[critique avec spoils]


Joueuse quotidienne depuis de nombreuses années, j’ai décidé pour ma première critique de présenter mon ressenti (en demi-teinte) après avoir terminé deux fois le dernier jeu du studio français Quantic Dream. Ressenti déterminé principalement par mes attentes (ô combien grandes après une grosse campagne marketing).


Pour commencer, impossible de passer à côté de la direction artistique. Graphiquement, Detroit est sans surprise époustouflant de réalisme au niveau de la modélisation des personnages. La capture des mouvements et les expressions des acteurs nous scotchent manette en main dès les premières secondes. Le personnage le plus réussi étant pour moi Luther, ex-soldat androïde imposant par sa carrure. Sa façon de se déplacer et de marcher m’a réellement donné l’impression de le sentir à mes côtés. Mention spéciale pour l’interface du menu et la présence d’une Chloé plus vraie que nature (qui apporte une touche supplémentaire à l’immersion de façon originale et inattendue).


A l’inverse, je trouve l’univers même s’il est techniquement irréprochable (jeu de lumière, etc.), un peu froid et distant. On évolue dans un futur dépourvu de saletés, tout est clair, net et brillant. Même dans les environnements ou lieux censés être laissés à l’abandon, je n’ai pas ressenti les traces du temps qui passe. Les décors sont trop lisses et contrôlés et semble avoir été passé au peigne fin par les équipes de Quantic Dream pour paraître parfaits, créant une sorte de barrière physique dans mon immersion censée être la plus « réaliste » possible.


Au niveau du gameplay, j’ai trouvé les phases de QTE totalement jouissives, avec des choix de touches pertinentes, en lien avec nos propres mouvements avec la manette, vraiment en phase avec l’action et le mouvement de nos personnages. J’ai couru, je me suis battue, j’ai eu peur et j’ai véritablement senti l’adrénaline monter avec Kara, Markus et Connor, dans chacune de ces séquences totalement immersives.


On en vient maintenant au point le plus important pour moi dans ce type de jeu présentant des choix multiples : le scénario. Je m’attendais à ce que mon petit cœur sensible soit retourné dans tous les sens et que mon cerveau soit dans un état d’ébullition constante ! Que nenni.


Après avoir terminé une première fois Detroit : Become Human en ressentant une petite frustration quant au dénouement final (mon premier choix a été la violence), je relance quasi directement une nouvelle partie. L’espoir laissé par la rejouabilité des chapitres pour découvrir de multiples facettes du jeu à vite laissé place à une forme de déception dû à l’acceptation que le scénario était d’une complexité finalement assez limitée. Malgré les nombreux « mauvais » choix que j’ai effectué lors de ma première partie (m’empêchant notamment d’accéder aux réponses de Kamski quant à l’origine de la déviance des androïdes), j’ai deviné sans aucune difficulté que ce besoin récent d’émancipation et de revendication de leur liberté, était tout simplement le fait d’un virus. Il m’a donc été difficile assez rapidement de m’identifier aux doutes et douleurs des personnages sachant qu’ils ne présentaient qu’une forme d’empathie uniquement programmée. Detroit : Become Human ne s’avère être finalement qu’une nouvelle critique amère de l’Homme, utilisant les androïdes comme n’importe quelle autre arme d’autodestruction sous fond de conflit entre les États-Unis et la Russie.


À cela s’ajoute également une vision trop manichéenne entre le bien et le mal tout au long du jeu. Je pense notamment au parcours de Markus se réduisant schématiquement à choisir entre une voie pacifique ou une voie violente pour arriver à ses fins. J’ai même été très peu surprise des conséquences des actions de mes personnages, dans une arborescence plus linéaire que ce que je pouvais imaginer en lançant le jeu pour la première fois.


D’un point de vue de la réflexion quant aux conséquences futures des nouvelles technologies sur nos sociétés et nos destins individuels, Deus Ex va plus loin (la question des fractures sociales dues au transhumanisme seront beaucoup plus complexes à maîtriser qu’un simple soulèvement de machines commandées à distance). La série Real Humans est également beaucoup plus intéressante dans son traitement des androïdes « domestiques ». Les nombreuses pistes de cette création suédoise (que je recommande vivement !) explorent par exemple le développement des sentiments d’hommes et de femmes pour leurs robots de compagnie ou encore la possibilité de reproduire à l’identique un être cher perdu récemment, mettant en lumière les chamboulements émotionnels que les technologies peuvent amener face à notre représentation de la vie et de la mort (réflexions totalement absentes dans Detroit).


En conclusion, Detroit : Become Human ne va (pour moi) malheureusement pas assez loin là où je l’attendais : le traitement des répercussions des technologies sur nos futures représentations et interactions sociales, culturelles, idéologiques, politiques et spirituelles. L’humanité (et donc moi-même) est complètement laissée de côté, empêchant l’identification et la transposition personnelle dans un univers finalement trop « androïsé ». La perfection technique et visuelle n’a pas été suffisante pour me faire apprécier totalement cette création vidéoludique.


Même s’il ne traite pas du tout du même sujet, je voulais mentionner un autre jeu français proposant un jeu à choix multiples et donc une rejouabilité intéressante : Life Is Strange, qui m’a émotionnellement et spirituellement énormément touchée, en traitant du thème du deuil magistralement (je recommande vivement à ceux ayant déjà terminé ce jeu de lire la critique de GagReathle). A l’instar de Detroit, il est quasi impossible de saisir toute la portée de Life Is Strange en le terminant une seule fois. Les différentes fins proposées ne sont pas censées donner différents scénarios, mais plutôt différents niveaux de lecture imbriqués permettant de saisir l’intégralité de ce chef d’œuvre vidéoludique.


Pour en revenir à Detroit, tout n’est pas à jeter loin de là, c'est tout de même un jeu sur lequel j’ai aimé passer du temps (sinon je ne l’aurais pas fini deux fois) et que je recommande aux joueurs curieux cherchant de nouvelles expériences vidéoludiques. Ma déception étant le résultat d’une attente trop forte vis-à-vis des multiples scénarios complexes que j’attendais et de ma vision personnelle des conséquences des technologies sur nos sociétés. Je suis partagée entre le sentiment d’avoir passé bon moment de divertissement et la sensation que cela ne va pas assez loin dans le traitement du sujet et des personnages, m’empêchant de vivre la claque émotionnelle à laquelle je m’attendais.

Eilujrig
7
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le 24 juil. 2018

Critique lue 353 fois

Eilujrig

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