Analyser la filmographie de Takashi Miike est un exercice complexe, qui exige d’embrasser toute l’extravagance d’un cinéaste éclectique. De ses expérimentations dans le V-Cinema (le D-T-V japonais) jusqu’à ses envolées artistiques – en passant par une myriade de films plus ou moins réussis – le réalisateur a toujours cultivé l’inconvenance avec une inconstance admirable.
C’est en vidéo que Takashi Miike avait présenté Yakuza Apocalypse : The Great War of the Underworld (Gôkudo Daisensô) lors du festival de Cannes. Grimé en geisha pour l’occasion, le metteur en scène avait invraisemblablement annoncé qu’il s’agirait de sa dernière oeuvre violente – préférant désormais se consacrer à des histoires d’amour et d’amitié. Gôkudo Daisensô suit les errances d’un clan de yakuzas dont le boss, Kamiura (Lily Franky), est un vampire. Pourchassé par un syndicat supranaturel – composé d’un prêtre anglophone portant un cercueil sur son dos (clin d’œil au Django de Corbucci, déjà évoqué dans Sukiyaki Western Django), d’un kappa, d’un nerd adepte du pencak silat (Yayan "Mad Dog" Ruhian) et d’une grenouille anthropomorphe quasi-indestructible – Kamiura sera battu à mort au cours d’un combat. Il aura juste le temps de mordre l’un de ses subordonnés, Kageyama (Hayato Ichihara), pour que ce dernier puisse embrasser à son tour la voie du yakuza vampire…


Yakuza Apocalypse est une énième œuvre erratique, au diapason du cinéma de Takashi Miike. Hommage à la frénésie pulsionnelle de ses premiers essais, ce nouveau film s’avère aussi hystérique qu’ennuyeux. Porté par un anti-scénario arythmique et déstructuré signé Yoshitaka Yamaguchi, Yakuza Apocalypse démarre pourtant sobrement, en citant subtilement le Combat sans code d’honneur de Kinji Fukasaku. Cette introduction aux teintes sombres plongera le spectateur dans une certaine langueur qui ne fera que décupler l’effet jubilatoire des éclats de folie…
Sous couvert d’une satire sociale (très) sous-jacente – en l’occurrence, l’emprise figurativement vampirique des yakuzas sur les citoyens japonais ; thématique identifiable et potentiellement intéressante – l’œuvre finit par multiplier les protagonistes superflus pour s’abandonner dans un trip démesurément grotesque. À l’image de sa love story aussi inutile qu’indigeste, Yakuza Apocalypse part dans tous les sens pour ne mener, en définitive, nulle part.


Bouillie conceptuelle mêlant allègrement yakuza eiga, mythe du vampire et kaijus impromptus, le long-métrage livre sur l’autel du non-sens autant de fragments absurdes qui s’enchevêtrent à mesure que le non-récit évolue. Quot capita, tot sententiæ, d’aucuns penseront que le dernier film de Takashi Miike n’est qu’une succession d’éléments aléatoires, flirtant dangereusement avec l’inconsistance. S’il est difficile d’affirmer qu’il n’en est rien, ce point mérite réflexion : le cinéaste nippon demeure un maître de la rupture de ton et de la mise en scène du ridicule, et Yakuza Apocalypse dénote une certaine virtuosité dans son iconisation de l’absurde. Miike parvient notamment à sublimer avec une aisance rare – compte tenu de l’inintelligence du scénario – la performance physique d’un homme-grenouille capable de contrer des tirs de mitrailleuse avec un nunchaku, tout en employant la musique de Kenji Yamashita avec maestria (bien qu’elle ne soit qu’une vaine parodie des bandes originales de yakuza eiga).


Nul autre metteur en scène ne pouvait offrir autant de cohérence – toute relative soit-elle – à une trame dramatique si chaotique et faisant fi des codes de narration les plus élémentaires. Car si Yakuza Apocalypse est un film raté à bien des égards (son écriture restant trop narquoise pour être honnête), la présence d’un réalisateur aussi jusqu’au-boutiste que Takashi Miike aux commandes en fait un divertissement généreux et possiblement appréciable, qui suscitera des éclats de rires mi-nerveux, mi-francs. Entre humour surréaliste, ambiance sonore faite de craquements d’os et démonstrations de maîtrise martiale, Yakuza Apocalypse est une ode à la démence et aux délires jouissifs, aussi anarchique que maîtrisée. Vos cerveaux baigneront dans un liquide stellaire, et vous ne parviendrez plus à calmer les soubresauts spasmodiques de vos paupières…


(Retrouvez la critique sur films-horreur : Yakuza Apocalypse)

MDCXCVII
6
Écrit par

Créée

le 5 oct. 2015

Critique lue 944 fois

3 j'aime

MDCXCVII

Écrit par

Critique lue 944 fois

3

D'autres avis sur Yakuza Apocalypse: The Great War of the Underworld

Du même critique

Les Innocentes
MDCXCVII
6

Extrême pudeur

Inspiré par le journal de Madeleine Pauliac, résistante et médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie pendant l’après-guerre, Les Innocentes (ex Agnus Dei) pâtit d’un traitement d’une froideur...

le 15 févr. 2016

15 j'aime

Louis-Ferdinand Céline
MDCXCVII
3

Caricature(s)

Dans son sixième long-métrage, Emmanuel Bourdieu traite de l’une des figures les plus controversées de la littérature française : Louis Ferdinand Destouches, dit Céline. En résulte une œuvre...

le 16 mars 2016

12 j'aime

Evil Dead Trap
MDCXCVII
8

Ero guro

Le Japon est un pays formidable, qui oserait en douter ? C’était pourtant mal parti, car il ne faut pas oublier que les japonais sont des êtres étonnants : ils mangent avec des baguettes, portent des...

le 1 mars 2015

12 j'aime