Le plus Obsidian des jeux Obsidian
Alpha Protocol, c'est l'archétype du jeu Obsidian. Il n'est pas beau, il est un peu bancal et carrément déséquilibré par moment et il ne plaît pas à tout le monde, mais qu'est-ce qu'il est bien écrit!
Dans Alpha Protocol, le joueur est placé dans la peau de Michaël Thorton, nouvelle recrue de l'agence d'espionnage américaine ultra-confidencielle Alpha Protocol. Mais là où on s'attendrait à trouver une FPS/TPS, AP est en réalité, Obsidian oblige, un Action-RPG « à la Mass Effect ». Et contrairement à la saga de Bioware, c'est la composante RPG qui domine ici.
C'est sans doute pourquoi les phases d'action d'AP ne sont, il faut bien le reconnaître, pas transcendantes. Premièrement parce que la technique laisse pour le moins à désirer, notamment au niveau des animations, très rigides. Ensuite parce que les ennemis sont particulièrement stupides. Enfin parce que les compétences sont carrément déséquilibrées, en particulier le pistolet complètement pété qui permet de traverser les niveaux sans ciller. Tout n'est toutefois pas à jeter malgré ces défauts. Jouer un espion qui s'infiltre ni vu ni connu au nez et à la barbe d'une armée de sbires débiles ne manque pas d'un certain charme, et le système de compétence permet de créer plusieurs builds intéressants, qu'ils soient bourrins (compétences pour les armes, le corps à corps, la santé, les explosifs...) ou furtifs (compétences de discrétion, de crochetage, de gadgets, de piratage, etc.).
Mais là où Alpha Protocol excelle, c'est dans sa narration et son écriture. L'histoire en elle-même est somme toute classique pour qui a jamais vu un James Bond, avec un penchant pour la série B. Cependant, sa particularité est qu'elle s'adapte au comportement du joueur avec un brio sans doute jamais vu ailleurs. Malgré le fait que le joueur puisse choisir l'ordre des missions, on ne constate jamais d'incohérence. Un véritable tour de force, au vu des nombreux embranchements qu'il est possible d'emprunter. En effet, selon les paroles et les actes du joueur, un personnage pourra être un allié dans une partie et un ennemi dans une autre, voire même ne jamais être rencontré dans certains cas ; certaines informations ouvriront de nouveaux choix de dialogues ; l'ordre des rencontres variera ; etc. Cela est d'autant plus agréable que les effets de nos choix ne se font souvent ressentir que longtemps après qu'on les ait posés, ce qui empêche le retour en arrière et force à assumer ses erreurs.
Et surtout les dialogues ne sont pas en reste, marqués par le talent d'écriture et l'humour typiques des productions Obsidian. Les joutes verbales sont sans doute d'ailleurs le point le plus réussi du jeu. Au lieu de choisir directement une réponse, c'est une attitude que le joueur doit sélectionner, et ce en temps limité. Ainsi est-il possible de répondre de manière suave, professionnelle, agressive ou autres, sachant que chaque interlocuteur possède une affinité plus ou moins marquée avec chaque type de réponse. Un système bien plus subtil que celui de Mass Effect et ses dialogues manichéens, pour citer le jeu le plus proche d'AP. On prend son pied à déconner avec Steven Heck, à amadouer un ennemi pour le retourner ou au contraire à être odieux avec nos alliés, juste pour le plaisir de se les foutre à dos et peut-être obtenir une chance de s'en débarrasser. À noter qu'une classe Vétéran est disponible en New Game +, qui ouvre la voie à des dialogues savoureux où Thorton fait comprendre à son interlocuteur qu'il n'a pas besoin de conseil parce qu'après tout, le sauveur du monde badass, c'est lui.
En définitive, Alpha Protocol est donc un jeu incroyablement inégal, imparfait mais jouissif pour qui y accroche, avec une excellente rejouabilité et une écriture soignée comme rarement dans le jeu vidéo. Un jeu qui divise mais qui vaut vraiment le détour pour son originalité. Un A-RPG dans l'univers de l'espionnage, c'était un pari risqué mais à mon sens relevé haut la main par Obsidian.