S'asseoir sur un banc cinq minutes avec toi avant l'aventure qui nous tend les bras

Après seulement quelques jeux largement méconnus, le game-designer suédois Josef Fares, qui vient surtout du milieu du cinéma et de l’écriture, dirige pour Starbreeze Studios, développeur de The Darkness ou encore de Syndicate, et créé la surprise générale avec Brothers A Tale of Two Sons, petit jeu de réflexion et de contemplation avec un scénario à la manière d’un conte. Le titre obtient une excellente réputation critique qui finira jusqu’à porter l’attention d’EA pour la suite du travail de notre ami suédois. Est-ce que je me retrouve dans cette acclamation générale ou non, autant vous le dire d’emblée : oui. Pour découvrir pourquoi, je vous propose l’écoute de Water of Life pendant la lecture.



GAMEPLAY / CONTENU : 7 / 10



Brothers A Tale of Two Sons c'est un jeu de réflexion et d’action coop en solo, c'est-à-dire qu'on a deux personnages différents que l'on va contrôler simultanément. C'est là toute l'originalité puisqu'en général soit on est plusieurs joueurs à contrôler les personnages, soit on est seul et on ne contrôle qu'un seul personnage à la fois quittes à alterner en temps réel, soit le deuxième personnage est contrôlé par l’IA comme dans Ico par exemple dont le jeu s’inspire fortement bien sûr. Le maniement est simple, le joystick pour le déplacement et la gâchette pour interagir mais coordonner ses actions et ne pas se mélanger les joysticks n'est pas aussi simple.


D’un côté, ça rend la prise en main un peu délicate, voire rebutante pour certaines personnes manquant de patience, ne supportant pas cette mécanique incontournable, bien que les développeurs aient vraiment fait l’effort de démarrer l’aventure en douceur avant d’entamer les choses sérieuses où il y a une mise en danger. D'un autre côté, c'est là que réside tout le challenge du jeu car autrement il y a un checkpoint tous les 10 mètres, les énigmes sont très rapides à résoudre, on est très assisté dans notre cheminement comme dans nos actions et les contrôles n'évoluent quasiment pas.


C’est plutôt cohérent comme choix puisque mettre en place une mécanique dont on a pas l’habitude et qui capte déjà une bonne partie de l’attention du joueur, ça n’irait pas très bien avec un challenge soutenu par les biais habituels, ou alors à la limite dans des parties annexes. Le concept en lui même est sympa et original avec de bonnes idées de level-design pour le renouveler comme l'ascension reliée par une corde, le deltaplane où chacun transfère son poids pour orienter le déplacement... qui exploitent bien cette mécanique de base où l’on doit coordonner les mouvements des deux personnages.


C’est encore une fois très limité puisqu’on ne peut que se déplacer et interagir, mais si le jeu avait été un peu plus difficile à mon avis il serait devenu quasi-injouable parce que se souvenir constamment de quel joystick induit quel maniement, moi perso je ne pense pas être capable à la fois de le faire et d’être au taquet sur les réflexes, l’adresse et la gestion de différentes commandes. Le jeu est facile mais ça se comprend et s'excuse par l'originalité du concept, qui à lui seul fait qu’on ne peut déjà pas parler d’un Ico du pauvre comme j’ai pu le lire.


Par contre, une limite déjà plus conséquente c’est la durée de vie de seulement 3 heures avec un potentiel de rejouabilité peu conséquent. Alors, ce sont 3 excellentes heures, sauf peut-être au début un petit trop calme mais encore une fois c’est pour faire office de tuto donc c’est plutôt normal, néanmoins pour un jeu à 15 ou 20 € au prix fort, c’est vrai que c’est un peu léger. Entre ça et le concept qui n’évolue pas beaucoup, ça m’empêche de trouver le jeu génial à ce niveau-là même s’il reste très honnête dans son contenu et intelligent dans son concept.



SCENARIO / NARRATION : 9 / 10



La cinématique d'intro délivre immédiatement les notes d’intentions mélancoliques du récit avec une certaine efficacité, pas trop non plus puisqu'on ne s'est pas encore attaché aux personnages mais ça fait déjà son petit effet. Après, le pitch de départ, deux frères partant en quête d’un remède devant guérir leur père mourant, est un prétexte à l’aventure sans aucun doute. Rien n’explique pourquoi est-ce que personne n’est allé chercher un tel remède, apparemment miracle, pour le stocker auparavant par exemple, mais la narration étant très minimaliste avec aucun dialogue dans notre langue et aucun texte, ça se justifie un peu et si on joue le jeu il sera très prenant de suivre l’aventure de ces deux frères.


Ils se distinguent assez vite par leur caractère, l’un plutôt sérieux et appliqué, l’autre plutôt espiègle et maladroit (ce qui correspond comme par hasard aux joysticks associés avec lesquels on a plus ou de moins de mal). Au début, ça peut paraître un peu sommaire mais bien évidemment ça prend son sens avec leur évolution de par les obstacles qu’ils surmonteront sur leur route. De façon générale, c’est le scénario en tant que tel qui paraît peu évolué de prime abord, les dialogues avec une langue fictive sont parfaitement compréhensibles tant leur signification est basique. Direct je me suis dit que le scénario n'irait pas beaucoup plus loin que le pitch prétexte à ce qui suivra, je voyais déjà venir les petites scènes qui vont se vouloir touchantes à l’excès, les mises en danger grandissantes bien qu’illusoires et à ce moment là je n'étais vraiment pas convaincu pour être honnête.


Si ce sentiment s’est perdu au fur et à mesure de notre avancée avec les emprunts à la mythologie scandinave et aux fables des plus pertinents pour mieux prendre à contre-pied par exemple en jouant sur les clichés pour qu’un personnage d’apparence innocent soit en réalité une grande menace et inversement. C’est surtout la fin qui aura achevé de me donner tort en me procurant des émotions d’une intensité que je ne ressens que rarement devant un jeu vidéo. Mais bien évidemment, pour vous en parler je vais devoir spoiler méchamment et clairement je vous interdis de lire le paragraphe suivant si vous n’avez pas encore fait le jeu :


La mort brutale et inattendue du grand frère et l’insistance sur l’espoir perdu et le chagrin du petit frère sont vraiment extrêmement émouvantes, les contrôles évoluent pour traduire ce qu’il se passe dans le jeu avec les contrôles du grand frère qui permettent de rendre le petit plus fort mentalement et physiquement, cette fin qui fait comme une boucle avec le début où un être cher était perdu et un autre le pleurait... C’est vraiment très audacieux et c’est le juste compromis entre la tristesse que l’on ne voyait pas arriver et la légère note d’espoir qui permet tout de même de ne pas juste rendre le récit dépressif à souhait avec une quête qui n’aura rien apporté de bon.


Toutes les petites interactions plus ou moins cachées avec les environnements font plaisir, jouer à la balle avec un enfant dans un village, se rafraîchir dans un petit point d'eau, ramener ses petits à une maman tortue... ça renforce l'immersion en étant très souvent bien intégré au déroulement du scénario. Comme le début est plutôt léger, que l’urgence ou le danger ne se font pas trop sentir, ces interactions seront souvent humoristiques, puis beaucoup plus dramatiques pour coller à l’évolution de la situation pour enfin être un peu plus joyeux sur la fin avec des petites notes d’optimisme pour mieux l’amorcer. Ces quêtes annexes, aussi petites et facultatives soient-elles, sont donc loin d’être anodines et même très réussies.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : 8 / 10



Petit studio oblige, il ne faut pas s’attendre à une réalisation époustouflante parmi les plus beaux jeux de 2013 sur un plan strictement technique. Néanmoins, pour un jeu tout en 3D je trouve que c’est plus que correct dans le niveau de détails, les effets d’eau ou de lumière... il n’y a pas de clipping ou de baisses de frame-rate problématiques. Il y a juste quelques bugs visuels ou glitchs accidentels pas bien méchants qui n’ont jamais été vraiment corrigé mais comme ils sont rares et mineurs, m’étant arrivé que durant mon deuxième run, ce n’est pas très grave.


Si le début du jeu peut laisser penser à des environnements très classiques, voire un peu ternes dans les cavernes après le village, la diversité environnementale va vite frapper avec des transitions travaillées entre les décors et surtout des moments de pure contemplation que le jeu invitera de lui-même avec ces fameux bancs qui offriront des panoramas splendides. L’angle de caméra pré-déterminé permet très souvent de bien les apprécier ou au contraire de n’en apprécier qu’une partie temporairement pour mieux être impressionné après ou revisionnant un même endroit d’un autre point de vue.


En effet, de la même manière que les jeux d’Ueda, Brothers aime écraser ses personnages sous le poids d’environnements, de constructions, d’autres personnages... gargantuesques en comparaison. De plus, c’est utilisé aussi de façon à teaser l’environnement suivant à parcourir et à donner un peu de matière à notre imagination quant à ce qui nous attend, ce qui est un plus toujours appréciable d’autant que ça peut aussi bien être pour nous donner un indice que de nous induire en erreur. Pour moi ça a vraiment été à l'arrivée dans l'environnement enneigé que j'ai été époustouflé :


La beauté des décors gelés avec ce blanc glacier m’a laissé admiratif, les orques qui sortent de la flotte d’un coup y ont rajouté un peu de tension sur le moment, le changement d’ambiance radicale avec la cascade sang m’a bien marqué, le passage dans le village complètement gelé offre ce superbe panorama sur ce que l’on vient de traverser et cette magnifique aurore boréale à la toute fin pendant qu'on est sur le pont suspendu c’était absolument magnifique ! C’est tout un quart d’heure où l’ambiance n’arrête pas de changer en restant dans la même thématique environnementale, du grand art !


L’OST composée par Gustaf Grefberg, quasiment compositeur attitré de Starbreeze, fait merveilleusement bien le travail. Évidemment, c’est dans le registre mélancolique qu’elle marche le mieux mais elle peut aussi être effrayante, entraînante ou relaxante par moment quand cela doit s’y prêter. J’adore ces thèmes avec une envolée lyrique qui arrivent pile au moment opportun pour offrir toute l’intensité que le jeu nécessitait et je suis sûr que les quelques larmes que j’ai failli verser à la fin du jeu ont été aidées par cet accompagnement musical complet et réussi.


Sinon, pour parler un peu des derniers défauts visuels avant de conclure cette critique, le chara-design peut paraître un peu lisse et manquer de détails quand le zoom se fait un peu trop dessus mais là je commence à chipoter parce qu’on le remarque très peu. La plupart du temps on voit nos personnages de loin et ça passe très bien du coup. De plus, le choix des couleurs permet de bien identifier qui est qui, de faire ressortir les personnages du décor... donc il n'y a pas vraiment de soucis. Pour un petit jeu, la technique est satisfaisante et l’esthétisme absolument superbe.



CONCLUSION : 8 / 10



Bien plus qu’un petit indé qui se prend pour le nouvel Ico, Brothers surpasse largement son modèle à mes yeux grâce à un système de jeu original et intelligent, à de bonnes idées de level-design pour l’exploiter, à des panoramas magnifiques que le jeu sait inviter à contempler, à un récit intense et émouvant avec ses surprises et moments de grâce, à une composition musicale fabuleuse et dans différents registres... N'importe qui peut jouer à Brothers A Tale of Two Sons et y vivre une belle aventure, peut-être même l’une de ses plus belles aventures vidéoludiques.

Créée

le 26 juin 2014

Critique lue 479 fois

9 j'aime

2 commentaires

damon8671

Écrit par

Critique lue 479 fois

9
2

D'autres avis sur Brothers: A Tale of Two Sons

Brothers: A Tale of Two Sons
slowpress
9

Critique de Brothers: A Tale of Two Sons par slowpress

/Je spoile beaucoup, gare à vous si vous souhaitez y jouer, la lecture de ce qui suit gâcherait votre expérience/ Brothers : a tale of two sons. Le titre résonne, je le répète dans ma tête, j'y...

le 26 févr. 2015

41 j'aime

8

Brothers: A Tale of Two Sons
Naoki38
9

C'est CA un VRAI jeu vidéo

Incontestablement l'un des meilleurs jeux de l'année, sur tous les points. C'est franchement une énorme claque que je me suis pris en jouant à ce jeu. Je m'attendais à un titre simplement sympa alors...

le 9 sept. 2013

23 j'aime

3

Brothers: A Tale of Two Sons
boulingrin87
8

Journey

Démenti de poids apporté à ceux qui pensaient que Starbreeze n'était bon qu'à pondre des superproductions bien sombres et violentes, « Brothers » est une vraie surprise. Une baffe assénée avec tact...

le 6 oct. 2013

22 j'aime

Du même critique

Mass Effect
damon8671
8

Un début certes imparfait mais à l'univers incroyablement prometteur

Après le formidable succès de KOTOR dont il fut game-director, Casey Hudson veut repartir dans l’espace et répéter les grandes qualités des meilleures productions Bioware déjà existantes mais en...

le 24 août 2013

35 j'aime

11

The Thing
damon8671
9

Matters of trust

Premier film de la trilogie de l’Apocalypse de John Carpenter, série de films d’horreur dans lesquels un mal absolu semble rapprocher l’humanité d’un apocalypse inéluctable, The Thing est l’un des...

le 28 oct. 2023

25 j'aime

3

Super Mario Sunshine
damon8671
8

Ambiance prononcée, gameplay riche et original & réalisation bien vieillissante

J'ai joué à tous les Mario 3D (parce que je les distingue véritablement des Mario 2D) et Super Mario Sunshine est mon préféré parmi ceux-ci, ce qui n'est quand même pas rien vu l'excellence de la...

le 22 oct. 2013

23 j'aime

7