Ah, Dishonored. Entrevu pour la première fois à l'E3 2011, une odeur de GOTY s'en est tout de suite dégagé. Une direction artistique sublime, la promesse d'un terrain de jeu ouvert, les papas de Arx Fatalis et Dark Messiah of Might and Magic ? La torture de l'attente interminable peut commencer.
S'ensuivent des mois d'une comm' habilement menée par Bethesda qui édite le jeu d'Arkane. Car Bethesda sent le potentiel de son poulain et met le paquet : musique, trailers, carnets de développeurs ... tout ceci se fait de plus en plus alléchant, mais promesses demandant confirmation, l'ombre du doute pointe aussi le bout de son nez : et si on s'était trompés ?
Puis c'est enfin le jour de la confirmation, les reviews plus qu'enthousiastes pleuvent, presque des déclarations d'amour. Et on lance le jeu.
A l'arrière d'un bateau qui deviendra vite familier, on ne peut que regarder autour de soi. L'occasion de constater que, si le jeu ne se pose pas comme le nouvel étalon technique, le design de Viktor Antonov n'en a que plus de mérite de le rendre si beau, unique, une angleterre victorienne en plein boom industriel, avec des accents rapellant la city 17 de Half Life 2. Les animations, de plus, portent le jeu à un tout autre niveau qu'un screenshot inanimé. Gardez bien à l'esprit qu'ils ne rendent pas justice au jeu.
Tandis qu'on remet sa mâchoire en place, on réalise que l'on peut enfin jouer. On apprend les premiers mouvements, et il devient clair que côté maniabilité, Arkane est passé maitre dans ce secteur original des fps médiévaux. Tout est fluide, les mouvements s'enchaînent, le corps de Corvo deviendra vite une seconde peau et on appréciera que le studio Lyonnais ne prenne pas le joueur pour un débile avec un quelconque système de couverture mal foutu : une bonne position accroupie, on n'a pas encore trouvé mieux.
Et si Arkane laisse le joueur se débrouiller avec ses couvertures, c'est surtout symptomatique de l'ensemble du jeu. Mais vraiment de son ensemble, à tous les niveaux : du plus petit niveau, le simple combat ou le trajet vers un point donné, au chemin que vous emprunterez du lancement du jeu jusqu'au dénouement, en passant par la compréhension de l'histoire, Arkane part du principe que vous êtes intelligent et curieux, vous donne des outils et vous offre le choix de comment, quand, où les utiliser. Et c'est de là que vient cette déferlante d'amour pour le jeu, mais aussi qui peut faire naître des frustrations -pour moi- injustifiées.
Il n'y a pas de murs invisibles dans Dishonored, rien ne vous empêche de rusher tout le jeu et le finir en 8h en passant à côté de 70% de son contenu. Rien ne vous force à utiliser tous vos pouvoirs au bon moment que votre volonté de résoudre intelligemment les situations qui vous sont proposées, si vous voulez ne faire qu'avancer en dézinguant tout le monde au pistolet, vous pouvez, mais se plaindre ensuite est ridicule. Si le monde vous plaît, il ne tient qu'à vous de percer les secrets de la cité insulaire de Dunwall en explorant, en écoutant les discussions entre personnages, en faisant les quêtes facultatives (mais qui, hormis ce caractère non obligatoire, sont rigoureusement aussi travaillées, intéressantes, et longues que la partie obligatoire), et pour les non allergiques à la lecture, avec les livres disséminés un peu partout qui tissent l'histoire de ce monde dont Dishonored ne suffit à raconter l'Histoire avec un grand H. Alors pourquoi s'obstiner à s'auto saborder l'expérience en fonçant tout droit.
C'est un fait, Dishonored a de bonnes chances de manquer une cible, celle des joueurs incapables de jouer sans scripts et couloirs étriqués. Mais il serait criminel de baisser une note pour un tel parti pris si rare à notre époque. Je remercie Dishonored pour ce level design ouvert et intelligent qu'on n'avait plus vu depuis Deus Ex ou System Shock 2, un Deus Ex Human Revolution sous hormones. A tel point qu'on se demandera parfois si les développeurs avaient vraiment prévu ce double saut-blink vers une corniche, puis cet enchaînement saut-blink-possession au dessus du mur pour s'introduire dans la place.
L'histoire, elle, se laisse suivre, elle est efficace et comporte ce qu'il faut de rebondissements. Objectivement, elle aurait pu être encore plus prenante, mais combinée à l'univers, on a largement le nécessaire pour être immergé, d'autant plus que l'on nous propose rarement un univers si original, qui sort un peu des poncifs orcs-elfes/conflit au moyen orient/vaisseau spatial.
Niveau technique, hormis quelques disparitions de corps je n'ai pas eu à déplorer de bugs, un tour de force d'éviter les bugs de collision avec tant de liberté d'action. Par ailleurs, la version PC est très agréable, les temps de chargement sont quasi instantanés, à peine a-t-on le temps de lire quelques mots du conseil censé nous faire patienter que le chargement est terminé. Le menu est également très bien foutu : on assigne comme on veut les armes et sorts en raccourci sur les touches de 1 à 10 (enfin, 0), il suffit d'ouvrir la roue des pouvoirs, se placer sur l'arme/pouvoir que l'on veut, appuyer sur la touche sur laquelle on veut l'assigner, c'est fait : appuyer sur 3 dégainera maintenant l'arbalette et ses carreaux hypodermiques.
Je recommande le niveau "difficile" au minimum pour la difficulté, le jeu reste largement abordable mais surtout l'IA, assez débile jusqu'en "normal", sera de bien meilleure qualité. Je déconseille également de débloquer le pouvoir permettant de voir les ennemis à travers les murs, j'ai joué sans et très franchement je n'en vois pas l'intérêt, avec un peu de jugeotte, d'observation et en tendant l'oreille on s'en sort sans se pourrir le jeu. Je conseillerais même de désactiver le radar de quête, les indications permettent toujours de trouver son objectif, et cela permet d'être plus sensibles aux routes alternatives plutôt que de foncer tout droit vers le point affiché à l'écran.
Ne soyez pas surpris, par ailleurs, si la gestion des ombres ne rentre pas en compte pour déterminer si un ennemi vous voit ou non. Arkane justifie ceci en disant qu'il n'est pas crédible qu'un ennemi ne nous voie pas à 1 mètre juste parce que l'on est dans l'ombre, et qu'un système réaliste de ce côté là serait trop lourd à mettre en place. Il y a du pour et du contre, la présence ou absence de ce système donne dans chacun des cas des situations assez absurdes, alors on en prend son parti. Il vaudra donc mieux oublier les ombres et profiter des couverts, ou prendre de la hauteur, les ennemis étant peu sensibles à ce qui se passe au dessus de leur tête, avec leur champ de vision en cône, ce qui finalement est assez crédible.
Le jeu est long, j'ai mis plus de 20-25h à le terminer sans être jamais repéré, sans jamais tuer même les cibles des assassinats, en explorant. Et je compte le recommencer en tuant cette fois mes adversaires, et en faisant passer les morts de me cibles pour des accidents, ce qui rend la façon d'appréhender les missions tellement différente que c'est presque un nouveau jeu qui s'offre à nous. Comment critiquer la durée de vie dans ce cas ... la seule petite déception viendra du côté de la bande-son, avec des morceaux efficaces mais discrets, qui se contenteront de poser l'ambiance. Dommage.
Une dernière chose. Usez, abusez du coeur. Une des meilleures trouvailles du jeu vidéo ces dernières années, et un petit pincement au coeur quand vous comprendrez sa provenance.
Au risque de me répéter, Dishonored est un grand jeu. Un de la trempe qu'on avait presque oubliée, habitués à suivre les rails qu'on nous donne. Votre appréciation du jeu dépendra beaucoup de votre façon de l'appréhender, mais c'est ce qui fait de Dishonored un jeu si exceptionnel, qui vous donnera une expérience unique par rapport à un autre joueur. Faites-vous une faveur, achetez Dishonored.