(Identique à ma critique de Thief Gold, j'ai copié-collé ça ici pour plus de visibilité... Je sais pas s'il y a moyen d'appliquer une critique à plusieurs jeux liés (les épisodes d'un jeu comme Life is Strange, et le jeu Life is Strange sur SC, par exemple)


(Remarque vite fait : si vous vous procurez le jeu, je vous conseille de vive voix de le patcher, ça fait une grosse différence).


Fin des années 90. Ion Storm est l'un des studios les plus connus du milieu. Designers et programmeurs de renommée, quelques très gros jeux derrière eux qui ont lancé la mode FPS. Tout le monde fait des FPS, des doom-like, comment qu'on disait à l'époque. Mais, Blood, Duke Nukem, Doom 2, Quake 2, le concept est le même. Buter tout ce qui bouge, et tirer quand même sur tout ce qui ne bouge pas dès fois que ça dropperait un item. Strife comporte des PNJ qu'on n'est pas obligé de dézinguer, et des éléments de jeux d'aventure, c'est pas commun.


Je caricature volontairement, mais la subtilité n'était dans l'ensemble pas de mise. Non pas que des jeux à l'atmosphère différente n'existent pas (System Shock pour n'en citer qu'un, des trucs à la troisième personne du style MGS, Goldeneye 007), mais dans l'ensemble, sur PC, ça bute du nazi sans se poser de question. L'univers et l'histoire restent peu développés, dans l'ensemble.


En conséquence, le fait qu'en deux-trois ans on ait eu droit à System Shock 2, Half-Life, Deus Ex, No One Lives Forever et Thief : The Dark Project, c'est, ben c'est pas anodin.


Thief, 1998. J'en ai entendu du bien. Je lance pour voir. J'ai la version Gold, qui a été pas mal remaniée et qui comporte 3-4 niveaux supplémentaires. Elle est vraisemblablement supérieure et mieux travaillée que la version de base. Il existe des mods aussi, qui doivent être sympathiques. Ah oui, je crois que le jeu a été refait avec le moteur de Doom 3 (sous le nom de 'The Dark Mod'), ça intéressera ptêt certains d'entre vous.


Premier constat : le jeu pique un peu les yeux. Je n'ai pas trop de soucis avec les graphismes jusqu'à approximativement cette époque -où là tout de même on voit nettement que les modèles sont peu expressifs et ont été taillés à la serpe pour avoir le moins de polygones possibles- et là c'est à peu près limite (Deus Ex aussi, graphiquement, était limite pour moi... NOLF par contre, magnifique).


On incarne Garrett, un personnage relativement mystérieux qui semble gagner son pain en revendant les objets de valeur qu'il pille chez la noblesse. L'univers est, hmm, médiévalo-fantastique, je reviendrai un peu dessus plus tard.


Le jeu démarre tranquillement. On a la possibilité d'un tutoriel (optionnel :D, ça fait du bien), et on se lance dans un premier niveau relativement paisible. On prend ses marques.


Thief reste relativement vague par rapport aux capacités de notre personnage, et c'est fort appréciable. Que ce soit le level design, le comportement des ennemis ou les objets de Garrett, c'est au joueur de comprendre et d'expérimenter. On a accès à tout dès le début, Garrett étant déjà, au moment où on croise son chemin, un voleur accompli. C'est pas un paysan level 1 qui bute des moutons dans la prairie dans sa quête pour sauver le monde.


On est ici dans un jeu d'infiltration. Garrett est fragile, et pataud au combat. Avoir l'épée dégainée ralentit ses déplacements, tandis qu'il est bien plus souple lorsqu'elle est dans son fourreau. Deux coups d'épée dans le bide et il passe l'arme à gauche. Se faire repérer est donc généralement une mauvaise chose (parfois interdit par les circonstances, même), d'autant plus qu'un tas de gardes va partir à votre recherche.


En somme, il faut se la jouer malin. Rentrer dans le lard est une mauvaise idée, et on s'en rend vite compte. L'arc n'est pas un semi-automatique. Ses munitions sont limitées. Finaud vous devrez être (ou alors, euh, cf plus loin).


Thief est austère. Là où avec d'autres jeux, on aurait accès à une carte, des façons de pister des ennemis, ou de se cacher aisément (le carton de Snake, heu), ici vous pouvez oublier tout ça.


Le jeu est extrêmement cohérent dans son déroulement, son univers et son level design.


Garrett est un voleur, pas un omniscient. S'il ne s'est jamais promené quelque part, il n'a pas de plans, pas de cartes, ou s'il en a elles viennent d'un contact et peuvent être incomplètes ou erronées. Au joueur d'appréhender les zones non cartographiées et de mémoriser la disposition des niveaux.


De même, si l'on dispose effectivement de quelques outils fort utiles dans certaines situations, on n'est pas super équipé. Les munitions sont limitées, l'utilisation de chacun de ces outils est restreinte, on ne peut pas y aller sans réfléchir, Bébert.


Le jeu n'est pas facile. Se faire repérer au mauvais endroit et c'est la mort. Contre un ennemi on peut se débrouiller en strafant si on a un peu d'espace, 1v2 c'est généralement niet. Dans le meilleurs des cas, les gardes seront tout de même à l'affût pendant un certain temps. On peut sauvegarder à n'importe quel moment, mais ça reste un jeu difficile dans lequel on ne peut s'autoriser tant de faux pas que ça ; les munitions et les points de vie restent très limités.


Pour certains, cela peut sans doute être frustrant, d'autant plus que pour beaucoup de joueurs habitués aux tempos et mécaniques introduites depuis 2005 : eh, chais pô où aller j'ai même pas de carte j'me perds c'est nul ce jeu en plus c'est moche.


Oui, le jeu est austère. Et a vieilli. Mais ses choix au niveau du gameplay sont extrêmement bien pensés, et pour peu que l'on se prenne un peu au jeu -et ce n'est pas bien difficile, je trouve- les sensations qu'il procure sont tout bonnement excellentes.


Revenons un peu sur l'univers. J'ai vaguement mentionné qu'il est médiévalo-fantastique.
Le jeu ne prend pas la peine de rentrer dans les détails. Du contexte nous est fourni entre les différents niveaux, quelques détails nous sont racontés, et on comprend d'autres éléments de l'histoire à travers des bouts de conversation entre des gardes.


On comprend qu'il y a plusieurs factions dans le jeu (The Order of the Hammer, par exemple, des fanatiques religieux, ou bien les Templars, que Garrett connaît un peu, ...), mais Garrett sait déjà comment fonctionne cet univers, aucune raison pour lui de se mettre à tout raconter. C'est lorsqu'on tombe sur un éclairage électrique qu'on comprend que l'univers que l'on pensait être médiéval est un peu plus étoffé technologiquement. Personne ne nous l'a dit auparavant. Et ça, c'est pas anodin, putain. Dans la majorité des jeux récents, on aurait eu une indication sur cet éclairage, ou bien eu droit à une conversation pas du tout naturelle pour nous expliquer cet élément au sein de l'univers ou dans la manière dont il s'inscrit dans le gameplay. Je pense, par exemple, à Dishonored. Le jeu donne une explication à chaque élément steampunk présent dans la ville. On trouve des papiers partout, expliquant plein de trucs sans raison particulière, ce qui fait qu'il ne reste plus grand-chose à découvrir pour le joueur et ne suscite pas trop l'imagination (et fait en sorte qu'on trouve l'univers un peu vide, au final).


Mais là non. Garrett comprend très bien le monde dans lequel il vit, et il n'a pas tendance à s'épancher dans des monologues inutiles (ou s'épancher tout court, dans l'ensemble). Ce n'est pas un détail extrêmement important aux yeux de beaucoup de monde, je pense, mais personnellement ça m'a fait beaucoup plaisir de voir à quel point c'était cohérent.


Au demeurant, beaucoup d'aspects de cet univers demeurent flous et inexpliqués. On comprend certains éléments supplémentaires par le gameplay ou les lieux traversés, mais cette sensation de mystère et d'intrigue perdure, et à mes yeux c'est très bien comme ça. Tous les éléments que le jeu présente au joueur sont cohérents, et le reste est laissé à l'imagination.


L'obscurité est votre amie dans ce jeu. Quasiment votre seule amie, en fait. La plupart des êtres que l'on rencontre sont au mieux indifférents à votre présence, mais la plupart du temps hostile. On se sent seul, et vulnérable. L'obscurité vous dérobe à l'attention de votre environnement, elle vous permet un instant de répit, et permet d'avancer. On se sent très seul, et très vulnérable lorsqu'on se promène en plein milieu d'un couloir avec un carrelage bruyant (Thief gère différent types de surfaces, et elles sont plus ou moins susceptibles d'amplifier le son de vos pas).


Seul, vulnérable, et exposé. Ca prend aux tripes lorsqu'on accroche un peu, croyez-moi. Garrett, même s'il possède sa propre personnalité et que le joueur n'est pas censé s'identifier à lui, s'efface quasiment complètement lorsqu'on passe au gameplay, et c'est le joueur qui vit l'aventure. Si on la voit bien à travers ses yeux, c'est lui qui a l'impression de nous faire repérer par un garde. Et pour ce genre de jeu, je considère cela comme une force.


Je suis resté vague sur les objets. On a une épée, qui ne sert pas tant que ça. Un gourdin permettant d'assommer un garde qui ne nous a pas vu venir. Différents types de flèches. La flèche d'eau permet d'éteindre les torches (mais pas les lumières électriques). Il y en a d'autres. Le tutoriel ne raconte pas tout à ce sujet, au joueur de comprendre certaines subtilités de ces armes. On les apprend naturellement, en expérimentant, ce qui constitue une approche radicalement différente des tutoriels de ces derniers années ne laissant rien au hasard et rien au joueur. De même, rien n'est volontairement affiché. Il n'y a pas de panneau marqué passage secret, ni de touche permettant de highlighter tous les éléments interactifs. Des artifices de game design dont Thief se passe totalement. Ici, il faut observer, écouter, patienter. Attendre, agir au bon moment.


Lorsqu'on commence à connaître la disposition d'un niveau, lorsqu'on évite un garde en passant au dernier moment, lorsqu'on fait un peu le con et que ça passe, le sentiment de jouissance que le jeu procure va bien au-delà de l'autre type de jeu mentionné ci-dessus. En tout cas en ce qui me concerne.


Et le level design, point absolument essentiel du jeu est à la hauteur de ce qui est exigé de lui. Les niveaux sont extrêmement bien conçus. Cohérents, dans l'ensemble (ce n'est pas parfait, hein), avec une disposition complexe et sollicitant le sens de l'orientation du joueur. Pas d'artifice de game design. Pas d'éléments random. Pas de power-ups. Rien. Des objets à piller. Des êtres vivants à éviter. De l'obscurité et de la lumière. Différents couloirs à explorer. Bluffant.


Finalement, tel que fonctionne le jeu, on pourrait presque dire que le gameplay et le level design ne font qu'un. Et même si les outils dont on dispose sont limités, que l'intelligence artificielle possède quelques failles, que nos options sont parfois limitées, la liberté de rythme que le jeu laisse au joueur permet différents types d'approches. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'on a du gameplay émergent, mais on n'en est pas si loin.


J'ai mentionné des gardes à plusieurs reprises. On passe du temps dans des manoirs et des châteaux, notamment. On pourrait croire que le level design pourrait devenir répétitif au bout d'un certain temps, que les décors finiraient par se ressembler. Je me suis posé la question à un moment dans le jeu, je pensais que cela pourrait peut-être arriver.


Il n'en est rien. Thief étoffe son univers, et le level design change radicalement, de façon cohérente. Renouveller le level design ici, c'est renouveler le gameplay. Le jeu se permet même de présenter des décors à la structure très originale, et de dérouter le joueur à plus d'une reprise. J'ai été franchement épaté de l'inventivité et des tours de force dont ont fait preuve les développeurs en matière de level design.


L'atmosphère instaurée par le jeu, son univers et son gameplay est délicieuse. Un concentré d'angoisse, de curiosité, de mystère et d'envie d'aller de l'avant. L'absence de musique dans les phases de gameplay accentue la sensation d'immersion et amplifie à nos oreilles le moindre son que l'on émet ou que l'on perçoit.


L'histoire est sympathique. Elle n'est pas invasive -lorsqu'on se promène dans le niveau le but est souvent plutôt de trouver un objet- mais demeure intéressante et avec cet univers à part et cette façon succincte de décrire les évènements, elle est dénuée de clichés ou d'éléments lourdauds qu'on pourrait trouver ailleurs. Et on peut tout à fait s'en passer si ce n'est pas un point sur lequel on a envie de se focaliser.


Le jeu n'est pas sans défauts. Outre les graphismes et les imperfections de level design brièvement mentionnés précédemment, il m'est arrivé de trouver certains bouts de conversation entre les ennemis un petit peu bancals.


D'ailleurs, ouais, il m'est arrivé une fois ou deux de manipuler leur intelligence artificielle limitée (pas mauvaise, bonne pour l'époque, je pense, mais limitée, sans doute par contraintes techniques) pour pouvoir buter un garde ou deux tranquillement. Ok, c'est bas, je sais. Et ça nuit à l'expérience, mais enfin voilà, ne vous attendez pas à des prouesses de la part des ennemis.


Je m'étais arrêté un peu avant la fin du jeu, et j'ai repris récemment pour finir le jeu,. Les derniers niveaux du jeu me paraissaient très sombres par endroits, mais peut-être que je ne joue plus dans les mêmes conditions qu'il y a un an. Je me suis aussi souvenu que le paramètre de difficulté changeait radicalement certains niveaux.


La plupart des missions ont plus d'ennemis, moins d'objets de valeur, et moins de munitions dans les modes de difficultés plus avancés. En mode Expert, interdiction de tuer des humains, ce qui rend le jeu beaucoup plus difficile, et rend l'exploitation d'IA bien moins utile. Des objectifs sont rajoutés (récupérer des objets de valeur supplémentaires, ou une quantité d'argent supérieure), et parfois des quêtes annexes ou principales supplémentaires.


Je pense que j'en ai assez dit. Il devrait y avoir matière ici pour que vous puissiez savoir si le jeu est susceptible de vous intéresser. Les choix de gameplay ne sont pas mainstream, et l'austérité du jeu et sa froideur peuvent ne pas vous tenter. Il faudra de toute manière faire des efforts pour que le jeu se livre un peu, si vous n'êtes pas prêts à les faire ou impatients vous ne vous amuserez pas.


Par contre, si ce que je vous ai dit vous intrigue et que les graphismes dépassés et la froideur du jeu ne vous rebutent pas, je vous conseille vivement d'y jouer. Un univers intriguant, un gameplay accrocheur et très très bien fichu, un level design épatant, une atmosphère envoûtante...


Thief est une expérience qui vaut le détour, et je rempilerai pour le 2 sans hésiter, il est paraît-il encore plus réputé. Vous aurez droit à un jeu qui a inventé bon nombre de choses, et qui -comme c'est souvent le cas pour des jeux de cette époque, curieusement- me paraît bien mieux fichu et bien plus preneur que bon nombre de jeux modernes.


D'ailleurs, à ce sujet, je trouve cette discussion très pertinente :
https://www.youtube.com/watch?v=jPqwDGXxLhU


Il s'agit d'une vidéo de 30 minutes au cours de laquelle un individu fait l'apologie de certains choix de game design de jeux un peu plus vieux dont on s'est complètement éloignés aujourd'hui. Les exemples concrets donnés comparent le présent jeu avec le pseudo-remake-je-ne-sais-quoi de 2014. Je suis d'accord avec la plupart des points mentionnés.

Maqe
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le 2 oct. 2017

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