Une adaptation convaincante de la fameuse bande dessinée, en dépit des nombreux écueils techniques qui malmènent encore l'immersion (nombre d'entre eux semblent pourtant avoir été corrigés depuis la sortie du titre mais l'enrobage visuel du jeu demeure perfectible).


Une enquête interactive qui s'achemine clairement comme une sorte de compromis entre les multiples productions du défunt studio TellTale et l'investigation des Sherlock Holmes suscitant un peu plus la déduction du joueur. Ou tout du moins en premier lieu puisque, probablement suite à un développement difficile, la seconde partie de l'aventure lorgnera bien plus du côté des productions TellTale avec ce que cela implique de déroulement linéaire de l'enquête et de choix à l'importance relative puisque globalement, seules les décisions finales auront un impact significatif.


Qu'à cela ne tienne puisque l'écriture se révèlera heureusement d'une qualité suffisante pour maintenir l'intérêt du joueur tout au long de cette enquête tortueuse où notre héros infortuné va comme à son habitude mettre les pieds dans la fourmilière en révélant au grand jour une manipulation de bien plus grande envergure que ne le laissait suggérer le crime initial. La narration parvient admirablement à s'adapter à la tonalité de la bande dessinée originelle, entre ses dialogues percutants, son détective œuvrant autant avec élégance que brutalité lorsque cela s'avère nécessaire et quelques soupçons d’héroïsme dans un univers englué dans le cynisme et la tromperie. A ce titre, le récit ne le précise jamais explicitement mais la trame du jeu est censée s'intercaler entre les deuxième et troisième tome de la bande dessinée, ce qui explique l'humeur assez chagrine du félin détective.


La direction artistique est quant à elle bien en peine d'égaler l'excellence du style graphique d'une œuvre maintes fois célébrée en la matière mais Under the Skin demeure néanmoins la première transposition de BlackSad au delà de son média originel; de ce fait il y a un véritable plaisir à voir ces personnages se mouvoir et parler enfin en dehors des cases d'une bande dessinée. L'excellente qualité du doublage français mérite par ailleurs d'être soulignée, le jeu parvenant à proposer une voix convaincante à chaque protagoniste, qu'il provienne ou non de la bande dessinée, et si le choix de l’interprète anglais de BlackSad me paraît franchement hasardeux, le comédien Jérémie Covillault est pour moi devenu l'incarnation indissociable de BlackSad en version française, à tel point que j'en suis venu à lire les bandes dessinées avec sa voix en tête.


Bref, soyons clairs. Enlevez à Under the Skin la qualité de sa narration et de son interprétation vocale et il ne reste plus grand chose au jeu. L'inexpérience de l'équipe en matière de récit interactif et les stigmates d'une production laborieuse sont malheureusement bien souvent éloquents, qu'il s'agisse des QTE maladroits et inutilement punitifs, de certaines séquences peu intuitives qui révèlent presque du Die and Retry narratif ou d'une mise en scène parfois complètement dépassée alors qu'elle se révèle pourtant très inspirée à d'autres occasions, clairement le développement du titre a dû être aussi tumultueux que le parcours de son héros qui se prend une dérouillée à chaque journée qui passe.


Mais en définitive, lorsque l'enquête est parvenue à sa conclusion, la démarche de cette adaptation apparaissait d'une évidente sincérité mais peut être malmenée dès le départ par des choix créatifs inopportuns :



  • En premier lieu, un certain manque d'identité propre à l'égard des volumes de la bande dessinée. Les connaisseurs le savent, la série BlackSad se distingue par son exigence qualitative davantage que la quantité d’œuvres produites en une vingtaine d'années. Les albums sont rares et s’efforcent, dès la couverture, de se distinguer nettement des péripéties précédentes : le premier est une histoire de vengeance très personnelle pour le héros, le second est une allégorie du racisme avec des drames beaucoup plus ancrés socialement, le troisième lorgne davantage vers le film d'espionnage avec la paranoïa suscitée par la guerre froide, le quatrième profite du cadre de la Nouvelle Orléans pour proposer une once de fantastique dans son récit à la narration inhabituelle et le cinquième, souvent le plus décrié mais néanmoins audacieux, prend la forme d'un Road Trip avec ce que cela implique d'errance et de rencontres éphémères.


Under the Skin se démarque-il alors réellement de ses illustres prédécesseurs dans une tonalité qui lui serait propre? Oui, en partie. Le jeu s'intéresse pour sa part à la thématique du monde du sport, globalement à peine effleurée dans la bande dessinée, en proposant une réflexion assez globale des enjeux qui peuvent graviter autour d'une simple compétition, entre paris truqués, dopages, contrats publicitaires et intégrité malmenée des sportifs. Mais il manque néanmoins au récit une démarche plus assumée pour se distinguer nettement de la bande dessinée et véhiculer l'impression que cette enquête n'était décidément pas ordinaire dans le quotidien mouvementé de son détective.



  • Enfin, le jeu opère également le choix de proposer une longue enquête pouvant être achevée en une dizaine d'heures. C'est normal pour un jeu narratif, c'est beaucoup pour un BlackSad où chaque tome propose habituellement une intrigue conclusive (hormis le prochain et sixième volet qui s'annonce comme la première partie d'un diptyque). Peut être le titre aurait-il été davantage avisé de proposer plusieurs enquêtes distinctes, à la manière d'un Crimes and Punishments, avant de basculer en conclusion vers une machination d'envergure qui aurait liée entre elles ces différentes investigations. Plus facile à dire qu'à faire bien sûr mais il manque un peu à cet Under the Skin l'immédiateté qui faisait l'attrait de la bande dessinée en parvenant ainsi à compenser le classicisme de certaines intrigues par moment.


J'espère néanmoins que cette équipe créative pourra œuvrer sur une nouvelle adaptation dans les années à venir car elle semble déjà être parvenue à accomplir le plus difficile : la compréhension du matériau de base et sa transposition fidèle en récit interactif. Malheureusement, les lacunes techniques du titre semblent avoir rebutés une grande partie du public lors de sa commercialisation. Évidemment, si vous n'êtes pas déjà connaisseur de la bande dessinée, vous pourrez privilégier bien d'autres jeux narratifs de ce type, notamment un Wolf Among Us si cette démarche d'enquête policière dans un cadre singulier vous interpelle. Mais si vous ressentez un peu d'affection envers l'univers de BlackSad et son héros enclin à l'introspection et à la répartie habile, alors Under the Skin vous proposera une adaptation plus que méritante bien qu'elle n'égalera probablement pas la saveur de vos souvenirs de lecture et que contrairement aux autres péripéties de John, vous ne rouvrirez pas le dossier de cette enquête lorsqu'elle aura été résolue.

Leon9000

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