Gros, gros dossier que représente Cyberpunk 2077 et servira sans doute, dans quelques années, de cas d'école de ce que peut être une mauvaise communication.


Comment juger un jeu pareil ? Doit-on se baser essentiellement sur les promesses qui ont été faites et ont été largement ignorées ? Doit-on uniquement juger le contenu sur ce qu'il est actuellement, en ne prenant comme référence que les titres concurrents qui sont sortis en 2020 ? Vous vous en doutez, nous sommes bien obligés de nous partager entre ces deux points de vue radicalement différents pour rendre justice à ce qui a été fait.


Cyberpunk avait été présenté comme LE renouveau du jeu-vidéo en open-word. 8 ans de développement par un studio adulé des joueurs, une comm' aux petits oignons agrémentée de visuels et démo incroyables, l'évocation de la possibilité de créer son propre personnage sur mesure, la promesse d'un univers Cyberpunk complet avec toute la maturité et les réflexions philosophiques que le genre implique. Tomate, oignon, ketchup, le projet ne pouvait théoriquement pas planter. Et pourtant.


Mon ressenti est le suivant : Cyberpunk 2077 est un accident industriel incroyable quand on compare le jeu tel qu'il a été diffusé à ce qui avait été promis par CD Projekt. Mais pire encore, en le prenant pour ce qu'il est tout en faisant fi de ce qu'il aurait dû être, il reste un jeu très moyen, qui n'est en avance sur son temps que sur quelques effets graphiques, tout en étant en retard de plusieurs années sur le reste.


Je ne vais que très rapidement rappeler les multiples soucis techniques (notamment sous consoles), les bugs en tout genre et le manque d'optimisation : la presse spécialisée en a parlé très abondamment et bien mieux que moi. Il reste néanmoins indispensable de souligner que le jeu qui nous a été présenté n'était clairement pas terminé, ce qui est non seulement une erreur terrible, mais aussi un véritable doigt d'honneur envoyés aux joueurs console. Un premier très mauvais point donc qui, maintenant qu'il a été rappelé, nous permet de passer au jeu proprement dit.


Commençons par l'aspect RPG censé être au centre de Cyberpunk 2077 : celui ci est réduit à peau de chagrin. Vous n'avez en réalité que trois orientations offertes pour votre origine story, et ces orientations n'auront un impact significatif que sur les 30 premières minutes de jeu. Une fois ce temps passé, vous serez forcé de rejoindre un "tronc commun", ou votre ancienne orientation ne vous sera utile que pour quelques choix de dialogues (dont l'impact est la plupart du temps très limité puisqu'il donnera les même opportunité qu'une autre option de choix standard). Si on vous laisse plus de marge de manœuvre sur la façon d'engager les combats (vous avez la possibilité de faire un run relativement furtif), cette marge ne vous permet néanmoins pas d'envisager des choses aussi ouvertes d'un run pacifiste par exemple (une vraie déception quand on sait que c'était techniquement possible comme l'a déjà prouvé Dishonored en... 2012). L'éditeur de personnage, qui a été beaucoup mis en avant par la communication de CD Projekt, est à l'image de ce que je viens d'évoquer : très pauvre et décevant, même en comparaison de standards plus anciens (Fallout 4, en 2015, faisait bien mieux). Celui ci, malgré les promesses, ne permet finalement pas de customiser votre personnage plus que ça. Pour ne donner qu'un exemple, vous avez très peu de coupes de cheveux / de couleurs de cheveux traditionnelles, ce qui vous limite énormément si vous avez la volonté de créer un personnage "traditionaliste", dans l'idée de jouer une partie avec le moins d'améliorations possibles (de toute façon, dans les faits, certaines missions vous imposeront quand même des améliorations sans que vous ne puissiez au moins exprimer un désaccord de principe, donc bon...). En résulte un(e) protagoniste le cul entre deux chaises, pas assez malléable pour pouvoir en faire une feuille blanche, mais n'ayant pas non plus une écriture suffisante pour pouvoir inspirer quelque chose.


Concernant le setting, Night City, immense et effectivement visuellement très jolie (le nombre d'assets différents est assez fou), est en fait une coquille vide, un écrin en or massif qui dissimule un collier en plastique gagné à la fête foraine. Niveau immersion et sensations "organiques", nous sommes à des années lumières des normes proposées dans les AAA actuels. La ville est vide, à l'exception de quelques endroits savamment choisis où des missions importantes tiendront place. La densité des foules est extrêmement décevante, alors que ça fait 6 ans qu'Assassin's Creed Unity nous a prouvé qu'on pouvait faire des choses vraiment poussées sur ce point. Les quelques PNJ qui se baladent ne sont absolument pas crédibles et se contentent, pour 90% d'entre eux, de marcher sur les trottoirs ou de rester assis dans les bars, sans évoquer par quelque geste que ce soit quel rôle ils pourraient bien jouer au sein de la ville. Pire encore, ils ne réagissent à nos actes que de façon très basiques : c'est à peine s'ils nous suivent des yeux quand nous passons à côté d'eux, à peine s'ils réagissent quand nous les visons de notre arme (surtout s'ils sont au volant). Leurs dialogues se réduisent à une ou deux lignes stéréotypées, avant de se bloquer sur un "!.." rappelant les vieux RPG sur console 32 bits. En 2020, alors que sont sortis des jeux comme Red Dead Redemption 2 qui offraient des ensembles de population très cohérents et crédibles, ce genre de chose n'est clairement plus acceptable et nuit totalement à l'immersion. Même les PNJ très basiques des Assassin's creed ou de Ghost of Tshushima paraissent plus crédibles, ne serait-ce que parce qu'ils ont des activités quotidiennes différentes qui donnent une réelle sensation de vie sociale.


Outre la population, le panel d'activités annexes aux quêtes qu'offre la ville est ultra réduit : vous ne pouvez juste absolument rien y faire d'intéressant. Aller faire des contrats pour la police locale, taper sur des gangs qui foutent un peu la merde, ou faire des courses de bagnoles, c'est le minimum syndical qu'offrent la plupart des jeux "citadins" depuis plus de 10 ans. On peut bien aller au bar pour aller boire un verre, mais ça n'apporte rien d'intéressant, pas même sur un plan narratif. On sent là encore le poids de la référence Red Dead 2, ou aller au bar impliquait de s'installer au zinc, et permettait d'écouter des conversations, ou de se faire aborder par un PNJ désireux de nous raconter sa journée. Rien de similaire ici, c'est l'encéphalogramme plat. On a beau nous mettre des jolis décors, de beaux effets de néons, des belles bornes d'arcade (auxquelles on ne peut pas jouer !! les gars, FF7 en 1997 nous permettait de le faire !), cela ne rime pas grand chose.


Niveau gameplay, on oscille entre le correct et le minable selon ce qu'on essaye de faire. La conduite est une purge absolue (votre voiture est une vraie savonnette, sans parler de la moto...) et n'a aucune saveur, faute à des rues particulièrement clairsemées pour une mégalopole, et à l'absence évidente d'une IA de conduite (les autres voitures ne chercheront jamais à éviter le carambolage, n'essayeront jamais de vous contourner si vous bloquez la route, ne réagiront jamais à votre conduite musclée). Les choses s'améliorent concernant le gunplay : on a déjà vu mieux c'est certain (coucou Borderlands), les ennemis sont cons comme tout, la localisation des dégâts pas terrible, et les combats pas très nerveux, mais ça reste relativement distrayant. La possibilité de hacker des caméras, des appareils, voire des ennemis, est bienvenue, même si finalement un poil limitée et parfois redondante. Niveau furtivité, certaines améliorations permettent des actions bien fun, hélas les bugs et le côté ultra versatile de l'IA des ennemis fait que vos actions seront régulièrement foutues par terre.


Niveau narration, force est de constater que la plupart des personnages secondaires sont relativement bien écrits et nouent de véritables liens avec le joueur, même si certains d'entre eux restent très "clichés" dans leur approche (mention spéciale pour Johnny Silverhand, mélange entre votre tonton gilet jaune et votre cousin zadiste, toujours au poil pour rappeler que les inégalités sociales c'est nul, mais sans jamais le faire avec subtilité). L'histoire principale, si elle n'est pas un parangon d'originalité, se tient plutôt pas mal, et parvient à créer véritablement de l'enjeu à certains moment. Mais un énorme point me chiffonne tout de même : la plupart des thématiques fondamentales du Cyberpunk passent totalement à la trappe, rendant l'ensemble vraiment très superficiel, au point que l'intrigue aurait très facilement pu être transposée dans n'importe quel autre setting moyennant quelques ajustements mineurs (la façon dont on devient lié à Silverhand, notamment).


Le Cyberpunk permet de poser de grandes et belles réflexions sur la nature du genre humain, de poser des questions philosophiques, de s'interroger ce qui fait un humain dans une société toujours plus automatisée, brutale, inégale, injuste, et où le combat contre la mortalité et les fragilités biologiques sont quotidiennes. J'attendais énormément du jeu sur ce point là, et force est de constater qu'il se contente de faire le minimum syndical, et ne débite que des évidences sans nuance. Les critiques des inégalités sociales par exemple, se limitent à une opposition des riches (notamment des corpos) au reste de la population, sans lier cela à une grosse partie du background de Night City elle même, n'existant finalement que grâce aux Corporations qui ont aidé à sa fondation. De même, à quoi sert-il de coller des sextoys partout et des pubs subjectives si c'est pour ne jamais offrir de réflexion sur l'hypersexualisation de la société telle qu'elle est présentée dans le jeu, si ce n'est pour se donner des airs faussement subversifs à peu de frais ?


Là réside sans doute la des plus grosse faiblesse du jeu : sa superficialité, autant dans son discours que dans le contenu qu'il offre. Tout n'est que poudre aux yeux, un bel emballage cadeau pour cacher un résultat plus que moyen. Les beaux bâtiments, les néons flashy, la DA impeccable, ne suffisent pas un faire un jeu loin s'en faut : ils ne font paradoxalement que mettre l'accent sur le fait que les priorités n'ont visiblement pas été données aux véritables sujets qui importent dans l'élaboration d'un jeu vidéo.


Je ne sais pas expliquer ce qui a pu conduire à cet accident industriel : pression des investisseurs ? Yeux plus gros que le ventre ? Difficultés liées aux COVID ? Recrutement de concepteurs non polonais dont la vision n'était pas forcément raccord avec ce que le studio savait faire ? Nous n'aurons sans doute jamais la réponse. Une chose reste néanmoins sûre : au delà de ces soucis, des promesses éhontées ont été faites sans avoir été tenues, et ces procédés malhonnêtes doivent être impérativement dénoncés, d'autant plus qu'ils risquent de précipiter la fin d'un éditeur employant plus d'un millier de personnes.


Quel gâchis, vraiment. Tout ça pour ça ?

Sigynn
4
Écrit par

Créée

le 1 janv. 2021

Critique lue 277 fois

2 j'aime

Sigynn

Écrit par

Critique lue 277 fois

2

D'autres avis sur Cyberpunk 2077

Cyberpunk 2077
Moizi
6

L'échec est presque à la hauteur de l'ambition

Un jeu dont l'échec est quasiment à la hauteur de ses ambitions. L'échec est multiple. Il y a un échec technique, le jeu est très mal optimisé sur PC, j'ai eu de freezes qui m'ont obligé à redémarrer...

le 16 déc. 2020

58 j'aime

11

Cyberpunk 2077
boulingrin87
8

Ceci n'est pas un jeu de rôles

Ceux qui me lisent savent que je ne suis pas le plus grand fan de CD Projekt. Ou plutôt, des jeux CD Projekt, car je continue régulièrement de faire mes achats sur la plate-forme DRM-free GOG.com,...

le 25 mai 2022

45 j'aime

1

Cyberpunk 2077
Antigoomba
6

Ghost in the Game

Épicentre de toutes les crispations vidéoludiques de cette fin d’année, Cyberpunk 2077 est la cathédrale de tous les rendez-vous manqués. Bienvenue à Night City, agglomérat sans inspiration de tout...

le 23 déc. 2020

44 j'aime

10

Du même critique

The Young Pope
Sigynn
8

Exquises contradictions.

« Je suis une contradiction » annonce, dès le premier épisode, le pape Pie XIII, incarné par Jude Law. Une contradiction qu'il compare à Dieu, unique mais et trois, ainsi qu'à Marie, vierge...

le 1 nov. 2016

26 j'aime

3

L'Océan au bout du chemin
Sigynn
10

Ce livre est en lui-même un bien bel océan

Woah. Que dire d'autre ? The Ocean at the end of the lane est, à mon sens, un livre quasi parfait. On ne sait pas trop à quoi s'attendre en ouvrant ce roman. Et pourtant, une fois ouvert, c'est un...

le 2 sept. 2013

22 j'aime

2

La Domination masculine n'existe pas
Sigynn
3

J'ai mal à ma science.

Établissons quelque c­hose d'entrée de jeu ­avant d'aborder ce li­vre : contrairement à­ la façon dont elle a­ffirme présenter son ­travail, Peggy Sastre­ est loin d'employer ­une démarche...

le 28 déc. 2016

19 j'aime

5