Au cinéma, on a parfois encore la chance d’avoir des « blockbuster d’auteur » ; des films à gros budget, qui ne sont pas nés d’une volonté de studio mais bien de celle d’un artiste. Si on appliquait ce genre d’exceptions au monde du jeu vidéo, Death Stranding entrerait clairement dans cette catégorie à part. Avec ce AAA en monde ouvert, son créateur (scénariste, réalisateur, producteur, preneur de son…) Hideo Kojima utilise tous les acquis de sa longue et fructueuse carrière pour proposer une histoire et surtout un gameplay inédits.


Bien qu’attentif au travail du monsieur depuis Metal Gear Solid sur PS1, j’ai uniquement terminé le dernier opus de la série MGS. Je ne pense donc pas être un fidèle aveuglé de Kojima comme on le reproche bien volontiers aux personnes dithyrambiques sur son dernier jeu. En revanche, j’ai attendu la version PC de Death Stranding avec impatience parce que l’univers avait l’air à la fois incroyablement original et au diapason de ce que je trouve grisant dans la SF post-apocalyptique.


Face aux avis ultra divisés sur le jeu, je m’attendais à une expérience assez inégale. Il faut dire d’emblée que le premier quart du titre est lassant. Après les premières livraisons où on appréhende les mécaniques je me suis vite dit « ok c’est très couillu comme concept, c’est joli et tout… mais je vais me faire chier là les gars. »
Et c’est ce cap qu’il faut passer pour découvrir tout le potentiel de Death Stranding. Pas moins de dix heures sont nécessaires pour comprendre la richesse de l’expérience qui nous est proposée ici (sachant qu’au début, les cinématiques sont très longues, Kojimesque, on pourrait dire). Mais une fois lâchés dans la grande map ouverte et surtout, à mesure que de nouveaux outils permettent de reconsidérer complétement notre façon d’appréhender le terrain, chacune de ces bêtes livraisons deviennent des enjeux passionnants.


J’ai été impressionné par le sentiment constant d’évolution que le jeu nous procure. Ayant pris soin de ne pas trop en savoir sur les mécaniques du gameplay avant de rentrer dedans, j’ai sans cesse été surpris par l’inventivité et la profondeur qu'acquéraient ces dernières au fur et à mesure de l’aventure.


L’interface semble très confuse au début mais avec un peu de pratique, on réalise qu’elle permet de tout optimiser au mieux et rapidement. Il faut dire que l’aspect « gestion » (de l’inventaire, des commandes en cours etc.) est très fouillé. C’est un des points qui se révèle rebutant dans un premier temps mais qui, sur le long terme, prend tout son sens. Death Stranding demande pas mal d’investissement et c’est ce qui a certainement fait grincer les dents de beaucoup de joueurs. Moi j’étais ravi qu’on soit bien au-delà d’un « walking simulator », comme la presse aime le cataloguer. Il fallait bien donner une étiquette à ce jeu, mais quand on commence à prendre du recul sur ce qu’il est, il devient bien moins aisé de le faire entrer dans une case.


Autre élément bien vu ; il n’y a pas d’arbre de compétences à remplir ici. Ce sont nos rares interlocuteurs qui nous gratifieront de présents et d’améliorations pour nous remercier de reconnecter un monde déchiré. Le système de progression est donc habilement intégré à notre rôle de porteur et mon addiction aux livraisons a grandi exponentiellement tandis que je recevais petit à petit de nouveaux joujous pour optimiser les trajets. Le gameplay nourrit intelligemment les objectifs et vice versa.


On l’a beaucoup dit, le propos de DS est aux antipodes de ce que l’écrasante majorité des jeux actuels à gros budget proposent : s’il y a un antagoniste et des confrontations, la violence occupe une place de secondaire ici. Le premier opus de Kojima Productions s’évertue à mettre en valeur l’entraide. D’une part, à travers son concept de reconnexion que j’ai évoqué, ensuite par sa volonté de nous laisser désespérément seul, en introspection, dans des environnements désolés… et enfin, via cette approche collaborative avec les autres joueurs dont nous ne voyons jamais plus que des traces de passages. Une poésie mélancolique se dégage de cette proposition unique, et elle s’avère terriblement pertinente lorsqu’elle est mise en perspective avec notre propre monde réel qui ne cesse de se replier sur lui-même.


Mais oui jeune chien fou, la baston existe dans Death Stranding ! Et encore une fois, j’ai été agréablement surpris à l’aune de ce que j’avais pu lire sur ce point ; les affrontements avec les Mules sont tendus et l’arsenal d’armes à notre disposition est étonnamment complet pour un jeu qui veut nous faire éviter le conflit. Mais on est pas dans du Doom Eternal non, la plupart du temps, on va effectivement s’étonner à déguerpir pour échapper une petite dizaine de types mal intentionnés, tel Indy dans la scène d’intro des Aventuriers de l’Arche Perdue. Ces moments fonctionnent très bien et le soulagement ressenti lorsqu’on atteint notre bunker de destination est des plus savoureux.


D’ailleurs, malgré quelques éléments personnalisés en lien avec les occupants de ces abris, j'ai regretté que ces lieux de détente ne soient pas plus distincts les uns des autres. Cela atténue le sentiment d'exploration et d'accomplissement que l'on peut ressentir. La demeure de Heartman représente un des rares points de livraison à avoir une identité propre.


Et puis l’absence de cycle jour/nuit me paraît aussi assez étrange. Qu’est-ce que ça aurait été stimulant de devoir se grouiller de terminer la livraison avant le coucher du soleil pour pas être assailli par davantage d’Echoués, de pouvoir faire du camping sauvage comme dans FFXV, de se guider à la seule lumière de l’Odradek dans une obscurité abyssale.
Peut-être que cela devenait trop contraignant pour le joueur qui veut prendre son temps ou peu crédible au vu de l’échelle d’une map qui est censée représenter les Etats-Unis d’Est en Ouest. Bref, il s’agit là d’un des rares points qui m’ont chagriné mais pas de quoi cracher dans mon energy drink.


Ouais et il y a aussi ce sale sponsoring… tellement outrancier qu’il en devient une blague Kojima-style. On s’en serait bien passé. J’espère que le chèque à contribué à la qualité de tout le reste parce qu’en plus c’est pas hyper crédible : avec ce que Sam s’est enfilé comme energy drink, il aurait dû rapidement finir obèse et faire un infarctus dans les montagnes !


Dernier point et pas des moindres : l’histoire. Alors certes, c’est complétement barré et parfois assez grossier dans ce qui caractérise les personnages et leurs enjeux. Mais le lore est indéniablement dense, inédit et magnifié par la somptueuse direction artistique de Yoji Shinkawa. Et heureusement, l’humour vient souvent décontracter cette entreprise ultra-ambitieuse et parfois un brin pompeuse. Comme d’habitude avec le créateur japonais, les cinématiques sont quinze fois trop longues. Mais il faut admettre que les protagonistes se révèlent être tous attachants et que cette performance-capture est assez éblouissante. Je prends donc plutôt ça comme un élan de générosité.


La générosité qualifie donc bien ce Death Stranding, tant il fourmille de petits détails, de surprises et de bonnes idées. Il y a une tonne d’autres points que je pourrais évoquer, comme… bien entendu la gestion de la marche, le BB, la construction de routes, les phases avec les échoués, les sessions de snowboard sur transporteurs flottants... Mais le mieux c’est de le vivre aux côtés de Sam. Accrochez-vous (R2+L2) et le voyage laissera son empreinte sur vous telle une néantisation dans une zone d’échoués.

hotshort
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le 22 nov. 2020

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