ClusterTruck
6.6
ClusterTruck

Jeu de LandFall Games et tinyBuild (2016PC)

Jouer à saute-mouton sur un troupeau de camions lancés à pleine vitesse, c'est un concept qui a l'air à priori aussi bancal qu'Euro Truck Simulator, aussi loufoque que Goat Simulator, aussi random que I am Bread. Rien de farfelu pourtant dans ce jeu qui s'inscrit brillamment dans la grande famille des jeux de plateforme, soufflant au passage un vent de fraicheur sur le genre aux côtés d'autres "First Person Plateforming" tels que Mirror's Edge, ou plus récemment SEUM et Hot Lava.


On sait depuis longtemps qu'utiliser des plateformes mobiles est une bonne idée : tous les classiques du genre en regorgent, des plateformes en balancier de Super Mario World aux chariots de mine de Donkey Kong Country en passant par les maracas volantes du premier Rayman. Clustertruck va plus loin en bâtissant l'ensemble du game design et du level design autour de cette feature tout en ayant l'intelligence de proposer la vue à la première personne. Résultat, peu de jeux m'auront procuré un état de flow aussi implacable, tant son feeling est nerveux et explosif, tant sa progression est corsée et jouissive, inscrite dans un die and retry dosé et permanent qui n'a pas à rougir face à Super Meat Boy ou à Hotline Miami.


Mais c'est finalement la relation qu'entretien le joueur avec les camions qui m'a le plus marqué -et non pas avec les conducteurs de camion que j'ai complètement éclipsé : qui, par ailleurs, signerait pour un tel travail? On a ici affaire à des camions personnifiés, ou plutôt animalisés, dotés de leur conscience propre et animés par leur seule volonté, ou instinct de survie grégaire, c'est selon-. Craintif dans un premier temps à l'idée de chevaucher ces montures se précipitant à bride abattue vers leur perte, la succession des dangers exogènes tous plus absurdes et cruels les uns que les autres, alliée à l'aisance croissante avec laquelle on évolue sur leurs dos nous fait dans un second temps développer une forme d'empathie, voire de sympathie avec ce qui devient à nos yeux d'honteux martyrs, des indispensables îlots de survie, de fidèles compagnons d'infortunes.


On ne saute alors plus sur leurs robustes échines : on glisse littéralement dessus, on les effleure à pleine vitesse, on surfe érotiquement sur leurs flancs et leur derrières pour effectuer des bonds prodigieux. On fait corps avec eux : c'est un acte quasiment sexuel qui se joue là, bordel de dieu ! Passé un certain temps de jeu, on passe carrément de la sympathie à la honte, la honte d'utiliser les camions tels de vulgaires outils et de simples plateformes, la honte devant l'ingratitude de leur tâche, devant cette grande orgie de destruction métallique, ce concert de taule fracassée dirigé par un grand sadique probablement passionné de crash tests Renault.


Après la crainte, l'empathie et la honte, c'est finalement l'état d'extase qui s'empare de nous : quoi de plus épique -et Mad Max : Fury Road peut bien aller se recoucher sur cet aspect-, de plus esthétique, de plus lyrique que ces ballets de camions flottant gracieusement dans les airs telles les baleines dans Fantasia? Finie l'image meurtrière du camion observable dans Duel ou dans Maximum Overdrive, finie la vision bisounours imposée par Disney à la jeunesse dans Cars, fini le fantasme du tuning badass commencé dans les jouets Hot Wheels et achevé dans l'improbable émission Trick My Truck . Avec Clustertruck, le camion a finalement brisé les chaines de ses stéréotypes pour parvenir à la maturité artistique et culturelle.


Les "Man-Machine Interface", ou Interactions homme-machine, définissent les moyens et outils mis en œuvre afin qu'un humain puisse contrôler et communiquer avec une machine. Oubliez donc Ghost in the Shell, oubliez l'oeuvre de K. Dick, oubliez Her et Tetsuo : la voici, l’œuvre de fiction qui a su mettre le doigt avec le plus de profondeur et de subtilité sur toute la palette des intéractions physiques et émotionnelles qu'un homme et une machine pouvaient ensemble partager. La voilà la fusion prophétique vers laquelle nous nous dirigeons, la voilà l'histoire d'amour moderne que l'humanité attendait ! Snif, je pleure putain !

DoubleRaimbault
8
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le 30 oct. 2016

Critique lue 435 fois

DoubleRaimbault

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