Lorsque j’étais enfant, il m’arrivait lors des longs trajets en voiture de défier l’ennui en imaginant, dans le défilement de la route, une silhouette, un personnage, sautant d’obstacle en obstacle, de camion en camion comme dans un jeu de plateforme en scrolling automatique. Il m’arrivait aussi, la nuit venue, de rêver que mon corps s’allégeait et que j’étais capable de flotter dans les airs, planant à chaque saut dans une fabuleuse sensation de liberté. Clustertruck, petit jeu au concept ravageur se propose, de manière tout à fait étonnante, de faire la synthèse de ces deux expériences infantiles, alors c’est peu dire si il me parle.
Dans un espèce de monde surréaliste où des camions identiques déboulent vers l’infini comme un troupeau de moutons roulants, vous, berger fou, voltigez de toit en toit dans une relecture (qui deviendra littérale) du jeu d’enfant the floor is lava (le sol est de la lave- on est éliminé si l’on touche le sol) en forme de course effrénée vers un point d’arrivée. Le jeu peut ainsi rappeler, dans son association euphorique de la plateforme à la vision subjective, le jeu Mirror’s Edge mais il radicalise son dispositif en s’affranchissant de la crédibilité, se libérant ainsi du corps pour inventer ses propres lois de la physique.
Tout l’enjeu alors est de ressentir pleinement cette physique de saut, rebondissante et spatiale pour appréhender les vertiges d’un level design qui ne recule devant aucune extravagance. Il ne s’agit plus tant d’apprendre à sauter que de piloter ses atterrissages furieux pour reprendre aussitôt son envol. La réussite évidente de Clustertruck est d’avoir su équilibrer la part de maîtrise et celle du lâcher prise. L’immédiateté du die and retry pousse dans un flow sinusoïdal de montagnes russes où l’on enchaîne les risques inconsidérés et les improvisations approximatives jusqu’à sentir une sorte d’osmose d’acrobate, achevant sa dernière figure accidentée comme un kamikaze, écrasé sur la ligne d’arrivée. Le jeu , par les comportements imprévisibles des camions et des obstacles, favorise l’audace et la précision a posteriori, l’urgence et le sang froid. Une route réussie ne le sera qu’au prix de sensations extrêmes et jubilatoires. En apnée, un éclat de rire aux lèvres devant les bouffonneries mécaniques et décoratives du jeu, on atteint chaque « goal » lessivé mais jamais repu, toujours partant pour une dose d’adrénaline supplémentaire.
Perchez moi encore un peu plus dans les airs.
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