Destiny
6.2
Destiny

Jeu de Bungie Software et Activision (2014PlayStation 4)

Destinyyy, on était tous les deux Destinyyy

J'ai plusieurs fois hésité à exprimer mon avis sur le jeu si 'rapidement' après sa sortie -en tout cas trop rapidement pour avoir une idée bien précise de ce que Bungie a en tête avec- mais avec trois brouillons de critique, après une vingtaine, une cinquantaine, puis ce que je ne peux qu'estimer être une soixante-dizaine d'heures passées dessus (même grossièrement, c'est plutôt effrayant), je serais bien hypocrite de dire que je ne m'amuse pas sur le demi-frère (d'un autre père, le rouquin diabolique Activision) de Halo, quand bien même quelques défauts que j'estimais mineurs au départ deviennent véritablement gênants avec le temps.

Partons déjà du plus évident. Destiny est un simili MMO. Simili parce que son mode de fonctionnement est plus similaire à un jeu multijoueur en ligne classique (doté d'un enrobage luxueux) qu'à un véritable MMO avec serveurs globalisés. En lançant une instance ou une activité, on se connecte simplement à un autre des milliers de serveurs mis à disposition pour le jeu, en compagnie d'autres joueurs. Un système plutôt malin qui permet à Activision d'économiser en mutualisation des serveurs, et aussi aux joueurs de profiter d'une expérience de jeu stable et relativement calme, mais se traduisant par des temps de chargement (qui sont en réalité un mélange camouflé de chargements et temps de connection au serveur) parfois très (trop) longuets. En pratique, le jeu ressemble beaucoup à Guild Wars ou PSO dans son fonctionnement, ce qui est loin de me déplaire, mais si vous recherchez un expérience plus classique, à la WoW ou Wildstar, je ne suis pas certain que vous y trouviez entièrement votre bonheur.

L'autre grande particularité de Destiny, c'est que les sommes qui le composent sont toutes faibles, voire décevantes, prises indépendamment. Si vous recherchez une grande histoire spatiale, l'aventure principale est légère, légèrement débile même, pour ne pas dire carrément vexante par moment. Le coup de l'élu unique gardien de la galaxie alors que l'on joue avec des milliers d'autres joueurs est déjà particulièrement con, mais le final est de surcroît ce qui s'approche le plus d'un pet foireux anticlimactique à mon goût (j'ai dû aller vérifier que j'avais bien joué à la dernière mission, un conseil pour les développeurs, la prochaine fois mettez un encart "Thanks for playing!" en pixel art histoire de signaler au joueur que c'est fini). Le multijoueur compétitif manque (encore) de contenu, là où Halo était justement un modèle d'exhaustivité (et de personnalisation, complètement absente ici, mais passons). L'aspect exploration se contente de belles grandes maps peuplées de poignées de mobs, coffres et matos de craft à tuer, ouvrir et récupérer dans cet ordre. On a la possibilité d'y faire des patrouilles, petites missions basiques qui finissent par toutes se ressembler mais qui au moins donnent l'illusion d'être un minimum utile, et des évènements aléatoires (trop rares) permettent de vraiment s'amuser, à condition d'être accompagné d'un minimum de monde. Enfin les instances sont en faible nombre, on aura donc tôt fait de les connaître par coeur et de les compléter machinalement, sans aucune passion sinon la perspective d'éventuellement récupérer un peu de matos sympathique pour monter en niveau et en faire d'autres de plus haut niveau. Restent les raids, système excellent sur le papier mais au prix d'entrée encore un peu trop élitiste pour le moment (compliqué de rassembler 6 amis ayant suffisamment joué pour atteindre le niveau 26, alors que chacun y va à son rythme).

Voilà, ça c'est que vous ferez dans Destiny, et ce que beaucoup de joueurs reprochent au jeu manifestement. Clairement, le système s'appuie sur les futurs DLCs payants pour faire perdurer la légende, ce qui personnellement me perturbe car cela va instaurer un jeu à double vitesse là où typiquement tous les joueurs devraient être mis sur un pied d'égalité. C'est un peu la philosophie "marche ou crève" mise en place par Activision sur ses Call of Duty et qui risque de fonctionner tout aussi bien ici, malheureusement. En attendant que ces futures extensions (à 20€ pièce quand même, ils ne doutent de rien ces rouquins) n'arrivent, on se retrouve donc fort logiquement à juger le titre en l'état, et le simple fait d'en percevoir les limites, alors que l'on passe 15-20 heures par semaine (voire plus) dessus, fait froid dans le dos. Je ne me reconnais pas dans ce raisonnement. Pour ma part, j'estime que si l'on peut passer des centaines d'heures (littéralement) sur un titre chaque année, que ce soit à liquider des terroristes à l'arbalète, marquer des buts avec le LOSC (fait hautement improbable, je sais), tenter des fast expands Zergs, ou en l'occurrence se débarrasser de vermines sur la Lune à coups de revolver, la perspective d'atteindre un hypothétique end game n'est pas tant un but pragmatique qu'une manière de se justifier notre comportement irrationnel. Le "dernier petit tour et au lit" sur Civilization ne nous apportera aucune gloire ou fortune, fut-elle réelle ou virtuelle ; et pourtant je ne compte plus les fois où je me suis retrouvé au beau milieu de la nuit à bronzer derrière mon écran, une poignée d'heures à peine avant d'aller bosser, à essayer d'écraser ce fumier de Gengis Khan sous ma botte.

Les joueurs cherchant une finalité à Destiny feraient tout aussi bien de se trouver un travail à la mine, ils seront au moins payés en véritable argent pour leur boulot aliénant. Comme beaucoup d'autres jeux du même acabit, la véritable question à se poser en y jouant n'est pas "pourquoi je passe mon temps à flinguer des ennemis à l'IA de poule" mais plutôt "est-ce que je m'amuse à le faire". Le "pourquoi" n'est jamais une question rationnelle, ou joue pour s'occuper, s'amuser, se distraire, s'imaginer, non pas pour pouvoir se vanter d'avoir passé 200 heures sur un jeu chiant, récompensées par un trophée de platine d'une poignée d'octets. Alors, Destiny est-il amusant ? Oui, sans doute pas pour tout le monde, mais il possède en tout cas quelques qualités vitales pour y prétendre. Le gameplay, déjà, est réglé aux petits oignons et est particulièrement satisfaisant pour un FPS console. On pourra lui reprocher un auto aim vraiment trop présent qui parfois fait tout le boulot à notre place, mais force est de constater qu'une fois le pré-requis de précision écarté on peut se concentrer sur la nervosité des affrontements et la tactique des déplacements. Les trois classes sont toutes relativement agiles et permettent des styles de jeu tantôt verticaux, tantôt horizontaux selon les préférences, et les zones d'affrontement sont pensées pour en tirer parti judicieusement. De mêmes, les armes, si elles ne brillent pas par leur variété, ont au moins le mérite de posséder une personnalité bien propre en fonction de leur classe. Comme dans Rage à l'époque, le choix tient avant tout d'une question de préférence personnelle et non de puissance, ce qui favorise la création d'un style de jeu unique et personnalisé. Tout cela contribue à améliorer l'expérience shooter du titre, et il faut bien l'avouer, dans ce domaine, Destiny est le champion incontestable pour le moment sur consoles.

Tirer sur des ennemis, c'est bien, mais on aurait aimé ne pas avoir à tirer toujours sur les mêmes, car pour le moment l'ensemble manque un peu de variété, et pire encore, se retrouve cantonné au même schéma microbe/petit/moyen/grand/spécial pour les quatre races que l'on aura à combattre. Pour combattre la lassitude, les environnements se renouvellent régulièrement et possèdent tous suffisamment de charme pour retarder ce moment invariable où l'on admettra faire toujours plus ou moins la même chose (plus ou moins long selon les joueurs). L'exploration des planètes montre rapidement ses limites, avec des zones qui se révèlent être de simples cercles, composés de multiples tronçons reliés les uns aux autres. La Terre et Venus s'en sortent mieux que les autres, avec des sections plus denses et plus de petits passages secrets, mais en bon explorateur que je suis j'ai été déçu par cet aspect-là du jeu, qui aurait clairement pu être plus poussé, voire élaboré. Je m'y amuse tout de même, car c'est l'une des rares occasions où le titre nous laisse faire ce que l'on veut et être qui on veut, bref créer notre propre légende. Une impression renforcée par les graphismes et la direction artistique, splendides faute de meilleur terme, et qui jouent un grand rôle à l'intégration dans cet univers. Que ce soit assit sur les toits de la Tour à profiter de la vue, à faire des courses de Sparrow dans les canyons lunaires, à visiter les carcasses de bateaux dans le Cosmodrome ou se détendre sur le bord d'un fleuve de souffre sur Venus, Destiny est rempli de paysages à couper le souffle et de petits moments de détente bien sentis qui aident à rompre la monotonie des tueries incessantes. Des petits plaisirs dont j'ai personnellement du mal à me lasser, même si ces instants fugaces ouvrent parfois la porte à quelques frustrations (la ville en-dessous de la Tour a l'air géniale vue de loin, pourquoi n'a-t-on pas l'occasion de la visiter ?).

Des sept piliers décrits par Bungie pour créer un bon jeu, celui de l'univers est sans aucun doute celui qu'ils ont le mieux réussi dans Destiny. Si vous n'y accrochez pas, ou y voyez un intérêt limité, revendez votre jeu car vous n'y trouverez pas votre compte. Si à l'inverse vous y accrochez, vous vous amuserez sans problème, mais difficile de ne pas ressentir une certaine frustration face à ce que les développeurs font de cet univers. Une exploration même assez superficielle des zones permet de se rendre compte qu'ils en ont volontairement gardé sous la pédale pour les futurs évènements et DLCs, avec des sections visibles mais inaccessibles à l'heure actuelle, ou cachées derrière une grosse porte. De même, l'histoire proprement ridicule ne rend pas honneur aux zones traversées, et l'on se retrouve systématiquement baladé(e) d'un point A à un point B, abreuvé(e) de cut scenes imbitables, et assigné(e) à tuer vagues d'ennemis après vagues d'ennemis en attendant que notre Tyrion Lannister robotique veuille bien ouvrir une porte ou décrypter un message radio. Le souffle épique de l'aventure grandiose est au moins équivalent à la balade pour acheter le pain au coin de la rue dans ces conditions.

L'autre gros défaut de cette aventure est imputable à l'accroche de Bungie pour le titre. "Become Legend", pas "Become a legend" encore heureux, mais pas "Become your legend" non plus malheureusement. En pratique cela signifie que toutes les faits d'armes que vous effectuerez ne représentent qu'un tiret à votre nom dans les livres d'histoire de l'univers, une notion d'autant plus vexante que l'on peuple cet univers avec des milliers de joueurs partageant la même destinée. A contrario, le motto "Become your legend" aurait permis à Bungie d'insuffler une dynamique différente au jeu, en s'assurant que chaque joueur ait la possibilité de se créer sa propre aventure. Au lieu d'être un anonyme point dans l'espace, on aurait pu avoir la possibilité d'exister par rapport aux autres joueurs, en devenant un maître chasseur, en étant le premier à trouver et tuer tel monstre caché dans une grotte perdue sur Terre, en ayant le plus gros nombre de headshots effectués en PvP, ou la plus grosse collection d'armes exotiques, ou que sais-je encore. Des exemples tout bêtes qui auraient permis de renforcer les fondations sociales du titre, pour le moment vacillantes et limitées à la bonne volonté des joueurs. La Tour, notamment, n'a de social que le titre, puisque tout le monde se contente d'y faire ce qu'il a à faire, visiter quelques vendeurs, et repartir aussi sec. Comparé à Phantasy Star Online, son homologue le plus direct (vieux de bientôt 15 ans !), le titre peine à proposer des interactions avancées entre joueurs, et la simple idée d'inviter des inconnus dans son escouade se révèle inutilement compliquée. Mon plus gros accomplissement restera la création spontanée avec mon escouade d'un girls' band de chasseuses (les Destiny's Children, pour éviter les problèmes de droit), en représentation tous les soirs à 21h30 (pic de popularité, 32 personnes dans le public, on a virtuellement dansé dans tous les endroits possibles et imaginables sur la Tour), mais ce genre de petite récréation reste beaucoup trop rare à mon goût, puisque le système lui-même n'incite pas les joueurs à se regrouper.

(Mode vieux con /on) Fut un temps où les niveaux 25+ étaient plutôt rares au sein de la Tour, les joueurs nous saluaient en passant, venaient observer notre matos, aujourd'hui, pour paraphraser Syndrôme, depuis que tout le monde est super, plus personne ne l'est. Il manque un moyen de se démarquer des autres joueurs, moyen ostentatoire j'entends, car être le seul à connaître son meilleur temps sur la Lune en Sparrow (8"32') n'avance à pas grand-chose. La plupart des joueurs sont partants, ils ne demandent que les bons outils pour exprimer leur créativité.(/off)

Et pourtant, toutes les bases sont présentes : quitte à avoir un endroit où les gens se rassemblent, pourquoi ne pas y afficher par exemple un tableau de classement des meilleurs joueurs hebdomadaires ? Pourquoi ne pas pouvoir échanger des ressources avec un joueur nécessiteux, à défaut de pouvoir échanger des pièces d'équipement ? Pourquoi limiter le système de factions et de réputation à un simple moyen d'acheter du matériel, alors que c'est justement le meilleur moyen de mettre les joueurs en relation selon leur allégeance ? Pourquoi avoir un grimoire si complet, si intéressant, pour ne pas y inscrire ses faits d'armes, ou avoir à y accéder selon un moyen si lourdingue ? A quoi servent les clans sinon pour avoir une jolie inscription sur sa plaque ? Une foule de petits détails qui, s'ils ne pourrissent pas l'expérience de jeu, démontrent bien que Bungie n'a pas vraiment d'expérience en matière de jeu social (malgré le codex en ligne d'Halo 3, génial pour l'époque, et en totale régression ici), et s'est lancé trop vite dans un projet trop gros.

En l'état, si je ne me suis pas encore lassé du jeu et que j'y joue encore régulièrement, j'ai parfaitement conscience qu'il faudra un peu plus de détermination à la majorité des joueurs pour rester, et même si je ne partage pas les voix de déception (pas sur les mêmes points en tout cas) qui s'expriment au sujet du jeu, je les comprends parfaitement. Destiny est un bon jeu, entaché par une flopée de défauts pour certains vraiment agaçants. Bungie avait les moyens de faire quelque chose de grand avec, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne peuvent plus rien y changer. Après tout, si Diablo III m'a bien appris quelque chose, c'est qu'avec un peu de temps, de bon sens et une bonne écoute de la communauté, on peut transformer un titre juste bon en excellent jeu. En espérant que Bungie et Activision aient l'intelligence de suivre cette voie.

Créée

le 19 sept. 2014

Modifiée

le 3 oct. 2014

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HarmonySly

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