Youssef Salem (l’humoriste Ramzy Bedia), 45 ans, a du succès comme écrivain. En effet, on parle dans la presse de son premier roman : Le choc toxique. Mais il préférerait que sa famille ne le lise pas…


Premier souci

Le choc toxique évoque sans détour les raisons pour lesquelles Youssef s’est longtemps méfié des femmes, parce qu’il croyait qu’avoir des relations sexuelles ne pouvait que le tuer. Ainsi, adolescent, son attirance pour Léna, la fille du médecin de famille, le mettait à la torture (incrédule, il la retrouve au présent du film, sous les traits de la charmante Vimala Pons), car sa mère l’emmenait régulièrement consulter. Puisqu’on ne parlait jamais de sexe en famille (sujet tabou), c’est qu’il constituait le mal ultime, ce qu’on retrouve dans le livre, sous la forme d’une belle histoire d’amour qui se termine par une étreinte et une extase mortelle (le film montre l’anecdote pour illustrer la lecture d’un extrait du roman).


Second souci


Le choc toxique peut passer pour un roman aux yeux du public ou de la presse, mais pas aux yeux des frères et sœurs de Youssef (fratrie de quatre, deux garçons et deux filles). Or, même si Youssef romance, ils se reconnaissent (sauf Mouss (Oussama Kheddam) qui déplore qu’on ne parle pas de lui…). De plus, il révèle des points particulièrement sensibles. Le film s’intéresse donc à l’autofiction avec tout ce qu’elle entraine, en montrant que si lui, l’auteur considère qu’il fait œuvre d’écrivain en utilisant un matériau de base pour le retravailler selon son inspiration et avec la langue comme élément fondamental, les personnes qu’il évoque (même de façon déguisée), peuvent mal le prendre. Ici, le film aborde le sujet selon l’angle de la comédie, ce qui n’empêche pas les grincements de dents (le livre contient quelques révélations).


Attention, danger !


Le vrai souci pour Youssef, son frère et ses sœurs, c’est comment leurs parents réagiront quand ils découvriront Le choc toxique. Il faut dire que, même si Youssef fait l’impossible pour empêcher cette découverte (source de gags), il ne fait que retarder l’échéance. En effet, son père (Abbes Zahmani) étant un féru de la langue française, il se fait un devoir de relire et corriger les manuscrits de Youssef. D’ailleurs, comment Youssef a-t-il pu « oublier » de lui faire lire celui-ci (même s’il ne s’agit pas du seul qu’il attend vraiment : une biographie d’Abd el-Kader) ??


Le prix Goncourt


Tout cela passe au second plan quand Youssef apprend par son éditrice (Noémie Lvovsky) que Le choc toxique figure sur la short list du prochain prix Goncourt. L’utilisation probablement délibérée par les scénaristes (Baya Kasmi et Michel Leclerc) d’une expression anglaise bêtement élitiste (un équivalent français pour un prix littéraire emblématique de la culture française devrait s’imposer), met en valeur les réactions de la mère (Tassadit Mandi)

qui comprend concours au lieu de Goncourt parce qu’elle entend mal et qui traduit short list en petite liste.

Autant dire que les pratiques du microcosme littéraire français (édition, journalisme, etc.) en prennent un coup.

Nous apprenons ainsi, lors d’un débat télévisé entre critiques en désaccord, que Le choc toxique comporte de nombreuses fautes d’orthographe, ce qui lui vaut quelques remarques assassines. En réalité ces fautes ont été laissées volontairement par Youssef, pour que son père ait le plaisir de les corriger.

Youssef et ses contradictions !…


L’arabité en question


Alors qu’on attend de ce film réalisé par Baya Kasmi, que les origines algériennes de Youssef constituent LA problématique, on finit par se dire que sa façon d’exercer le métier d’écrivain ressort davantage. Pourtant, de nombreuses scènes familiales (essentiellement de comédie) enrichissent le film, illustrant les caractères des uns et des autres, par quelques échanges assez vifs.

Exemple avec cette scène en voiture entre Youssef et sa sœur Bouchra (Melha Bedia) où le ton monte, pour se finir brusquement… et chaleureusement, laissant entendre que la confrontation n’était qu’une sorte de sketch bien orchestré. On remarque aussi que dans la famille Salem, toutes et tous sont bilingues arabe-français, signe qu’ils sont plutôt bien intégrés (Youssef a ses quartiers entre Belleville et Port-de-bouc près de Marseille, sans qu’on comprenne pourquoi). D’ailleurs, une scène dès le début montre un souvenir d’enfance crucial (scène de l’autofiction du livre), où le père de Youssef lui fait la leçon après qu’il ait commis une grave faute. Et, au chapitre des souvenirs d’enfance, une autre scène issue de l’autofiction nous indique qui a joué le rôle du grand méchant loup dans la famille : une personne réelle dont une apparition tristement célèbre à la télévision amuse par contraste.


On apprend que salope n’est pas le féminin de salaud


Le film ne se limite donc pas à un scénario avec des dialogues enlevés qui fonctionnent grâce à une bonne direction d’acteurs. Il s’avère bien rythmé (un peu moins dans sa dernière partie), aussi bien par ses choix de réalisation que par sa BO. On peut également apprécier qu’il imbrique très naturellement les scènes du présent de narration avec des souvenirs et l’illustration visuelle de scènes du roman, extraits lus en parallèle. Par contre, on finit par se dire que les tabous familiaux mis en évidence ici n’ont rien de bien extraordinaires et ne doivent donc pas grand-chose au fait qu’il s’agisse d’une famille d’algériens résidant en France. Concrètement, les enfants ont très naturellement le réflexe de taire ce qu’ils pensent devoir irriter les parents, parce que la relation parents-enfants est ainsi : chaque génération cherche à protéger l’autre, et pour ce faire on prétend que tout va bien, sans réaliser qu’on élabore une chape de silence qui peut être perçue comme une sorte d’étouffement. Ici, tout cela se trouve cristallisé par le travail d’écriture, acte que le père vénère particulièrement, au point de connaître le français mieux qu’un français de souche et allant jusqu’à reprendre Youssef, l’écrivain reconnu et célébré, sur une tournure de phrase banale à l’oral. C’est à la fois simple et compliqué et on peut en rire. C’est toute l’habileté de Youssef Salem a du succès qui mélange évidences et subtilités, ainsi que quelques contradictions et des caractères forts, pour générer de l’émotion et de la complicité.


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le 26 janv. 2023

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