Ne partez pas, il y a un paragraphe Résumé à la fin.


On ne se rend pas toujours compte à quel point un contexte peut influencer le succès d'un jeu.



Contexte



À la sortie d'Amnesia : the dark descent, les joueurs sortaient de Resident Evil 5 sur une impression mitigée (s'ils avaient su ce que leur réservait le sixième épisode !). Certes c'était sanglant, "horrible", mais l'ambiance poisseuse de RE4 avait été sacrifiée pour une mise en scène spectaculaire misant tout sur l'action et des personnages complètement insipides (on ne pardonnera jamais à Capcom le traitement réservé à Chris Redfield et Albert Wesker).


L'idée a alors germé que les gros flingues et le gigantisme n'étaient peut-être pas la meilleure voie vers la peur et qu'il ne serait pas plus mal de laisser le joueur démuni face à une menace plus subtile. Débarque alors Amnesia, projet qui répond pile-poil à ces attentes avec deux bonus :



  • c'est un jeu indépendant (Frictional Games était un petit studio de cinq personnes à l'époque) au moment où les grands studios sont accusés de produire des jeux de plus en plus standardisés et de moins en moins créatifs et suscitent plutôt la méfiance ;

  • c'est un jeu ouvertement inspiré de l'œuvre d'Howard Phillips Lovecraft (même leur moteur de jeu s'appelle le HPL Engine), célèbre auteur de récits d'épouvante du début du XXe siècle, souvent cité comme référence aujourd'hui.



Concept



Vous incarnez en vue subjective Daniel, personnage amnésique dans un château gigantesque, et vous devez – selon une note que vous avez rédigé vous-même – trouver et tuer un certain Alexander. Pour ce faire vous devrez traverser le château en esquivant les monstres, car vous n'avez aucune arme, tout en sachant que votre personnage dispose d'une santé mentale qui diminue lorsque vous vous trouvez dans l'obscurité ou que vous assistez à des événements étranges. Il faudra donc rechercher les sources de lumière, soit sous la forme de boîtes d'amadou pour allumer les chandelles, soit sous la forme de réserves d'huile pour alimenter votre lanterne. Enfin, l'un des principaux arguments d'Amnesia est son moteur physique : la plupart des objets que vous croiserez sur votre route sont manipulables, vous pouvez bouger les chaises, les bibelots, ouvrir les portes et les tiroirs en tirant ou en poussant votre souris, etc.


Problème : tous ces éléments sont bancals.



Ce qui ne va pas



Pendant les premières minutes du jeu, quelque chose cloche avec le choix de la vue subjective : au lieu de vous impliquer personnellement, le jeu vous rappelle à la moindre occasion que vous contrôlez un Autre – Daniel – qui gémit, sursaute, se recroqueville quand des bruits se font entendre. On dirait que le jeu vous force la main : « C'est le moment d'avoir peur ! ». Heureusement ce procédé se fait moins présent au fur et à mesure de la progression et vous ne serez généralement interrompus que par des flashbacks auditifs – nous y reviendrons.


Le gimmick de l'obscurité et de la santé mentale ensuite. Alors que le jeu tient plutôt la route graphiquement, il devient flou, grisâtre et granuleux sitôt que vous êtes dans l'obscurité. En fait, il est rare que vous soyez dans l'obscurité complète, vous ne perdrez pas vos repères ; en revanche votre santé mentale diminuera, et quand elle aura trop diminué, les hallucinations commenceront : limaces, tableaux dont les thèmes deviennent macabres, fontaine dont l'eau se transforme en sang et, ultime étape, un bruit strident tandis que Daniel semble avoir mis ces lunettes censées simuler l'état d'ébriété. Le problème, c'est qu'on fait vite le tour de ces hallucinations et qu'on n'y prête plus trop attention ; quant à "l'étape ultime", elle est juste un peu agaçante. Il paraît que ça augmente les chances de se faire attraper par un monstre. Peut-être, mais ça m'est arrivé une poignée de fois sans que ma vie soit mise en danger, et tandis que mon niveau de santé mentale indiquait le peu rassurant "..." je me disais simplement : « Bah, tant pis. », ce qui remet sérieusement en question son utilité. Dans Don't Starve, par exemple, les hallucinations peuvent vous tuer. Ce n'est pas grand chose, mais c'est suffisant pour vous faire baliser lorsque votre santé mentale diminue un peu trop.


Le moteur physique, enfin. Tout à l'heure, je parlais de bouger des chaises, des bibelots, ouvrir des tiroirs, etc. C'est prétendument immersif mais, trop souvent, ça ne sert à rien à part à dire : « Vous avez vu, vous pouvez le faire ! ». Déjà, de façon fort ironique et étonnamment peu mentionnée dans les critiques du jeu, les seuls objets que vous voudriez vraiment manipuler et emmener avec vous sont aussi les seuls avec lesquels cela se révèle impossible : j'ai nommé les chandelles. Bien sûr, cela aurait fichu en l'air toute la mécanique de l'obscurité et de la santé mentale (qui ne sert déjà pas à grand chose comme on l'a vu), mais dans ce cas il ne fallait pas permettre qu'on se balade avec une petite statuette ou une bouteille dont on se moque complètement. Moi je m'amusais à redresser toutes les chaises renversées sur mon chemin, histoire de remettre un peu d'ordre. Le ménage : activité terrifiante s'il en est.


Le véritable problème de ce moteur physique, c'est que les objets avec lesquels il est utile sont rares tandis que les objets avec lesquels il est inutile sont redondants. Les bibelots, les tableaux, les meubles, tout a été acheté chez le grossiste et se retrouve à l'identique d'une pièce à l'autre. Surtout, la quasi totalité des placards et des tiroirs sont vides, ou contiennent un balai, une chemise, trois feuilles de papier, mais il faut les ouvrir dans l'espoir de trouver une boîte d'amadou. Comment peut-on trouver cohérent et crédible un tel univers ? On s'est parfois moqué du manoir Spencer de Resident Evil (Game Cube - 2002) mais, alors qu'on ne peut que très peu interagir avec le décor, il reste infiniment plus riche, cohérent et immersif que le château d'Amnesia. Quant au sempiternel geste de pousser/tirer la souris pour ouvrir les portes, UNE SEULE FOIS il a son utilité, pour se cacher dans un placard (vide, comme d'habitude) lorsqu'un monstre rentre dans la pièce.


Un mot sur le scénario : l'histoire est mal racontée. Des notes éparpillées au hasard sur votre chemin, sans qu'il soit besoin de fouiller pour les trouver, des fragments d'un même journal intime dont on se demande qui les a foutus là, et des flashbacks auditifs, c'est-à-dire d'anciennes conversations dont Daniel se souvient, qui interrompent le rythme en ralentissant vos actions pendant leur déroulement. C'est très sommaire, et les différentes fins ne rattrapent rien : deux, trois phrases de conclusion, rideau. En revanche l'univers de Lovecraft est bien retranscrit – mais je ne peux m'empêcher de glisser au passage qu'il s'agit d'un auteur bien surestimé, qu'on apprécie davantage pour les thèmes qu'il aborde (la fameuse horreur cosmique) que pour son style passable.



La peur



Pour finir, un mot sur la peur, objet principal du jeu. Je lisais dernièrement un article qui avançait l'idée que les jeux d'horreur devraient arrêter de tuer le joueur. Je reconnais que dans RE7, pour citer un exemple récent, mourir un certain nombre de fois au même endroit provoquait chez moi plus de l'agacement que de la peur. Pourtant, je persiste à croire qu'il faut une forme de sanction pour provoquer la peur. Or, dans Amnesia, vous ne risquez rien.


Car il n'y a curieusement pas de difficulté liée à votre fragilité. Ce n'est pas grave si vous mourez, vous le comprendrez bien vite ; ou peut-être pas d'ailleurs, car il est en fait assez rare qu'on se fasse tuer. L'arrivée d'un monstre étant accompagnée d'un motif sonore particulier, il s'agira en général de se cacher, d'attendre que le motif sonore s'arrête, et de sortir certain de sa sécurité. Le pire qui puisse vous arriver est de recommencer à l'entrée de la pièce dans laquelle vous étiez, et bien souvent le monstre aura disparu. Il y a beaucoup plus de chances que vous soyez mis en difficulté par une énigme ; c'est un choix comme un autre, mais ça ne participe pas à la peur.


Dès lors, pourquoi s'inquiéter ? Le château est certes un peu glauque (il contient même des cachots et des salles de torture), il y a de la tension, mais pas de quoi s'affoler non plus. À un moment donné, les conversations avec Agrippa, un personnage dont l'âme est enfermée dans une sorte de mort-vivant, sont mêmes plutôt légères.



Conclusion



Qu'Amnesia fasse peur à des personnes qui n'ont jamais touché à un jeu d'horreur, je le conçois. Mais je conçois mal que des habitués du genre aient été aussi singulièrement aveugles à tous ses défauts et puissent le tenir en si haute estime. Bien sûr, ce n'est pas si mal pour un jeu conçu avec peu de moyens par une petite équipe. Mais ça ne méritait pas une telle publicité élogieuse ; tout au plus ce conseil d'ami : « Tiens, j'ai découvert un petit jeu indépendant d'horreur, tu devrais y jeter un œil. Ce n'est pas parfait mais il y a quelques bonnes idées. » En revanche, à 20€, c'est trop cher.


D'où l'importance du contexte. Les joueurs étaient lassés des grosses productions avec surenchère d'action et d'effets tape-à-l'œil. En réaction, ils furent bienveillants et réceptifs en face d'un jeu qui prenait le total contrepied de cette mode. Amnesia avait gagné d'avance : ils voulaient tellement l'aimer.



En résumé




  • Le système de santé mentale ne sert à rien si ce n'est ajouter des effets cosmétiques parfois sympathiques (les tableaux devenant macabres), parfois discutables (mode bourré ON) ;

  • Les éléments du décor (mobilier, bibelots, tableaux) sont dupliqués ad nauseam dans les différentes parties du château, tous les meubles sont vides ;

  • Pouvoir manipuler une foule d'objets inutiles et identiques n'est pas intéressant ;

  • L'univers de Lovecraft est bien retranscrit, mais la façon de raconter l'histoire est singulièrement pauvre (des pages de votre journal éparpillées au hasard, des flashbacks auditifs intempestifs) ;

  • Mourir n'est pas un problème en plus d'être rare : à quoi bon s'affoler ?

Créée

le 16 sept. 2017

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