peu primitifs, de malveillance justifiée sous couvert de providence, de satisfactions sadiques déguisées en juste rétribution des méchants, etc.


Rien de cela, ici.


L'héroïne passe une bonne partie du film affaiblie, et sa victoire n'est pas obtenue en écrasant le méchant par la force, mais en le sauvant de lui-même.


Bien entendu, la chose est assez mièvre dans l'exécution. Mais après tout, ça ne s'en cache pas, et la mièvrerie est-elle en soi si honteuse ?


L’intrigue est pensée pour fonctionner à la façon d’un conte, qui explique qu’on ne consent à devenir mauvais que sur fond de tromperie ou de mensonge, et que la vérité n’est pas seulement révélatrice de la tromperie, mais aussi moralement réparatrice. Bref, que la vérité, bien conçue, rend bon. Dans l’idée, tout cela est philosophiquement assez proche d’un intellectualisme moral platonicien – l'idée que nul n'est méchant volontairement, et que quelqu'un qui conçoit lucidement le mal qu'il fait ne peut vouloir continuer à le faire. Et je dois dire : quitte à ce que ce soit naïf, quitte à ce qu'il faille plus tard porter dessus un regard critique, j’aime tellement mieux que des gosses grandissent en mûrissant ce type de pensées qu’en trouvant cela jouissif qu’un milliardaire génocide le camp ennemi d’un claquement de doigts ! — coucou, Tony Stark.


Lu à travers ce prisme, le film n'est pas dénué d'une jolie cohérence dans sa construction. Ce thème de la vertu morale de la vérité y est transversal : il fait le cœur de la séquence d'introduction (enfant, l'héroïne doit assumer la frustration d'apprendre qu'un succès fondé sur une tromperie n'est pas un succès), il trouve son aboutissement dans la résolution de l'histoire (vous verrez bien), et déploie toutes les péripéties intermédiaires comme autant de scrutations des attraits du mensonge, puis évidemment de leurs retombées néfastes.


(Il est un peu triste d'avoir à se satisfaire d'accomplissements narratifs si élémentaires que cela, me direz-vous – et vous aurez raison – mais la cohérence thématique d'une histoire se déployant d'un début vers une fin pour s'y résoudre et s'y clore n'est malheureusement plus un acquis, comme la plupart des films du genre en ont fait la démonstration par le foutoir narratif et thématique digne de créatures de Frankenstein qui y règne.)


Une occasion ratée, tout de même.
Le concept même de l’intrigue :


cet artefact qui réalise n'importe quel vœu, mais occasionne des contreparties funestes qui ne se perçoivent qu'indirectement, soit qu'elles occasionnent des dégradations invisibles dans le corps et l'esprit de celui dont le vœu est réalisé, soit qu'elles induisent des effets sociaux pervers dérivés...


... cela se prêtait idéalement à une critique politique du capitalisme – surtout en ayant pour cadre les années 80 et l’avènement du consumérisme débridé, et pour grand antagoniste une espèce d'avatar de Bernard Tapie. Au lieu de quoi ça se limite à une critique morale de la cupidité individuelle, ce qui est forcément une approche réductrice du problème. Mais enfin, on ne va pas non plus attendre sur les mastodontes à 200 millions de dollars pour critiquer le capitalisme.


Bref, en tout et pour tout, j’en suis le premier étonné, mais c'est une jolie surprise de fin d’année et, à mes yeux du moins, une suite très supérieure au premier volet, parce qu'à l'aise dans sa candeur, et finalement moins engoncée dans une gravitas mal maîtrisée qui rendait souvent le premier film grotesque malgré lui (dans son affrontement final contre Arès, tout particulièrement).


En passant, je serais d'ailleurs peu étonné que le film reçoive un accueil mitigé, précisément pour des raisons qui à titre personnel me l'ont fait apprécier : parce qu'il refuse la rétribution sadique du grand vilain, se prend peu au sérieux, est plus généreux en affection qu'en sens épique, passe bien plus de temps à soigner son histoire, ses personnages et son optimisme qu'à valoriser des prouesses badass chez son héroïne, et s'adresse aux petits plus qu'aux grands dadais adulescents.

trineor
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le 30 déc. 2020

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trineor

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