Après l'épreuve de moral Demon's Souls, les développeurs japonais de From Software récidivent avec Dark Souls, une suite spirituelle dans la trempe directe de son ainé et quand un jeu affiche "Prepare to Die" comme slogan, on comprend que l'on va passer un sale quart d'heure.

Dark Souls est un action-RPG, ou plus particulièrement un "Dungeon Crawler" qualifié de l'adjectif "hardcore". Comprendre par la que les développeurs n'ont aucune intention de vous prendre par la main mais plutôt de vous lâcher complètement seul dans un monde hostile. Pire, ce monde a apparemment été designé par des esprits sadiques. Un jeu qui va clairement à contre-pied de la tendance actuelle dans les jeux vidéo où le joueur est assisté du début à la fin de son aventure. Un véritable retour aux sources du jeu vidéo, à cette espèce rare des RPG occidentaux d'entant. From Software n'en est pas à son coup d'essai avec les action-RPG, avant Demon's Souls, leur série des King's Field était passé relativement inaperçue une décennie plus tôt. Il faut dire que From Software a un palmarès des plus hétérogène, alors après la bonne surprise Demon's Souls, on était en droit d'attendre Dark Souls avec appréhension. Si l'herbe n'est effectivement pas complètement verte au royaume de Dark Souls, l'essai est toutefois transformé. Explications.

Dark Souls vous plonge dans un univers Dark Fantasy à l'opposé des standards de l'Heroic Fantasy. Oubliez donc les prairies enchantées, les elfes dansant et autres nains joufflus. "Serious business here", le monde de Dark Souls est peuplé de morts-vivants, jonché de cadavres, en ruine et, surtout, vous y êtes seul. A l'origine, ce mode fut peuplé de dragons qui régnaient en tant qu'espèce dominante. N'acquirent alors la première flamme et, avec elle, quatre divinités ainsi que les humains. Forts de la puissance des flammes, les quatre ont rendu à la poussière ces dragons. Tout ce beau monde vécu alors dans la joie et la félicité. Des milliers d'années plus tard, ce même pouvoir qui avait si bien servi le monde l'a également maudit. Ne reste alors plus que ruines, et des humains sans âmes voués à errer dans leur carcasse de morts-vivants, à la recherche d'une humanité perdue. Vous êtes un de ces tas de viande anonyme et votre quête d'humanité commence sans préambule. La narration de Dark Souls s'arrête ici. Le jeu ne proposant aucune trame principale à proprement parlé et aucun mécanisme n'est mis en oeuvre pour narrer une histoire au joueur. C'est alors au joueur d'aller piocher des éléments à droite et à gauche, de s'intéresser au monde et de, par exemple, lire les descriptions d'objets ou d'écouter les lamentations d'autres morts-vivants afin de recomposer ce que fut jadis le monde de Dark Souls et de comprendre sa situation. Eventuellement, vos pérégrinations vous amèneront à percer l'origine de la malédiction. Dans tous les cas, l'histoire ne se dévoilera pas au joueur à moins que celui-ci fasse preuve de curiosité, car il est possible de terminer Dark Souls sans s'être soucié de sa trame. Au fond, vous n'êtes qu'une carcasse errante qui ne se préoccupe pas d'avoir un destin.

Le jeu commence par une classique création de personnage qui consiste essentiellement à choisir sa classe de personnage parmi dix disponibles, a peu près équilibrées. Cette classe va déterminer votre équipement de départ et un style de combat. Un chevalier commencera par exemple avec une bonne armure mais se déplacera plus lentement alors qu'un pyromancier sera redoutable mais aussi fragile qu'une personne atteinte d'ostéogénèse. Cette classe de départ influencera la difficulté en début de partie mais votre style de jeu pourra tout à fait s'adapter, rien n'empêchant au final de transformer votre guerrier en pro du tire à l'arc. L'évolution du personnage est libre, même si il est plus souple de commencer avec la classe qui nous correspond le mieux. Au choix de la classe, ajoutons le choix d'un objet spécial de départ, qui pourra être tout aussi utile qu'inutile suivant son choix.

Abordons le coeur du sujet, le gameplay ô combien masochiste mais largement gratifiant du titre. Le système de combat s'apparente à une gestion de l'escrime : frappe simple, frappe lourde, parer, contre-attaquer... Chaque action entame votre endurance suivant l'effort requis. Manier un poignard vous en demandera peu alors qu'une massue vous épuisera en deux coups. Idem en cas de coup reçu, plus le coup a de force, plus il vous demandera d'endurance à être paré, et gare à vous si vous parez un coup alors que votre endurance est en berne, vous risqueriez d'en subir les conséquences. Ajoutez à cela une bonne gestion des rapports de force et vous obtenez un jeu où il ne fait pas bon de s'attaquer à plus gros que soi. On réfléchit par exemple à deux fois avant de parer un coup venant d'un mec de 2m50 équipé d'une épée en faisant le double. Car même avec une endurance à son max, rien ne garantit que même en parant avec succès, la massue de 150kg de votre adversaire ne vous fasse pas de vous un steak haché. Dans Dark Souls, ce n'est certainement pas vous le grosbill. On se retrouve alors devant un jeu exigent où l'on doit faire preuve de sang-froid, de vigilance à tout instant, connaître les mouvements et peser la force de son adversaire et où la violence apparente d'un coup a des effets proportionnels sur votre personne. On peut par exemple faire le parallèle avec un certain Bushido Blade, ce jeu de baston où des samouraïs s'affrontent à l'arme blanche et où le moindre coup non paré est forcément létal. Si on appréhende déjà fortement un combat face à un chevalier noir, le clou du spectacle est attribué aux boss, qui, compte tenu de leur taille et de leur monstruosité, vous donneront très certainement l'envie irrépressible de retourner dans le ventre de votre matriarche. Et face à ces boss, vous allez mourir. Souvent.

Mais la mort n'est pas une fatalité dans Dark Souls, c'est une étape obligatoire à votre réussite et la structure du jeu s'articule autour de ce fait. Le monde de Dark Souls est parsemé de feux de camp qui vous serviront de points de restauration mais aussi de points de retour en cas de décès impromptu. Leur utilisation est toutefois à réfléchir, car chaque passage au chaud fera réapparaitre tout ennemi vaincu en route (boss exceptés). Dès lors, la progression dans le jeu se présente sous la forme d'un long apprentissage par l'échec. On meurt, et on revient, renforcé d'une meilleure appréhension de la situation. Le jeu arbore alors une structure qui peut s'assimiler à un Dig Dug ou tout autre jeu de mineur : on progresse jusqu'à atteindre ses limites, on bute, puis on retourne à l'attaque pour tenter d'aller plus loin, avec le choix de faire réapparaitre les ennemis en cas de repos. Cet aspect frustrogène du titre pourra aisément décourager les joueurs les moins patients ou habitués à être assistés dans leur échec. Mais dans Dark Souls, tout effort a son réconfort, et le jeu sait récompenser. Il est alors particulièrement grisant de se surprendre à défaire un ennemi tenace avec la certitude d'avoir maîtrisé un gameplay exigent. On en sort grandi. Et pourtant, le jeu n'a pas fini de vous infliger les pires crasses qu'il soit. Il sera par exemple courant pour Dark Souls de casser les codes du jeu vidéo et de vous faire comprendre que la victoire sur un boss ne rime pas avec une trêve des hostilités, la vigilance reste de mise. Ajoutez à cela une pléthore de types d'armes différents avec chacun leur style de combat, la possibilité d'améliorer son équipement auprès de forgerons, un monde gigantesque ouvert et très finement ficelé et vous obtenez un jeu profond, carré et très piquant. Notons tout de même les aléas propre à la qualité de production de From Software : le timing de certaines attaques est parfois absurde, tel que celui des contre-attaques et le système de verrouillage de cible, bien qu'indispensable, pourra par moment rendre chèvre. Le jeu souffre également d'inexplicables ralentissements qui, fort heureusement, se font discrets sur la totalité des 40 à 50h de jeu requises.

L'ambiance du titre n'est pas en reste. Dark Fantasy oblige, elle se fait particulièrement sombre et les environnements gigantesques sont bien souvent oppressants avec des couloirs étriqués et des remparts menaçants, voir malsains lorsque l'on se rend compte que l'on marche sur un tas de cadavres noyés. L'ambiance est telle que le titre se dispense la plupart du temps de musique, qui ne viendra ponctuer que les moments les plus mémorables afin de vous garantir une montée d'adrénaline quand il s'agit de faire face à un boss ragoutant. Notons la présence de Motoi Sakuraba (la série des Tales Of, Star Ocean, etc) à la composition de l'excellente bande originale du titre.

Si Dark Souls est parfaitement jouable de A à Z en solo, il prend une dimension différente si vous êtes connecté. Cet aspect du jeu s'articule autour de la notion de points d'humanité que le joueur glane au fil de sa quête. Ces points permettent d'attiser les feux de camp afin qu'ils vous restaurent d'un plus grand nombre de fioles de vie (et donc de pouvoir progresser plus profondément dans un niveau), mais aussi, et surtout, de redevenir humain. Cette condition vous apportera des bonus en termes d'apparition d'objets et vous permettra d'invoquer d'autres joueurs pour venir vous aider à mettre une rouste à un boss récalcitrant. Mais être humain vous exposent également à de nouveaux dangers : avoir sa partie être envahie par un autre joueur, dont le seul but est de vous faire la peau pour s'accaparer vos points d'humanité durement gagnés. Le joueur envahisseur usera de tours fourbes, comme pouvoir se changer en un discret champignon pour mieux poignarder sa proie ou laisser des objets qui se changeront en monstres en temps opportuns. Dark Souls propose aussi de rejoindre un certain nombre de factions qui vous offriront des objets rares si vous remplissez des objectifs. Si le système de factions fonctionne parfaitement hors ligne, certaines d'entre elles requièrent d'envahir d'autres joueurs. Quoi qu'il en soit, le jeu est conçu pour être joué tout aussi bien en solo. Il est par exemple possible d'invoquer un NPC plutôt qu'un vrai joueur, et d'autres NPC vous envahiront de temps à autres pour que vous puissiez profiter de cette mécanique de jeu. Dans un jeu aussi sombre et où le sentiment de solitude prime, on peut se dire que ces principes multi-joueurs nuisent à ce sentiment, mais il n'en est rien. Les joueurs invoqués sont relativement anonymes et le jeu va jusqu'à bloquer tout chat vocal afin de préserver ce monde silencieux et solitaire. A un point tel que le jeu cessera tout simplement de fonctionner si vous venez à discuter de vive voix avec un ami.

En conclusion, Dark Souls est typiquement le genre de jeu qui séduira ou que l'on détestera autant qu'un petit orteil se fracassant contre un coin de meuble. Les joueurs qui iront au-delà du cap de difficulté initial et qui prendront le temps de découvrir l'ingénieux gameplay masochiste, se retrouveront face à jeu riche, à l'ambiance si singulière et s'y plongeront volontiers une centaine d'heures, le jeu proposant de surcroit un mode "new game+" plein de challenges. Loin d'être exempt de défauts, on se retrouve face à ce genre de jeux bien trop rare que sont les jeux atypiques qui sortent des sentiers battus, au risque de lâcher la moitié des joueurs en chemin, mais fera plus que ravir l'autre moitié.
MrHelmut
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le 10 déc. 2011

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