Drakengard 3
6.5
Drakengard 3

Jeu de Yoko Taro, Access Games et Square Enix (2014PlayStation 3)

S’il y a une licence que j’apprécie et que je ne m’attendais pas à revoir sur PS3, c’est bien Drakengard. Déjà réservée à un public de niche dont je ne fais usuellement pas partie sur PS2, on ne peut pas dire que la série a jamais brillé par sa reconnaissance et son succès commercial. Alors quand on connait les difficultés actuelles qu’a Square Enix pour imposer ses plus grandes licences historiques sur le marché, et la situation financière de l’éditeur, chaque fois sauvée du désastre par un remake mobile de FF vendu 15€, on pouvait légitimement se demander ce qui a poussé la boîte à financer un nouveau Drakengard. Et après y avoir enfin joué, la réponse s’impose d’elle-même.

Car c’est bien simple, SE n’a pour ainsi dire pas mis un rond dans Drakengard 3. A peine un an de développement pour un jeu qui se voulait ambitieux, une petite équipe et pour seule technologie un moteur de PS2 émulé (fake hein, quoique). C’est bien simple, je pense qu’Access Games aurait récolté plus de thune sur Kickstarter. Triste mais véridique. Mais dans ce cas, pourquoi financer un jeu qu’on souhaite transformer en désastre ? Simple encore une fois. Nier, ridiculeusement ambitieux pour son budget, a fini par acquérir une certaine renommée chez les joueurs, au point d’être cité comme un des meilleurs jeux de la génération par certains. Très bien. On va donc prendre des miettes éparpillées de Cavia et de Nier, les regrouper et les assembler autour de l’équipe d’Access Games, déjà réputée comme Cavia pour faire des jeux totalement ratés sur plein de points mais acquérant des succès d’estime (Deadly Premonition).

Le plan se dessine : SE souhaite donc faire un jeu qui sera acheté par une niche de joueur, qui le reconnaîtra alors comme un grand jeu, un nouveau succès d’estime payé quelques malheureux milliers de dollars. Seulement, SE a besoin d’argent, et décide donc de perfectionner son plan. Après tout, les joueurs ayant aimé les premiers Drakengard ou Nier ne sont pas exigeants n’est-ce pas ? Puisqu’ils ont apprécié des jeux moches et mal finis. Pas de problème à leur refourguer un jeu de début PS2 then. Mais mieux : ces joueurs sont des fans. Des fans. Donc… des pigeons ! Parfait. On va donc sortir le jeu uniquement en dématérialisé en Europe, en le vendant 70€, faire une édition collector sans CD vendue 80€ et contenant un sample de soundtrack (version complète vendue 45€ sur le site de SE, oui vous avez bien lu), vendre des packs d’armes à 5€ sur le PSS et saupoudrer le tout d’un pack de DLC à 30€. Alors le jeu de niche peu rentable se transforme en une gigantesque manne à fric au ROI (retour sur investissement) titanesque. Bref, nique ta sœur, Square Enix.

Mais assez parlé de SE, car finalement maintenant que je me suis bien fait pigeonner avec ma collector de jeu PS2 à 80€, autant en profiter non ? Drakengard 3 est un prélude aux précédents jeux de la série, temporellement parlant. En réalité, à part une référence à la fin de la dérivation B et le duo obligé personnage / dragon, il n’y a pas de rapport direct avec les deux opus précédents ; aussi peut-on très bien commencer la série par D3, tout comme on peut faire Nier sans avoir touché à un seul Drakengard.

On incarne donc Zero, une charmante damoiselle dont une jolie fleur pousse dans l’orbite droit et répondant de l’espèce des « invoqueuses », sortes de magiciennes qui « rules the world » depuis qu’elles ont défait l’humanité de terribles tyrans. Malheureusement pour ses 5 sœurs invoqueuses (Five, Four, Three, Two et One), Zero en a semble-t-il marre de devoir partager ses pouvoirs. Aussi l’accompagnerons-nous donc dans sa quête consistant tout simplement à assassiner ses sœurs, ni plus ni moins.

Zero tranche donc dès le départ avec la majorité des héros de jeu vidéo, dans le sens où son but est en apparence purement égoïste, et même assez immoral. Un jeu prônant le fratricide, je ne pense pas qu’il y en ait des masses. Le scénario est donc de base relativement simple, mais là où le jeu est assez brillant, c’est dans l’écriture de ses personnages. Si le personnage de Mikhail, le bébé dragon qui accompagne Zero, est des fois assez lourd avec des séquences d’humour typiquement Jap’ mais pas drôles et désespérantes, il aura quand même le droit à quelques moments épiques, notamment lorsque la conversation avec les autres personnages tourne autour du sexe (ce qui arrive très souvent), et qu’il ne comprend pas. Humour simple, mais amusant. Zero est quant à elle une tueuse sans grand sentiment mais qui, à la différence de Caim (« héros » de D1) qui lui était une machine à tuer froide et sanguinaire, est joyeuse et pleine de vie, heureuse de tuer tout ce qui bouge, de massacrer ses sœurs et de leurs voler leurs disciples sexuels. Car oui, la particularité de chacune des sœurs de Zero est de posséder un disciple, servant officiellement à invoquer des créatures gigantesques pour les protéger, mais servant en réalité essentiellement à assouvir les fantasmes et pulsions de leurs maîtresses.

Au fur et à mesure de nos meurtres, on récupérera donc les disciples de nos sœurs, qui nous accompagneront alors dans nos missions (mais jamais plus de deux à la fois physiquement, sinon le jeu risquerait de ram.. oh wait). Et ces personnages sont tous assez excellents (même si j’aime moins Cent à titre personnel), entre Dito le jeune homme de 22 ans qui en parait 14 et qui ne dort bien qu’en repensant à l’odeur de brûlé de ses victimes de la veille, Decadus le SM hardcore se battant avec des armes de pugilat (…) ou encore Octa le vieillard au désir sexuel perpétuel et si intense que nul ne peut le satisfaire. Bref, une galerie de personnages complètement tarés mais par là-même assez géniale. Je vous laisse imaginer les dialogues qui peuvent résulter d’une telle équipe, le soir au coin du feu ou bien en pleine boucherie, mais il y a certains scripts assez priceless.

Ce scénario simple, tiré par des personnages hors normes et clairement jamais vus dans un JV auparavant, m’ont permis de rentrer totalement dans le jeu, ce qui n’était au départ pas gagné : si des idées d’amélioration sont esquissées niveau gameplay (lock, esquive, variété des ennemis …), rien n’est vraiment au point, et la caméra est une douleur de tous les instants, rendant certains combats extrêmement pénibles. De même, les graphismes m’ont violé les yeux avec une rare violence lors des premières heures de jeu. Et pourtant, je suis un des pigeons visé par SE, donc peu exigeant selon eux. La misère technique de D1 ne me dérangeait pas outre mesure. Mais là, franchement c’est chaud. J’ai rarement vu des textures aussi immondes de toute ma vie, mais vraiment. Les effets climatiques sont quant à eux de vagues filtres dégueux eux aussi, les murs invisibles sont des fois incompréhensibles, les collisions sont une catastrophe… Mais surtout, le jeu se permet en sus le luxe de ramer. De ramer putain. C’est un des problèmes qui m’a le plus atteint, au début du jeu. D1 était moche, mais (assez) fluide. Ici, le framerate est aussi stable que si un Michael Bay parkinsonien filmait la scène. Et c’est d’ailleurs encore plus vrai dès qu’une explosion apparaît à l’écran, ralentissant le jeu d’une manière pas vue depuis une décennie.

Bref, il a fallu se battre pour arriver à passer les premières heures de jeu, mais heureusement celui-ci a fini par me faire oublier tout cela. On s’habitue, on oublie petit à petit qu’on a l’ustensile de SE coincé entre les fesses, et on redevient le joueur peu exigeant que SE affectionne tant ; on prend plaisir dans le massacre et on savoure chaque dialogue.
Néanmoins, l’immersion n’aurait peut-être pas fonctionné sans un élément essentiel du jeu : la musique. En partie composée par Keiichi Okabe, le très réputé compositeur de Nier, elle est clairement à la hauteur de ce qu’on pouvait en attendre. Je pense pouvoir dire sans me tromper qu’il s’agit de la meilleure OST composée pour un jeu de la série, avec des thèmes calmes mais inquiétants, des envolées lyriques ou encore des musiques de Boss électro-rock complètement dingues. Okabe est aidé par deux compositeurs n’ayant à ma connaissance pas spécialement brillé auparavant, à savoir Keigo Hoashi et Kuniyuki Takahashi. Ils ont pourtant à eux deux composé la majorité des tracks de l’OST, et c’est ma foi assez brillant.

Si la musique joue un rôle essentiel, voire vital, au sein du jeu, c’est néanmoins un peu moins vrai que pour Nier, où l’OST transcendait complètement l’expérience. Alors Drakengard 3, mauvais jeu sauvé par une OST et une narration excellentes ? Eh bien non. Car comme dit, on finit par prendre goût au gameplay et donc au jeu en lui-même, et ce malgré l’aspect technique. De plus, les environnements et ennemis sont variés, bien que classiques, et le jeu ne s’étend pas inutilement, évitant ainsi toute lassitude. La fin arrive d’ailleurs très vite, trop vite.

Dans le premier Drakengard, la première fin était une vraie fin. Elle débloquait cependant un nouveau chapitre, qui permettait d’aboutir à une seconde fin, plus sombre. Des évènements se déroulaient pendant ou après les différentes fins, prolongeant l’aventure jusqu’à obtenir de nouvelles fins. Elles étaient toutes très accessibles, hormis la dernière, pour laquelle il fallait récupérer toutes les armes, une horreur. Dans Drakengard 2, il fallait refaire à chaque fois le jeu en entier pour obtenir une nouvelle fin et donc la divergence scénaristique associée. Du pur foutage de gueule vu ledit jeu. Dans Nier, le deuxième run apportait un second niveau de lecture terrifiant à des évènements pourtant similaires. Mais dans les trois cas suscités, la fin du jeu représentait une fin.

Dans Drakengard 3, la fin du jeu est également une fin en soi, sauf qu’elle est impossible à comprendre dans le détail sans les fins suivantes. Le jeu comporte 4 fins différentes, et toutes sont complémentaires. Le scénario continue de se dévoiler dans les branches suivantes, et toutes les clefs pour comprendre le jeu ne seront en votre possession qu’à la toute fin de la dérivation D. A titre d’exemple, on ignorera tout d’un des personnages pourtant centraux de l’intrigue jusqu’à la dérivation C…

Scénaristiquement parlant, ce choix est intéressant, notamment lorsque l’on comprend le rôle des différentes dérivations. Car avant d’obtenir certaines clefs, il y a certaines réactions des personnages ou certains évènements qui lors des différentes fins paraîtront insolubles, voire incohérents. Une fois le tout compris, vers la toute fin de la dérivation D, l’histoire bien que simple n’en paraîtra pas moins originale et surtout très bien ficelée. En revanche, là où ce découpage constitue un problème, c’est dans la manière de débloquer les différentes dérivations : il faut finir la A pour débloquer la B. Finir la B pour débloquer la C. Finir la C pour débloquer les versets complémentaires. Finir les versets complémentaires pour débl… ah bah non. Là encore, il faut toutes les armes. PUTAIN. Voilà, 5h minimum de recherche de coffres et de farming pour acheter et trouver toutes les armes, alors qu’on souhaite juste connaître et comprendre la fin de l’histoire. Sans la dérivation D, l’histoire n’a pas beaucoup de sens. Et devoir se taper ce farming obligatoire pour terminer le jeu, c’est le genre de problème de game design que j’ai généralement du mal à pardonner.

Le game design, parlons-en. Niveau level design, on se déplace de couloirs en couloirs en ouvrant des coffres et en massacrant tout ce qui bouge. Très basique, même si quelques bonnes idées viendront de temps en temps rompre le rythme. Les phases à dos de dragon ont également été retravaillées et sont peu nombreuses, moins importantes et généralement moins intéressantes qu’auparavant, car elles s’apparentent souvent à du railshooting, sauf lors des vols à raz-le-sol. Les Boss se ressemblent un peu tous dans la manière de les battre, mais ont des design et des panels de coups variés, et surtout sont toujours transcendés par des musiques de barge.
Le jeu est découpé en chapitres et chaque chapitre en versets, comme D1, probablement en hommage. Le découpage est en conséquence plutôt bien fait. En revanche, le jeu possède de nombreuses missions secondaires toutes c/c les unes les autres, dans les mêmes environnements, et qui sont à peu près tout sauf passionnantes. Néanmoins, c’est un passage obligé pour obtenir toutes les armes et pour farmer de manière générale.

Le game design du jeu n’est donc pas trop mal foutu, et souffre finalement des mêmes défauts (manque de temps et de moyens techniques) que le jeu au niveau général. Malheureusement, tous les efforts sont balayés par une idée de game design, idée hommage/repompe du final Boss de la dernière fin de D1, ici appliquée au final Boss dérivation D. Un affrontement en one shot à la difficulté tout simplement absurde : il faut déjà tenir 8 minutes sans faire une seule erreur. Mais en sus de cela, la caméra (non contrôlable) virevolte dans tous les sens afin de perdre le joueur, de jouer sur les angles et de le pousser à la faute. Et si par miracle il finit par triompher, alors l’écran devient noir, et il faut continuer à effectuer des perfect sans son ni image. Oui, sans son ni image. Tout simplement impossible. Totalement putain de déloyal. Après des heures d’essais, j’ai abandonné et du aller me farcir la dernière fin sur YT. Tout ça pour ça. Alors nique ta sœur Drakengard 3, et profondément bordel.

Bref, Drakengard 3 n’est certes pas tout noir, mais il n’est nullement tout blanc pour autant. C’est un jeu qui souffre énormément de son statut de « machine à sou de niche » confié et obligé par Square Enix. Cela excuse certaines tares techniques, comme les graphismes. Cela n’en excuse sûrement pas d’autres, comme les loadings bien trop longs (un jeu aussi laid bordel…) ou le simple fait que même lesdits loadings rament. Si vous n’aviez encore jamais vu de fond Windows dynamique ramer, croyez-moi ça fait son petit effet.
Mais au-delà de l’aspect technique déplorable, Drakengard 3 reste un jeu qui ose, avec des thèmes moins variés que le premier épisode (on oublie le second) et une atmosphère bien moins sombre, mais il se différencie ainsi de son aîné tout en étant dans sa parfaite continuité. En cela, et couplé à l’excellente bande-son, D3 est pour moi une réussite. Il fait ce que j’en attendais et, mieux encore, après une à deux heures laborieuses il m’a rappelé pourquoi je l’avais attendu.
Malheureusement, je ne peux m’empêcher de penser à ce que ce jeu aurait pu être s’il avait été considéré sérieusement par son éditeur, ou bien s’il avait été édité par un autre acteur de l’industrie : avec le niveau technique d’un God of War 3, le même genre de système de finish move pour les Boss, un gameplay retravaillé dans la même veine et une caméra fixe dynamique, Drakengard 3 aurait pu être un triple A en puissance, une exclusivité de fou pour la PS3. Sans changer le fond, simplement en lui donnant une forme attrayante, et en doublant le temps de développement et les outils techniques disponibles, D3 aurait pu être un jeu monstrueux.
En l’état, il ne s’incrustera dans les souvenirs que d’un nombre restreint de joueurs, qui auront su outrepasser ses défauts pour réussir à l’apprécier. Si vous êtes à la recherche d’expériences scénaristiques atypiques, je ne peux que vous le conseiller : comme ses prédécesseurs, Nier inclus, Drakengard 3 est unique, et restera unique.
Reste ce putain de Boss final, une erreur métaphorique improbable et impossible qui n’aurait jamais dû exister et que rien ne peut pardonner.

Créée

le 17 juil. 2014

Modifiée

le 20 juil. 2014

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