Critique publiée à l'origine sur Etoile et Champignon.fr


Les J-RPG longs de plus de 50 h, comme ce Dragon Quest 11 (72h23 au compteur), sont-ils encore fait pour nous ? La question se pose au sortir de ce très bon jeu, peut-être le meilleur de la série, dont la durée est d’abord la condition d’une immersion totale dans son monde regorgeant d’histoires. Le problème, ce n’est pas lui, c’est nous : c’est notre temps de jeu limité par les contraintes de la vie active, cause de sessions hachées quand le titre de Square Enix semble plutôt appeler des plages de temps de 3 à 4 heures minimum pour profiter pleinement de chacun de ces arcs narratifs. Traverser ce Dragon Quest, c’était un peu comme replonger, ne serait-ce que fugacement, dans l’âge béni de l’enfance, où l’on pouvait, de vacances en week-ends désœuvrés, s’abandonner à nos mondes ludiques sans se soucier des lendemains… à ceci près que l’on ne peut plus s’y laisser absorber aussi longuement qu’on le voudrait.


LE CHARME D’UNE BALLADE TRANQUILLE


Si l’on déplore ce manque de temps, Dragon Quest 11 nous fait la grâce de l’employer de manière plaisante, suivant deux modes et deux vitesses distinctes, pour ne pas dire opposées : celle, tranquille, de la ballade dans son monde semi-ouvert, ponctuée de combats sans pression ; et celle, plus rythmée, de ses innombrables histoires racontées entre dialogues, cinématiques et phases de jeu. Sur le versant de la promenade, Dragon Quest 11 est le digne héritier du 8ème épisode – le premier réellement bâti autour de la 3D – : son parcours entre villes et donjons s’inscrit dans la profondeur de longues langues de terre, qui s’évadent vers l’horizon comme autant de promesses d’aventure et de dépaysements à venir. Ce sentiment grisant de l’appel du large est habilement cultivé par des panoramas souvent bien composés (de montagne, de rivage côtiers…), évoquant des régions aussi différentes que des fjords nordiques, des landes désertiques ou des collines vertes et rondes comme dans un Mario. On prend d’autant plus plaisir à les explorer qu’elles permettent de renouer avec le tempo tranquille de la promenade, devenu presque inédit dans le jeu vidéo moderne qui nous sature d’injonction à la vitesse, à l’optimisation des routines de jeu et à la maximisation des CPM.


Le charme de ses « promenades aventureuses » vient en outre des rencontres avec les ennemis qui, dans la grande tradition de la série, ont tous quelque chose du proto-Pokémon. Monstres mignons à l’air goguenard, hyper expressifs et perclus de tics gaguesque, nos opposants prennent vie par leurs animations très travaillées, saturées de détails comiques. Lors des premières rencontres, c’est même ce plaisir simple qui prévaut : celui de la découverte de leurs entrées en scène, qui donnent enfin tout son sens aux plans typiques des Dragon Quest, cadrant les ennemis de pleins pied et de face à la manière d’une parade cartoonesque d’identification de suspects. Le travail sur les animations profite aussi à nos héros qui, sous l’effet de sorts divers, s’offrent eux-même en spectacle, comme lorsqu’ils plongent dans un sommeil profond, se figent en une moue de douleur drolatique ou se lancent dans d’irrésistibles pas de danses « disco ». Si l’on insiste sur cette forme burlesque des combats, proche du dessin-animé ou de l’expressivité du manga (effet renforcé par le design Dragon Ball-sien de Toriyama), c’est qu’elle fait tout le charme du jeu, par ailleurs bâti sur des fondations ludiques peu surprenantes, bien qu’indéniablement robustes : il suffit d’avoir joué à un Dragon Quest récent pour se sentir en terrain familier ; il est presque inutile d’en dire plus.


FRINGALE D’HISTOIRES


La grande affaire de Dragon Quest, en effet, n’a jamais été de révolutionner le J-RPG, (en tout cas pas depuis ces épisodes Super Nes), mais plutôt d’utiliser les formes classiques du genre pour bien raconter ces histoires… et de ce point de vue, Dragon Quest 11 est une absolue réussite. Ici, ce n’est jamais la petite logique du level-up qui dicte la progression (aucun grind n’est requis), mais bien uniquement les tours et détours du scénario qui passe son temps à nous embarquer dans des récits de traverse. Il arrive souvent qu’on parte bille en tête sur un objectif scénaristique majeur, pour se trouver ré-aiguillé sur d’autres fils narratifs a priori anecdotiques, qui se révèlent aussi captivants qu’inoubliables. Comme dans les autres jeux de la série, ces petites histoires commencent presque toujours par la découverte d’une légende locale – une malédiction qui plane sur la région, des habitants qui disparaissent mystérieusement, un monstre qu’une rumeur dit sorti de son sommeil séculaire… -, légende que l’irruption de nos héros va faire passer au présent de l’action jusqu’à la résolution du problème au terme d’une excursion dans le « donjon » voisin (un temple, une caverne, un château en ruine…).


Si le schéma est connu, Dragon Quest 11 n’en recèle pas moins certains des meilleurs arcs narratifs de la série, toujours mus par une grande positivité (amour de ses personnages, goût enfantin pour l’aventure), et rappelant les meilleurs shônen (de One Piece au Dragon Ball des débuts) : entre l’histoire du prince couard de Gallopolis, celle du tableau maudit, de la sirène amoureuse ou du dragon de la région de Yotto (on en passe et des meilleurs), le jeu se vit comme une enchaînement de récits captivants, marqué par une fringale de narration qui semble proprement insatiable. Même après le fameux moment-charnière qui nous fait basculer vers le dernier tiers de l’aventure, où l’on pourrait penser que la narration va s’assécher vers un final bourrin (comme souvent dans le genre), la progression sait ralentir le tempo pour, à nouveau, retrouver le rythme de la ballade, relancer la machine à récits, reprendre le temps de se soucier de ses personnages, quitte à perdre un peu le nord et à diffracter ses lignes narratives.


LE SOUCI DE SES PERSONNAGES


C’est une autre de ses qualités : les huit personnages principaux ont tous une véritable épaisseur, patiemment construite de manière à affleurer dans tous les aspects du jeu (et pas seulement dans les phases dialoguées). On les découvre, notamment, au travers des combats où leurs compétences (de mage, de soutien, de guerrier, de soigneur) sont moins modelées par des impératifs ludiques que par leur tempérament, tel qu’il affleure dans les dialogues, et que l’on perçoit jusque dans leurs animations. C’est ce qui fait, sans doute, que les combats semblent ici plus que jamais intégrés à la narration, notamment contre les boss dont certains sont l’occasion de séquences évoquant de véritables petits courts métrages animés (on pense aux impayables démons de la fin du jeu), tant ils sont riches de micro-événements, de gags et de happenings visuels.


Et s’il faut casser la structure habituelle du village-donjon par un flashback jouable de 2 heures, juste pour approfondir le passé de tel ou tel personnage, ainsi soit-il : Dragon Quest 11 n’en finit pas, si besoin est, de tordre les conventions du genre, de surprendre par son approche malicieuse des récits à tiroir, d’utiliser tous ses outils ludiques pour faire œuvre de narration. Exemple avec l’un des meilleurs moments du jeu : on entre à Fordrasil par la porte dérobée d’un passage secret caché au fond d’un puits, pour ressortir dans les ruines d’un château ; s’ensuit un moment fort du récit qui déboule sur une grandiose cinématique puis sur un boss, embarquant le joueur dans un tout autre tempo, une toute autre intensité que les phases précédentes. On regarde alors sa montre en pensant qu’une dizaine de minute ont passées, et c’est en fait une heure qui s’est écoulée sans crier gare… preuve qu’un grand J-RPG n’a rien à envier aux meilleurs jeux narratifs, s’agissant de bien raconter ses histoires.


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Benetoile
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le 24 avr. 2020

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