De l'amour à la haine il n'y a qu'un gars

Il y a maintenant un bon petit paquet d'années, quand j'usais encore mes fonds de culottes sales sur les bancs du collège, j'avais pour habitude de me rendre de temps à autre dans une espèce de petit magasin perdu au coin d'une rue de mon centre-ville. La boutique payait pas de mine. Elle était étriquée, poussiéreuse, et en y repensant, elle tenait plus d'une brocante improvisée que d'un véritable commerce. Mais bon. Elle avait son charme. Le petit vieux qui s'en occupait y aidait d'ailleurs pas mal. J'avais jamais trop osé lui causer véritablement, mais de mémoire, les petits regards amusés qu'il me lançait m'avaient fait arriver à la conclusion que c'était quelqu'un de bien. En même temps il avait pensé à installer une petite étagère avec des jeux d'occasion dessus, donc ça ne pouvait être que quelqu'un de bien.

Un jour d'ennui comme un autre, armé de quelques euros difficilement glanés, je me retrouvais à nouveau devant cette fameuse étagère. Vu que j'étais certainement l'un des seuls gamins à traîner dans le coin (le gros de la clientèle était plus composée de grinçants quinquagénaires), le stock se renouvelait assez peu, ce qui m'avait permis à force de connaître à peu près toutes les jaquettes disponibles. En même temps, zieuter les boîtes, c'était globalement ce que je faisais le plus. Comme je n'utilisais pas encore vraiment internet à l'époque, j'avais pour maigre plaisir de m'imaginer quelle histoire pouvait se cacher derrière tel soldat ou tel guerrier reluisant. Et comme on me donnait assez rarement de l'argent, bah j'avais souvent un peu que ça à fiche.

Parmi la trentaine de jv disponibles, il y en avait un qui m'avait toujours assez interloqué. On pouvait voir dessus une espèce de gros bonhomme jaune, avec un petit sourire flippant. Bon en vrai autant être honnête, ça donnait clairement pas envie. La description à l'arrière de la jaquette aidait pas vraiment non plus. Ça parlait "d'absorber" de l'amour, ou encore de "lever" le sol. Sachant que ma dernière expérience marquante devait être God of War, j'étais un tantinet circonspect. Mais bon. Comme c'était certainement le jeu le moins cher disponible, et que j'avais clairement rien d'autre à me mettre sous la dent, bah je suis passé docilement à la caisse.

Arrivé chez moi, je feuillette brièvement le manuel, et pouf, illumination du cube bleu.

https://www.youtube.com/watch?v=FLSydus_vIQ&ab_channel=gameantique

Premier sentiment : la peur.

Non très sérieusement, ce jeu me faisait vraiment flipper. Ou alors peut-être que j'étais juste gagné par une espèce de pseudo sentiment de malaise, mais que comme je connaissais pas encore vraiment ce mot, bah j’interprétais ça comme de la peur. Quoi qu'il en soit, les premières secondes étaient clairement pas rassurantes. Musiques bizarre, caméra bizarre, mec bizarre. Déjà que sur la jaquette il m'inspirait pas confiance, le fait de le voir en grand sur ma petite tv aidait encore moins.

C'est lui, c'est un géant !

Bon, en réalité, outre cette introduction, et jusqu'à assez récemment, j'ai clairement pas gardé des souvenirs très mémorables de Doshin. J'avais même pas véritablement compris le but du jeu, du coup je passais surtout mon temps à faire n'importe quoi, du genre marcher sur les villageois, marcher sur les maisons, lancer les villageois, faire des MONTAGNES. Lancer des boules de feu aussi. Ah, et me bastonner contre les tornades. Ça c'était cool, même si je gagnais jamais. En vrai le jeu permettait de faire pas mal de trucs rigolos, donc c'était mon petit exutoire après les cours, même si, encore une fois, j'y comprenais vraiment pas grand chose. Du coup forcément, comme le morveux impatient que j'étais, je suis très vite passé à autre chose.

En réalité, ce n'est que quelques années plus tard que j'ai commencé à vraiment apprécier le jeu pour ce qu'il est, c'est à dire une bonne et grosse dose d'amour. Parce qu'au final, Doshin, sous ses faux airs de daube absolue, c'est surtout ça. On rend service à des gens tout en prenant soin de la nature, puis on prend ces mêmes gens dans nos grosses patounes et on les regarde avec tendresse. On les observe grandir, faire les cons, travailler très dur pour construire des trucs un peu bizarres, mais dans lesquels ils ont mis tout leur cœur, donc on est aussi content qu'eux. Puis de temps en temps on va se promener un peu plus loin, histoire d'aider d'autres camarades. Et quand on revient, les premiers sont tout heureux de nous revoir, et ils nous le font savoir en nous envoyant des cœurs par centaines. Oui c'est carrément mielleux sur les bords, mais par une sorte d'alchimie ultra perchée, la recette fonctionne. Sans m'en rendre compte, je finis toujours à un moment par avoir le sourire de con du géant collé sur mon visage. Ce petit sourire du "ce jeu est fait avec le cul, mais ça marche, bordel".

En vrai, pour synthétiser, Doshin je le compare un peu à Animal Crossing. C'est chouette d'y jouer de temps en temps, par exemple juste avant de se coucher. Parce que même si c'est répétitif à souhait, à petite dose ça finit toujours par générer une sensation de sérénité. Et mine de rien, même si un seul sentiment ne fait pas un grand jeu, au moins ça fait toujours une chouette expérience à découvrir.