Dragon Age II
5.5
Dragon Age II

Jeu de BioWare Corp et Electronic Arts (2011PC)

Si d’aventure les titres de jeux vidéos s’invitent un jour dans les dictionnaires et autres ouvrages de syntaxe ou de linguistique, je pense que “Dragon Age 2” figurera à l’entrée “Recyclage”.


Et également à celle de l’expression “Se tirer une balle dans le pied”. Ou une flèche explosive, pour rester dans le ton.



On prend (pas) les mêmes et on recommence



Dragon Age 2 commence par la fin. Enfin par sa propre fin, durant laquelle un nain nommé Varric est arrêté par la Chantrie pour raconter les évènements du jeu et surtout les exploits d’un “champion”, qui se révèlera être votre personnage, Hawke, un réfugié de l’enclin de Dragon Age : Origins, fuyant son village détruit durant les évènements du premier jeu.


(Hawke peut être un homme ou une femme, je resterai au masculin, ne jouant qu’en homme, je vous laisse le soin de faire l’adaptation genrée si nécessaire).


Il va rallier Kirkwall - où sa mère a encore de la famille - et tâcher de s’intégrer à cette ville débordée par les réfugiés, minée par ses conflits internes entre mages et templiers et menacée par l’arrivée d’un groupe de qunari fort peu amènes. Dire qu’on tombe au mauvais endroit au mauvais moment est donc un doux euphémisme (sérieux, il existe un coin de Thédas où c’est pas la merde noire ?). Au fil du jeu, Hawke va donc gagner en respectabilité, gravir les échelons, évoluant en même temps que la ville - où le joueur va passer six ans - et se faire à ce nouveau foyer. Car la notion de foyer et de racines est au cœur des préoccupations des personnages, et pas seulement Hawke. Son équipe est en effet composée de déracinés, esclave en fuite, capitaine sans bateau, elfe bannie… la ville de Kirkwall a pour vocation de devenir une sorte de catalyseur de cette quête de foyer et ce qui la menace rend la problématique encore plus vibrante. Enfin, devrait. Car tout ça, on peut sans hésiter considérer que c’était les ambitions de ce Dragon Age 2. Et les ambitions, il faut se donner les moyens de les réaliser…



Mais si, je t’assure, ce rocher était à gauche…



D’ordinaire, je liste ce qui va et ce qui ne va pas, je panache, je nuance… mais ici, autant attaquer tout de suite par ce qui ne va pas.


Mon dieu, que ce jeu est vide.


Il a certes bénéficié d’une technique plus évoluée que son prédécesseur, les graphismes sont plus beaux, les visages mieux modélisés et le chara-design a quelques fulgurances (le design des elfes et des qunari, tout particulièrement, qui les éloigne sensiblement des humains, une des bonnes idées du jeu.) Mais l’ambiance est totalement inexistante, les décors sans vie, sans saveur… il ne se dégage rien de la ville de Kirkwall, si ce n’est d’être terriblement répétitive, sans signe distinctifs- tout au plus on peut noter quelques éléments ressortant un peu dans le quartier de la hauteville - sans réelle existence propre. Il y a beau avoir des PNJ, ils n’ont l’air que de vagues silhouettes échouant à donner une pulsation nécessaire à la vie de Kirkwall. Et je ne parlerai pas des décors “extérieurs” tant ils sont ternes et sans intérêt : lorsqu’on parcourt la côte, on se demande si on ne passe pas après un grand incendie, à moins que les touffes de buissons épars soient supposées simuler la nature. Si je devais résumer ces cartes, ce serait par le mot “maussade”. On les parcourt sans s’attarder, là où celles de DA:O savaient insuffler une atmosphère glaçante et efficace. Ici, c’est un grand rien qui règne.


Et le pire, c’est que Bioware, non content de nous filer des lieux aussi insipides qu’un burger mal dégelé, les recycle jusqu’à la nausée. Je n’ai pas compté de manière exhaustive mais il doit exister en gros une dizaine de cartes, qui sont ré-utilisées en changeant quelques éléments de décors pour simuler des lieux différents. Typiquement, entrer dans trois bâtiments d’un quartier vous fera aboutir à la même carte, vaguement modifiée (fermer/ouvrir un porte et changer une chaise de place, en gros). À l’issue de quelques heures de jeu, vous connaîtrez les lieux au pixel près à force de les parcourir dans tous les sens. Et autant vous dire que vu la gueule des décors et l’ambiance aux abonnés absents, ça donne pas envie. Sans compter que les cartes recyclées sont parfois utilisées en dépit de toute cohérence géographique (un temple nain sous les égouts de la ville, entre autre exemple…) et que ce sont de simples couloirs avec parfois deux ou trois embranchements (je rappelle à toutes fins utiles que même dragon age origins offrait un semblant de liberté de mouvement sur ses maps…).


Autre petit détail “amusant”, les musiques sont pour certaines repiquées de Dragon Age : Origins, parfois même sans être réorchestrées pour cacher la misère. Petite mention également à l’un des deux boss de fin, copié-collé d’un DLC de Dragon Age:Origins. La classe.


Histoire d’enfoncer le clou, la ville de Kirkwall, supposée centrale et essentielle au scénario, ne bouge pratiquement pas en six ans. On ne constate aucune évolution ni des lieux, ni des personnages, ni de quoi que ce soit, les événements décrits auraient tout aussi bien pu se dérouler sur un mois, le jeu échouant totalement à nous faire ressentir le temps qui passe. Il aurait suffit, à minima, de faire changer le physique et la tenue des personnages principaux mais même ça, Bioware ne s’est pas cassé à le faire.


Et je ne parle que des décors et de l’atmosphère mais “rassurez-vous”, les quêtes sont à l’avenant. Alors certes, les quêtes secondaires de RPG se sont fréquemment bornées à ramasser le hochet de bidule et le lui retourner mais ici c’est littéralement une partie des quêtes annexes, celles “scénarisées” se résumant à parcourir un bout de map recyclée avant de faire un choix, qui se réduit souvent à être pour les mages/être pour les templiers. Bien que ce conflit soit au cœur des évènements qui vont mener à l’escalade, on aurait apprécié que la mécanique de choix soit moins binaire, d’autant que le sujet est on ne peut plus délicat et ne peut se résumer à tout blanc ou tout noir. Bioware nous avait habitués à moins de manichéisme, surtout sur un élément aussi crucial de son univers. Oh et n’espérez pas que ces choix aient des conséquences significatives sur l’histoire, sinon de modifier l’approbation de vos équipiers. Tout au plus, en avançant dans le jeu, vous pourrez perdre des équipiers mais l’issue sera toujours la même.


Pour finir, la mise en scène est elle aussi aux abonnés absents : Hawke va traverser une série de drames au cours de son intégration à Kirkwall, tout ça avec si peu d’intensité que le joueur n’écrasera pas même une larme (sauf s’il sort de DAO et que sa conjonctivite n’est pas terminée, mais ça vaut pas). Niveau intensité, il n’y a guère que la fin où le tout se réveille un peu. Alors certes, l’idée de faire raconter par Varric, ponctuant les évènements importants d'apartés - avec de très jolies fresques animées - est plutôt sympa. Sauf que ces scènes sont essentiellement des dialogues en champ/contre champ, sur un fond noir. Pas de décor, même pas de réel travail sur la lumière. Et nous sommes en 2011. Pourtant, on aimerait s’investir, car si le jeu échoue sur son atmosphère, ses map, ses quêtes et sa mise en scène, il conserve l’un des points forts des soft Bioware : l’écriture.



Born to be a troll



Dragon Age 2 prend le parti de nous faire incarner un personnage “pré-écrit” contrairement à Origins : ici, point d’elfe ou de nain dont on choisit les origines mais Hawke, rescapé de Lothering. Le jeu laisse toutefois une petite marge de personnalisation afin que le joueur retrouve ses marques.


Hawke a trois “personnalités” possibles : diplomate, sarcastique ou agressif, représentées par trois types de réponses que le joueur devra choisir durant les différents dialogues du jeu. Cela régit en quelque sorte les répliques “non choisies” de Hawke et orientera sa personnalité. Et dans le marasme ambiant, lire des dialogues soignés - certes un peu moins inspirés que ceux des deux autres jeux - et des personnages un minimum fouillés fait du bien.


Certes, le scénario et la mise en scène faméliques ne leur laissent que peu de place et on regrettera qu’ils ne soient pas davantage développés mais c’est bien l’une des rares choses qui sauve ce “Dragon Age 2” du naufrage. Et encore, ils ont la fâcheuse tendance à tourner autour de leur névrose personnelle sans jamais vraiment en décoller (Anders, le CGTiste des mages…). Mais ils ont le mérite d’exister et de tirer le jeu vers le haut et jouissent même apparemment d’une certaine popularité auprès des joueurs, empêchant le soft de sombrer définitivement. Qui plus est, le système rivalité/amitié est plutôt bien pensé, dans la mesure où Hawke peut lier une amitié basée aussi bien sur des visions communes avec un équipier que sur une défiance teintée de respect, le pire étant de maintenir un personnage dans un état “neutre” en évitant de prendre parti. Le jeu oblige ainsi à assumer ses opinions, sous peine de voir l’équipe indifférente ou pire, se vider.Ici on ne déclenche pas le départ d’un personnage en le contrariant mais en jouant la Suisse - ou la girouette. On peut donc aborder la/les romances possibles avec les équipiers de deux façons possibles, une option à mettre au crédit du jeu.


Dans les aspects positifs, on peut également citer le meilleur système de combat des trois jeux : plus nerveux que celui de DA:O et bien moins bordélique que celui de DAI, il offre une personnalisation encore très fine de l’IA (puisque comme de coutume, vous ne jouez qu’un seul personnage et laissez le reste de votre équipe gérer par ses propres moyens) en étant plus limpide, rendant les affrontements pêchus, avec un assez bon dosage entre action et tactique et une difficulté beaucoup mieux équilibrée. Même remarque pour les arbres de compétences, un peu épurés par rapport au premier opus mais beaucoup plus clairs pour orienter l’évolution de ses personnages, évitant de se fourvoyer et de se retrouver avec des combattants mal équilibrés, faute de lisibilité des menus. Petit bémol quand même sur l’usage de la souris, parfois capricieux quand il s’agit d’interagir avec quelqu’un ou quelque chose selon l’angle de la caméra.


En revanche, côté équipements, c’est la crise, puisqu’on ne peut réellement personnaliser que celui de Hawke, ses équipiers conservant la même armure - vaguement customisable - tout le long du jeu, les enfermant un peu trop dans leurs classes et style de combats respectifs. Je trouve aussi - c’est personnel - qu’en terme d’efficacité sur le terrain, les choses ne sont pas vraiment égales entre les personnages mais peut-être cela est-il totalement lié à ma façon de jouer.


Le jeu offre également la possibilité de fabriquer runes, poisons, potions pour les affrontements, artisanat qui manque un peu trop de diversité, au passage. Et toujours pas de forge ni de crafting, ça attendra DAI.


Une mention, au passage, au tout dernier boss qui a tout de même de la gueule et offre un affrontement qui est probablement l’un des rares trucs que les joueurs retiendront de leur partie (pas le boss copié-collé, non…).


On peut également s’attarder sur pas mal de bonnes idées et de petites touches d’humour qui rendent ce DA2 largement plus sympathique que ce que son contenu ne laisse présager : les saillies de Hawke, le “spam” version thédas qu’on retrouve dans le courrier, quelques échanges savoureux entre coéquipiers… Tout n’est pas à jeter.



En conclusion



Dragon age 2 est vide. Pas totalement dépourvu d’intérêt ou de charme, mais il a davantage des allures de DLC artificiellement étiré sur trente heures (oui, la durée de vie est à l’aune du reste : minimale) que de vrai jeu - il n’y a qu’à voir les rallonges artificielles de certaines quêtes pour s’en convaincre.


Pourtant… j’aime bien ce jeu.


Tout d’abord parce qu’il propose des combats funs, ensuite parce que ses bonnes idées sont vraiment très bonnes et enfin parce que des trois Dragon Age, c’est le seul dont on puisse faire une “petite partie” lorsqu’on a envie d’une dose de Thédas, sans s’arracher les cheveux sur une difficulté démente ou une durée de vie exponentielle. Dragon Age 2, pour moi, c’est un peu le cousin débile, le rejeton casual et le plaisir coupable du fan de la saga. Ceci dit, le fait que je l’ai payé 20 euros et que je n’en attende strictement rien a dû GRANDEMENT aider. J’imagine que les joueurs ayant raqué le prix fort après l’expérience DAO l’ont pris beaucoup moins cool. Le déluge de critique que Bioware a recu sur le coin du nez était largement mérité, peu importe la sympathie qu’on peut éprouver pour le jeu. Ceci dit, avec un an de développement, on pouvait difficilement s’attendre à mieux.


Alors disons-le une bonne fois : Dragon Age 2 est à la limite de l’arnaque, un service minimum, un jeu fait précipitamment où surnagent quelques bons dialogues, quelques bons personnages, la tête à peine hors de l’eau. On peut toutefois lui reconnaître une qualité : d’avoir été le coup de pied au cul le plus magistral qui soit, aboutissant quelques années plus tard à un DAI loin d’être parfait mais beaucoup moins avare en contenu et en mise en scène qui claquent. Reste un plaisir coupable de fan et une grosse tache bien noire sur le tableau de Bioware. Kirkwall chute bel et bien dans Dragon Age 2 mais elle le doit moins aux mages ou aux qunari qu’à ses propres concepteurs.

SubaruKondo
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le 3 août 2017

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SubaruKondo

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