Une expérience immersive mais pas subversive

Flower et Journey de That Game Company sur Playstation 3 ont acquis un beau succès d’estime avec le temps et leur empreinte sur la génération suivante se fait encore sentir sur des titres se réappropriant leur concept. Abzû a cette légitimité supplémentaire d’avoir pour game-director Matta Nava, qui était alors directeur artistique sur les références précédentes et qui a fondé le studio Giant Squid dont Abzû est le premier titre. Par conséquent, si une évolution, voire un renouveau, du concept peut être attendu par un titre, ça pourrait bien être par cette ballade sous-marine. Je vous propose de découvrir si je pense le défi relevé en écoutant le long et magnifique thème Their Waters were mingled Together.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆



Puisque Abzû est davantage une œuvre contemplative que ludique dans ses promesses, c’est sans doute la réalisation et l’esthétisme qui priment le concernant et ce n’est clairement pas là qu’il peut décevoir. Les couleurs extrêmement vives des environnements sous-marins, de par leur végétation, leur faune, leur source de lumière… constituent un ensemble de décors des plus plaisants à parcourir et les développeurs ont pensé à placer des points d’observation pour chacun de ces environnements afin de tout en voir par la perspective des animaux s’y baladant. Il y a tout de même quelques légers soucis de caméra lorsque l’on passe d’un animal à l’autre, passant à travers les parois plutôt qu’en les contournant élégamment, mais ça ne gêne pas trop.


Ça permet surtout de se rendre compte que ces environnements sont assez vivants avec plein de réactions à nos mouvements comme les anémones ou les bénitiers se refermant ou s’ouvrant à notre passage. Des environnements assez oniriques ou antiques apportent une originalité supplémentaire et leur découverte peut amener parmi les moments les plus intenses de l’expérience contemplative. Un petit peu de folie ne fait pas de mal pour surprendre et bien sûr le plus important c’est que ça s’inscrive tout de même dans la direction artistique globale, sans surprise c’est le cas ici. Un vrai lien unit les environnements les uns aux autres et offre des possibilité de les redécouvrir sous un jour différent. Cette redécouverte peut aussi avoir un sens scénaristique sur lequel nous reviendrons plus tard.


Les créatures sont quant à elles directement reprises des recherches que l’on peut mener dans les océans pour en savoir le plus possible sur la vie animale, aussi bien près de la surface que jusqu’au fond des abysses. Pour le coup, il n’y a pas beaucoup de folie dans leur design, même vers la fin où les abysses auraient pu être prétexte à développer un peu l’imaginaire, on reste dans un design classique avec une animation soignée, et procédurale aussi. La caméra s’adaptera pour montrer le gigantisme de certains même si j’ai trouvé que ce n’était pas si mis en avant que ça, c’est peut-être ce qu’il manque pour atteindre l’excellence de l’excellence, des créatures préhistoriques gigantesques avec une mise en scène de fou pour surprendre et intensifier les derniers chapitres qui ont tout de même un peu recours.


Si les animaux n’arborent pas des textures ultra détaillées, voire même plutôt épurées, le nombre de créatures en mouvement à l’écran peut être assez conséquent en contrepartie, d’autant que leurs mouvements peuvent êtres induits par nos mouvements à nous. Le banc de poissons à la forme sphérique aurait été par exemple beaucoup plus difficile à réaliser si chacun des poissons avait des textures fines et uniques, or il aurait vraiment été dommage de s’en passer. Une concession technique peut-être plus gênante c’est que la taille des zones de jeu n’est jamais très grande avec des murs invisibles qui peuvent s’avérer parfois un peu grossiers, mais rien d’alarmant non plus.


L’absence d’interface, la continuité entre l’écran titre et la phase de gameplay… sont les moyens habituels mais efficaces pour renforcer le sentiment d’immersion, et là pour le coup le terme prend tout son sens. Malheureusement, ils n’ont pas pu chasser absolument tous les temps de chargement, assez longs pour certains sans le recours à un SSD, on ne peut donc pas parler d’un plan séquence total des plus en adéquation avec l’objectif d’immersion, ça aurait été un plus très appréciable, surtout que l’enchaînement des chapitres en donnait toute la justification nécessaire.


L’OST se présentait comme une valeur sûre puisque son compositeur n’est autre qu’Austin Wintory, qui a travaillé sur, comme c’est étonnant, Flower et Journey, et sans surprise la composition musicale est une petite merveille. Les voix posées sur les mélodies reposantes ou entraînantes marchent très bien pour en intensifier les passages. Les premières notes entendues pour chaque pilier font une référence aux premiers Tomb Raider qui fait plaisir et c’est très pertinent puisque ça rappelle cette sensation de découverte que l’on pouvait en avoir. En somme, s’il n’y a pas le grain de folie dans le design des créatures et si la technique a encore quelques petites limites secondaires, la réalisation et l’esthétisme d’Abzû sont très solides, mais est-ce la seule réussite du titre ?



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆



De la même manière que ses prédécesseurs, si on peut les appeler ainsi, la narration d’Abzû est principalement environnementale, sans aucun dialogue notamment. Ça ne l’empêche pas de développer une petite histoire, qui on ne va pas se le cacher repose sur les partis pris et forces bien connus du travail de Matt Nava. Nous sommes largués dès le début dans la flotte d’un vaste océan, au nom évoquant la mythologie mésopotamienne, aux contrôles d’un personnage humanoïde dont on ne sait absolument pas qui il est, ni quel peut être son but, à nous de le découvrir, voire peut-être même de l’imaginer.


La conséquence de notre avancée dans la trame semble simplement de redonner vie à des zones sombrant dans un vide de couleur et de vie bien déprimant, en répandant une énergie insuffler à la nature une vigueur très mise en avant. Les constructions artificielles, et même industrielles, sont, comme elles l’étaient dans Flower, associés facilement au danger menaçant et au sentiment d’oppression là où la nature est associée au calme paisible et au sentiment de délivrance. Le message écologique, s’il n’est pas subtil, est plaisant et efficacement narré mais c’est un ressort narratif déjà vu du coup 7 ans auparavant.


La densification du récit vient par la même mécanique que Journey, avec ces temples antiques aux inscriptions et peintures contextualisant les choses. Par exemple, on voit des créatures humanoïdes nous ressemblant un peu mais pas totalement prendre une eau dans des jarres, puis on les voit verser cette eau qui semble insuffler la vie, par la suite on voit un humanoïde cette fois-ci comme nous capable de transporter cette énergie en nous, enfin on nous voit dominer des machines avec cette source d’énergie. Tous ces événements ont été ou seront retranscrits dans une situation de jeu au cours de l’aventure, nous permettant un peu mieux de comprendre le sens de notre quête sans que l’explication ne soit exhaustive et explicite.


Tout ça est très bien fait mais n’est en réalité que le message scénaristique d’un jeu déjà existant, sous l’eau plutôt que sur terre mais sinon c’est pareil, avec la narration d’un autre jeu déjà existant, sans les autres fulgurances qu’il pouvait avoir, sans même parler d’un renouveau, on ne peut même pas parler d’évolution pour le coup. Bien que le recyclage soit par nature écologique, je ne le trouve pas très pertinent dans le cas présent. Une thématique forte supplémentaire ou un autre mécanisme de narration auraient vraiment été bienvenus pour qu’Abzû ait sa propre identité sur la question.


Par ailleurs, il manque peut-être un petit aspect encyclopédique, alors que les noms des animaux suivis en phase de méditation ou montés en phase de jeu apparaissent, il y aurait pu y avoir des informations sur eux en même temps, avec même pourquoi pas un narrateur dont on pourrait déclencher si on le veut la voix off. Ou alors on aurait pu débloquer des entrées encyclopédiques en réalisant certaines actions et qui resteraient dans le menu, pour ne pas interférer avec l’immersion de l’aventure. Un vrai aspect éducatif aurait beaucoup apporté à l’expérience narrative à mon sens et aurait permis une distinction par rapport à Journey et à Flower qui en étaient dépourvus.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★☆☆☆☆☆



Une expérience ludique à visée essentiellement contemplative n’en demeure pas moins une expérience ludique, on ne regarde pas un film d’animation, on ne lit pas un beau livre, on joue à un jeu vidéo et il ne faut pas négliger cette dimension là du titre quand il s’agit d’en faire une critique comme je veux le faire. La nage, cœur du gameplay bien évidemment, est plutôt bien faite en incluant une touche à maintenir pour avancer et une appuyer pour accélérer le mouvement, en plus des traditionnels joysticks pour orienter déplacement et caméra.


Si l’on a pas besoin de recourir aux différents mouvements possibles pour avancer dans la trame principale, le jeu nous laisse la liberté de réaliser petites acrobaties et synchronisation des accélérations pour s’avérer plus plaisant et complexe, même si ça reste un maniement très basique. On aurait pu imaginer par exemple que les différentes montures induiraient des mécaniques de jeu différentes pour renouveler l’expérience ludique en tant que telle, mais ça restera toujours très simpliste et c’est un peu dommage parce que ça aurait vraiment légitimer cette feature qui est au final anecdotique.


Le maniement sur le sol, pour les rares moments où ça arrive, est un des plus lents et des plus sans intérêt que l’on ait vu depuis un moment, ça souligne l’importance du gameplay sous-marin et ça dure jamais assez longtemps pour constituer un réel problème, mais ça aurait pu être l’occasion de justement surprendre. J’aurais bien vu un level-design où on est limité à pied dans un environnement avant de le recouvrir par les eaux pour exploiter tout ça différemment, avec un vrai gameplay à pied et des possibilités uniques auxquels il faudrait recourir. La navigation dans les phases de médiation, par conséquent facultative, est également un peu brouillonne.


Certains bonus facultatifs peuvent être assez intéressants en soi, comme trouver les points de méditation, soit d’observation, qui permet de mieux voir ce qui nous entoure et le suivi d’un animal en particulier peut amener à des découvrir des petits passages cachés. Ils sont aussi intelligemment sauvegardés et dévoilés dans des décors à observer plutôt que dans un menu ou dans un récapitulatif en fin de titre, une belle initiative en accord avec le soucis de rendre l’expérience la plus immersive possible, comme évoqué plus tôt.


Le premier problème principal c’est que c’est vraiment très court en contenu, même quand on y ajoute tous ses petits à côtés facultatifs. Comme le pouvaient l’être Flower et Journey me direz-vous, mais là la singularité du concept se perd un petit peu et compense moins ce défaut. Et comme en plus les situations de jeu peuvent être recyclées sur différents chapitres, c’est quand même limite. Ce n’est évidemment pas le challenge qui compensera, certaines énigmes facultatives peuvent être assez complexes mais rien d’extra-ordinaire, et il y a même impossibilité de perdre pour les phases d’adresse, même quand on se prend un coup vraisemblablement fatal, on n’a pas vraiment de sanction à ça.


Le second problème principal c’est l’absence d’une réelle singularité dans la proposition ludique, Flower avait sa jouabilité tout à la détection de mouvement, Journey avait cette implémentation discrète et unique du multijoueur, Abzû n’aurait que ses montures dont il ne se sert pas finalement. Je ne suis pas sûr que de nous mettre sous l’eau à nager suffise à offrir une proposition ludique originale en soit.



CONCLUSION : ★★★★★★☆☆☆☆



Abzû fut une expérience contemplative très efficace pour moi, notamment grâce une OST formidable et à des forces visuels, techniques comme esthétiques, incontestables mais la faiblesse de sa proposition ludique, la pauvreté de son contenu et la redite de son récit en limitent le potentiel. Nous sommes bien loin du renouveau du genre et très près d’une déclinaison de plus, avec sa propre identité visuelle certes, mais pas grand-chose d’autre d’unique.

damon8671
6
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le 16 sept. 2019

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damon8671

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