Alors, au risque d'en étonner certains, c'est compliqué de faire une critique sur un jeu comme Derrick, Meurtre dans un parterre de fleurs. C'est presque un sacerdoce ludique en fait. Car bien avant l'angoisse de la page blanche, il y a l'angoisse de ce qu'on pourrait appeler le jeu blanc (et une paraphrase de Molière: "Qu'est-ce que je suis allé foutre dans cette galère ?"). Eh oui, car avant d'écrire, il faut y jouer.


Et avant cela, il faut l'installer. Enfin là, on se dit que ça va aller vite. On lance.


Ok, on patiente. On patiente. On patiente encore un peu. Encore un peu. Tranquilou. A base de tranquillade.


A ce moment là, on se met à rêver. On se dit que les fichiers sont tellement compressés qu'ils ont dû cacher une saison complète de Derrick en HD pour ceux qui débloqueraient tous les succès (ou les Haut-faits, ou les Trophées, ou autre chose... Choose your word, choose your universe! - ça pète comme slogan, nan ?). Puis on revient sur Terre. Pas de succès ici, Derrick est un jeu roots qui rend hommage aux meilleurs.


L'installation s'achève pour nous embarquer dans un tourbillon d'étonnement avec la découverte du launcher de la compagnie qui a localisé le jeu. Ici, point de sobriété, ni de discrétion. On se montre et on est fiers. Et nous, on a presque envie de taper dans ses mains tellement on est fiers d'être Derrickien.
Puis le professionnalisme reprend le dessus, on embrasse d'un seul regard les courbes du launcher pour mieux se concentrer sur le design graphique. Les créateurs osent et transgressent. Là où Nintendo s'était résigné à bannir le combat entre Pikachu et Porygon - tout ça parce quelques centaines d'enfants avec été pris de convulsions voire de crise d'épilepsie – les gars de Tradewest, eux, ne fléchissent pas. Pour leur Guème Ceneteur (parce que faut le dire avec l'accent sinon ça perd de sa puissance évocatrice), ils utilisent une palette des couleurs étonnante, chatoyante, raffinée et du genre à rendre aveugle Daredevil lui-même. Je vous laisse rêver.


Une fois les sens réhabitués aux couleurs et lumière naturelles, on peut entrer dans le vif du sujet et lancer le jeu. Hop. Séquence émotion : https://www.youtube.com/watch?v=z2e7oH1F7nI


Un tour par les options (sobres - ni trop, ni trop peu) pour monter le volume de la musique et passer en mode plein écran (oui monsieur, on va dans les options pour passer en plein écran, car oui monsieur, les développeurs de Derrick, Meurtre dans un parterre de fleurs, ont pensé aux gens qui avaient un CRT 15 pouces et une définition pas adéquate). Puis on fait un tour dans la création de profil - pour que chacun puisse avoir sa propre partie, sans doute pour éviter les incidents domestiques du type effacement de sauvegarde et spoiler. Et enfin, on y est. Lançons la bête !


Une cinématique, où des photos polaroïds tombent une à une sur un album, montre un assassinat (enfin on imagine que c'est un assassinat vu qu'on voit juste un homme de dos semblant courir, puis tombant sur le ventre avant de se retourner vers l'objectif, l'air effrayé). Dix secondes plus tard, c'est fini. Moi qui avait peur qu'ils nous la jouent Kubrick, je suis rassuré. D'ailleurs ce sera la seule cinématique. Et la seule partie comportant des animations. Parce que dans Derrick, Meurtre dans un parterre de fleurs, on ne court pas. On pense.


Vu qu'on parle de penser, parlons de l'un des aspects principaux du jeu : l'intrigue. Celle-ci démarre sur les chapeaux de roue. Le téléphone sonne. Derrick répond. C'est Harry. Il y a eu un meurtre. Il faut se rendre sur place. Mais Derrick doit d'abord rassembler ses affaires d'inspecteur (ainsi que le bloc note et le stylo de Harry parce que ce tas de boue les a oubliés). Tout de suite dans l'action, on se retrouve face à la première énigme du jeu d'un type assez classique : il faut trouver des objets dans le décor. Heureusement pour les plus myopes d'entre nous (Bonsoir !), la liste des objets à trouver est inscrite en haut de l'écran. Malheureusement pour les moins germanophones d'entre nous (Bonsoir aussi !), les traducteurs taquins les ont laissés en allemand. Nous voilà donc à cliquer sur notre décor fixe afin de trouver une dienstausweis, une paire de handschuhe, un kugelschreiber et j'en passe. Comme le bon sens fait partie intégrante de la série (et que les développeurs sont restés fidèles), on arrive à s'en tirer sans avoir à systématiquement cliquer frénétiquement sur tous les objets et par extension sur tous les pixels (hommage non dissimulé aux premiers point&click, le curseur ne change pas en survolant un objet intéressant ; Derrick, c'est casual, pas trivial !).


Au bout de quelques minutes, j'ai tout rassemblé (et appris que handschuhe voulait dire 'gants' - ludique et instructif). Je vais pouvoir partir sur les lieux du crime, woot ! Ah bah non. Il faut maintenant que l'inspecteur vérifie sur un plan quelle route il doit prendre (parce qu'il n'en a pas dans sa voiture). Heureusement, il y a une carte de la ville accrochée au mur. Mais il semble lui manquer sa partie centrale. Je clique. « C'est sans doute une plaisanterie de mes collègues. Voyons voir si je peux retrouver quelque part ici les éléments manquants. »


Ah l'humour allemand ! Les collègues de Derrick ont donc découpé la partie centrale du plan en 9 morceaux qu'il va falloir retrouver en fouillant dans le décor avant de recomposer le puzzle.
Je vous avoue qu'à ce moment précis, je me suis dit que ça sentait un peu le prétexte facile pour un mini jeu. Je n'en aurais pas mis ma main à couper, mais j'avais une espèce d'intuition. Les deux heures qui suivirent apportèrent un peu de crédit à cette théorie.


En effet, au-delà de l'intrigue policière fidèle au genre (une paire de fausses pistes, une mini intrigue entremêlée, ni trop, ni trop peu), Derrick, Meurtre dans un parterre de fleurs, se découpe en 14 chapitres (ça semble beaucoup). Chacun est divisé en deux ou trois décors (entendez 'image fixe') et quatre ou cinq mini jeux alternant 'trouver des objets' et 'énigmes' (puzzle (de 9 pièces max), jeu des X erreurs...). Aucun casse-tête je vous rassure. Il y a même une option pour zapper une énigme qu'on trouverait trop ardue (ie une énigme où le fait de cliquer partout frénétiquement et/ou consciencieusement pourrait ne pas suffire à la réussir en moins de 3 minutes).


Malgré le grand nombre de chapitres, ça peut sembler léger. Mais au final, en y jouant, on trouve ça assez et on se dit même que les développeurs ont trouvé le juste milieu entre trop et trop peu. Derrick, Meurtre dans un parterre de fleurs, ne s'enlise jamais dans l'action frénétique hollywoodienne, ni dans du verbeux à la Rohmer. Il est équilibré et respecte le rythme de son référent.


Toute à l'heure j'ai dit qu'il n'y avait plus d'animation après la cinématique d'intro. C'est faux, j'ai menti. D'abord, il y a un mini jeu où on contrôle Derrick (himself) en vue de dessus et où doit trouver son chemin entre des caisses éclairé par une simple lampe torche – un évident et noble hommage à Alone in the Dark. Mais aussi, et surtout, il y a un running gag avec une grenouille qui apparait et fait 'croa croa'. Si, si. Elle apparait. Et elle fait 'croa, croa' (ça va vous paraitre idiot, mais j'ai mis super longtemps à comprendre qu'il s'agissait d'un clin d'oeil aux Monthy Python ET à Tex Avery). Bon, pour le reste, c'est du fixe. C'est normal, car les développeurs ne renient pas Myst tout en ajoutant un gameplay et une ergonomie un peu plus moderne.


Parce que oui ! Derrick est un jeu moderne qui montre encore une fois qu'avec du super vieux, on peut faire un truc dans l'air du temps. Durée de vie de deux heures, une intrigue classique, voire convenue, des énigmes simples et pas toujours bien intégrées dans le contexte, une interface épurée et des commandes intuitives (une souris à un bouton permet de tout faire) : on clique gauche pour changer de pièce, pour ramasser un objet et pour l'observer ou encore pour faire défiler les dialogues. Des zones assez étroites, mais couplées avec des temps de chargement assez courts... S'il n'y avait pas la musique tout droit sorti d'un ascenseur des années 80, on se demanderait vraiment pourquoi il n'est sorti que sur PC tant il semble avoir été pensé pour la console.


Et c'est à cause de ça qu'il loupe la note maximale. Enfin, vous pouvez toujours espérer ami consoleux ! Il arrivera peut-être. Avec le DLC de la version coop sur écran splitté !
Ca fait rêver, non ?

VincK
9
Écrit par

Créée

le 24 avr. 2012

Modifiée

le 27 sept. 2012

Critique lue 703 fois

15 j'aime

VincK

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