Ça fait déjà un petit moment que j'ai fini l'épisode originel, Another Code: Two Memories sur Nintendo DS, la première collaboration du studio indépendant CiNG avec Nintendo. Plus de 6 ans au moment où j'écris cette review, à vrai dire. J'ai du fouiller dans les tréfonds de ma mémoire pour m'en rappeler les détails. Et si ce jeu d'aventure plutôt conséquent en texte était assez imparfait et très court, il aura su me marquer suffisamment pour que des souvenirs me reviennent à l'esprit.

Another Code: R - A Journey into Lost Memories (sous-titré Kioku no Tobira au Japon, correctement traduit par Les Portes de la Mémoire en France) est sorti sur Wii en 2009, et son succès très modéré a d'ailleurs fait passer à la trappe une publication aux USA et sans aucun doute participé à la faillite du studio l'année suivante. Il s'agit toujours d'un jeu d'aventure très textuel, mêlant énigmes et explorations aux longs dialogues entre les personnages. Ce deuxième et certainement dernier épisode de la série aura-t-il su rattraper les défauts de son aîné ?

On retrouve donc la charmante Ashley Mizuki Robbins, 2 ans après la fin du premier épisode. Elle vit toujours chez sa tante, mais c'est maintenant une jeune fille de 16 ans... et ça se voit, puisqu'elle joue de la guitare dans sa chambre et qu'elle s'engueule avec son père. Elle n'a pas vraiment tort, cependant ! Ashley l'avait cru mort jusqu'à ses 14 ans... et après les péripéties survenues sur l'île de Blood Edward, il lui avait promis de venir vivre avec elle comme un père "normal". Promesse qu'il n'a pas tenue. C'est donc au fond naturel qu'Ashley soit frustrée lorsqu'elle reçoit de son père toujours absent un colis... surtout lorsqu'il ne contient rien d'autre que le nouveau modèle du système de communication DAS accompagné d'un bref message l'appelant à venir le rejoindre au Lake Juliet, près de son lieu de travail où il est resté cloîtré depuis tout ce temps.

Qu'est-ce qui frappe dès le début du jeu par rapport au premier épisode ? Hé bien, c'est simple : L'environnement est maintenant en full 3D, et heureusement de bien meilleure facture que les CGI de 2005. Une autre surprise suit : En fait, le jeu ne se joue qu'à la Wiimote, pas de Nunchuk ! Et pour cause : Pas besoin. En effet, les déplacements se font, eux, entièrement en 2D ! Les seuls déplacements possibles se font le long de chemins prédéterminés, avec des embranchements de routes et des bâtiments à visiter. Il suffit donc du D-Pad, même si ça peut sembler bizarre au début. Dit comme ça, on pourrait d'ailleurs penser que ces espèces de "rails" limitent l'expérience de jeu ; en fait, pas du tout ! Au contraire, ce mode de déplacement à même tendance à insuffler un petit sentiment de liberté dans un jeu qu'on devinait déjà volontairement dirigiste de par sa nature même. Au final, la profondeur des décors et le dynamise d'Ashley arrivent même à rendre les allers-retours et autres formalités du jeu d'aventure moins gênants qu'ils ne peuvent parfois l'être.

En intérieur, c'est un peu différent. Ashley se tient plutôt au milieu de la pièce, et c'est à partir de là que vous avez un aperçu de vos entourages, que vous pouvez vous rapprocher de certaines sections et les fouiller en utilisant le pointeur. Concernant la collecte d'objet, on retrouve par contre un problème qui était déjà présent dans le premier épisode : Il n'est souvent possible de prendre un objet qu'après avoir ausculté l'endroit où vous êtes censés l'utiliser... Du coup, on trouvera souvent des objets qu'on sait d'avance utiles, mais qu'on ne pourra pas récupérer avant d'explorer un petit peu plus loin. Ça peut parfois être justifié, mais c'est plus gênant quand ils 'agit d'un simple marteau qui nous hurle presque "REGARDE, JE PEUX RÉPARER DES TRUCS CASSÉS !" ; surtout que le script du jeu met en couleur TOUS les noms d'objets qu'on croise, et on se retrouve donc pas si rarement devant de très pertinents « C'est une chaise en bois ». Ramasser des objets n'en devient pas un fardeau dramatique pour autant, hein, et on finit bien par l'oublier, mais un peu plus de cohérence à ce niveau n'aurait pas fait de mal.

Là où ça passe beaucoup moins bien, ce sont les énigmes. Hé oui, malheureusement... Si certains puzzles du premier épisode avaient pu faire preuve d'une certaine originalité sans casser des briques dans leur globalité, il n'y à vrai dire presque plus la moindre surprise dans cette nouvelle aventure. La majorité des énigmes sont terriblement classiques, la possibilité de combiner des objets de l'inventaire n'est pas assez sollicitée pour être vraiment intégrée au gameplay, et seules quelques séquences à la Wiimote (avec une reconnaissance de mouvements pas top d'ailleurs) peinent à relever le niveau. Et si la plupart sont bien intégrées à l'histoire, certaines sont pas mal perchées et on se demande un peu s'ils ne se sont pas fixés un quota d'énigmes à développer... Je veux dire, était-ce bien nécessaire de faire une "énigme" pour compacter une canette, où la solution est tout simplement d'abaisser le levier de l'écraseur ?

Quand j'y pense, on retrouve d'ailleurs exactement le même défaut dans Hotel Dusk: Room 215 et Last Window: The Secret of Cape West : On dirait que Rika Suzuki, à la fois game designer et scénariste des Another Code et de la saga Kyle Hyde, a un mal de chien à équilibrer interactivité et scénario dans ses jeux... Fait pas étonnant, elle s'est d'ailleurs dirigée vers roman visuel pur et dur après la disparition de CiNG. C'est peut-être la faible densité de personnel du studio (à peine 30 personnes) qui ne lui a pas permis de trouver les designers qu'il lui fallait pour l'accompagner dans sa tâche ? C'est en tout cas très dommage, car les jeux de CiNG sur la portable de Nintendo auraient énormément gagné à être plus élaborés de ce côté.

Parce qu'au final, c'est ça, Another Code: R. C'est davantage un roman visuel qu'un jeu d'aventure accompli : Les textes et le scénario sont largement plus développés que l'interactivité, comme dans le premier épisode de la série. Cependant, la mouture Wii règle ce qui est sans doute la plus grosse faiblesse du premier opus : En effet, la durée de vie passe d'à peine 6 heures à... un peu plus de 15 heures ! C'est non seulement une nette évolution, mais aussi une qualité en soi par rapport à la moyenne du genre. Cela donne à l'histoire le temps de bien mieux se développer encore, même si la progression scénaristique se fait toujours de la même manière : On aborde des personnages, on parle avec eux, et les mots-clés qui ressortent des dialogues permettent ensuite d'en apprendre plus sur un sujet en particulier. Dans ce genre de jeu, le plus simple est le plus efficace ; c'est autre part que se situe l'enjeu : Dans les dialogues en eux-même et dans le scénario du jeu dans sa globalité, tout simplement. Le pire qui puisse arriver, dans un roman visuel, c'est qu'on s'ennuie devant les dialogues... et ça n'arrive pas dans Another Code: R. Pas du tout, même !

Pourquoi ? Déjà, parce que c'est plutôt bien écrit : C'est mélancolique sans jamais tomber dans le cliché, soutenu par des musiques agréables sans être mièvres, et on ressent très bien la fragilité d'ado de 16 ans que laisse transparaître Ashley, dont l'attitude est d'ailleurs psychologiquement authentique. Au final, l'intrigue, même si elle reste accrocheuse, passe au second plan par rapport à la découverte de l'émotivité des personnages de l'histoire... mais ce n'est pas tout. En effet, le jeu n'oublie pas qu'il est un roman visuel, et c'est là que se trouve sa principale qualité : Visuellement, c'est tout simplement superbe, et ce sans avoir recours à la moindre surenchère. Je vous avais déjà dit que les décors étaient jolis, mais ce sont les persos qui frappent vraiment par leur aspect vivant. En effet, ce ne sont pas de "simples" artworks ; vous l'aurez remarqué, il s'agit de modèles 3D avec un cell shading impeccable, et un tel travail a été fourni dessus qu'ils en surpassent de loin les artworks 2D, ce qui est un cas plutôt rare sachant combien il est parfois difficile de retranscrire la qualité du dessin en trois dimensions. Et cela sert très bien le chara design, qui sait allier un visuel certes typé anime mais avec suffisamment de détails que pour obtenir un rendu à mi-chemin entre le manga et le réalisme.

Mais je reviens sur l'aspect principal : Les personnages d'Another Code: R sont, oui, vivants : Ils respirent, inclinent la tête, fuient du regard, plissent les yeux, froncent les sourcils, bougent les mains, se frottent les cheveux, et j'en passe ! Ashley est d'ailleurs, à juste titre, le personnage avec la plus haute expressivité du jeu : Elle était mignonne à 14 ans, mais maintenant, elle est juste craquante. Ses mimiques seules suffisent à nous attacher à elle, et cette agréable impression de naturel qu'elles diffusent ne peuvent qu'aider à se sentir davantage proche du personnage... même lorsqu'on est pas une jeune fille de 16 ans. Et vu combien on partage ses souvenirs et ses monologues, on développe presque une véritable intimité avec Ashley. Cette empathie avec la protagoniste était d'ailleurs un des objectifs de Rika Suzuki, on peut dire que c'est réussi !

Another Code: R est donc maîtrisé dans son aspect primordial, et on ne s'y ennuie jamais vraiment : Le script a beau être conséquent, il n'y jamais de lourdeur dans l'aventure. Malgré tout, ceux qui ne supportent pas les voyages initiatiques dans une atmosphère douce-amère risquent effectivement de ne pas supporter le jeu très longtemps. Disons que ça passe ou ça casse, en fonction de la réceptivité de chacun à ce genre d'expérience.

Bref, Another Code: R - A Journey into Lost Memories est un jeu que je recommande à tous ceux qui se sentent prêts à se lancer dans ce genre d'expérience. On ne peut pas nier la pauvreté des énigmes, mais on ne peut en contrepartie que rester admiratifs devant l'authenticité. Certes, ça ne plaira pas à tout le monde, mais je pense toutefois qu'il s'agit sans doute de la meilleure production de CiNG. Une suite à cet épisode Wii était d'ailleurs prévue, mais la faillite du studio compromet évidemment ce projet. C'est dommage, revoir Ashley dans un jeu avec des énigmes davantage importantes et mieux foutues aurait pu apporter la touche finale au tableau et marquer le monde du jeu d'aventure... Un jour, peut-être ?
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le 16 mai 2012

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