Critique originale sur mon blog.


Il y va du jeu vidéo comme de la musique ou de la Littérature : plus je m'intéresse et plus je m'y plonge, plus je découvre qu'il y a deux à trois fois plus d'œuvres, d'artistes et de titres que je me dois de découvrir. Profitant de la récente période de soldes lancée par le magasin en ligne Steam, j'ai enfin pu essayer et terminer Fallout 3 et Fallout: New Vegas. C'est cependant de ce dernier dont j'aimerai ici parler.


Je n'avais, jusqu'à présent, jamais joué à un "jeu de rôle occidental" à la première personne, étant passé à côté des Morrowind, des Oblivion et des Skyrim : l'univers médiéval dépeint, je dois le dire, me lasse plus ou moins sur la longueur comme je l'avais signalé concernant Warcraft 3 et j'attendais alors quelque chose davantage dans mon goût pour me plonger dans ce genre que je ne connaissais point.


En voyant alors une promotion sur Fallout 3 et Fallout: New Vegas, ceux-ci étant pour ainsi dire offerts, je me suis lancé corps et biens dans leurs aventures en affichant, au final, une nette préférence pour le second comme je m'en vais ici l'expliquer.


Pour celles et ceux qui ignoreraient le principe des Fallout (en français, "Retombées", sous-entendu "radioactives"), il s'agit d'une série de jeu de rôle prenant place dans une Amérique du futur post-apocalyptique (entre 2161 et 2281) où l'on suit donc les tribulations de l'humanité dans l'espoir de reconstruire une société digne de ce nom. Dans la mythologie de ces titres, une grande guerre éclata en 2077, ce qui aboutit à un ragnarok nucléaire décimant l'intégralité, du moins une grande partie, des habitants, de la faune, de la flore et des villes, contaminant l'eau et asphyxiant l'air.


La guerre ayant été finalement anticipée, une compagnie du nom de "Vault-Tec" avait entrepris de construire une série d'abris anti-atomiques de par le continent et seule une certaine élite fortunée a pu s'y réfugier, vivant alors en autarcie pendant une centaine d'années sans rien savoir du monde extérieur. Mais tôt ou tard, il leur fallut bien sortir et contempler alors les cendres du nouveau monde.


Fallout est connu dans le microcosme du jeu vidéo pour trois spécificités qui en font tout son charme : tout d'abord, l'ambiance du jeu emprunte énormément à l'imagerie des années 1950 tant en iconographie qu'en technologie ou, pour être plus exact, on jurerait voir par endroit le futur des années 2000 tel qu'on se l'imaginait en 1950. Nous sommes alors accompagnés dans nos gestes par une bande-son teintée de swing et de jazz, les pin-up se disputent les couvertures des magazines, l'art déco bat encore son plein. Le décalage charmant entre les événements et cet environnement invite à l'ironie et au sarcasme et nous ne sommes jamais totalement sérieux en jouant à ce jeu, et c'est tant mieux, quelque part...


Car la deuxième caractéristique peut-être assez pesante. L'univers dépeint est non seulement d'une grande crédibilité mais aussi et surtout, d'une immense cruauté. Dans ce monde reconstitué, toute la nature humaine, dans son irréductible complexité, est ici représentée, et autant certaines gens ne cherchent qu'à survivre en aidant leurs congénères, créent des hôpitaux et des écoles et cherchent à vivre leurs vies, autant la plupart se font esclavagistes, enlevant même les plus jeunes enfants à leurs mères, tueurs à gage, pilleurs cannibales, bandits de grands chemins. Dans cet univers hostile car toutes les formes de vie, ou presque, ont été rendues folles et dangereuses à cause des radiations, les mouches atteignant la taille des chiens, c'est encore l'homme qui se révèle être, comme dit l'adage, le plus dangereux des loups pour l'homme lui-même. Les dialogues, ainsi, reflètent toute cette complexité et, très souvent, l'on vous mettra en face d'événements sordides, exterminations, crucifixions, tortures ou devant de véritables dilemmes remettant en cause les notions de "bien" et de "mal".


Cela amène alors à la troisième caractéristique prégnante de la série, le système dit de "Karma". Outre les données influençant directement le modelage de votre personnage, son agilité, sa force, sa faculté à manier les explosifs ou que sais-je encore, vous pouvez choisir de soit faire "le bien", soit de faire "le mal" sur toute la gamme et en fonction des gens et des clans ou tribus rencontrés et être ainsi le plus grand messie, ou le pire Attila, que ce monde n'ait jamais connu. Votre réputation vous précédera, influençant par là-même votre expérience de jeu, les personnages évoluant à votre égard selon vos actions : et compte tenu que vous pouvez tuer quiconque ne vous revenant pas, inutile de dire que chaque partie se fait différente de la précédente.


Tout ceci posé, pourquoi donc choisir de parler de New Vegas plutôt que de Fallout 3, tous deux étant assez proches l'un de l'autre, du moins concernant leur interface et leur principe ?


Surtout que de prime abord, je pensais aimer davantage ce dernier. Son univers urbain, se déroulant surtout à Washington DC alors que le premier se joue quasi-exclusivement dans le désert du Mojave près de Las Vegas, me plaisait davantage et correspondait mieux à mes attentes en terme d'univers ; les premières heures de jeu sont bien plus agréables, à mon sens, dans Fallout 3 que dans Fallout: New Vegas puisqu'autant on débute, dans ce dernier, dans un village de cambrousse, autant Fallout 3 vous plonge non seulement au sein d'un de ces abris dont je parlais plus haut, ce qui rend la découverte du "monde extérieur" d'autant plus forte la première fois mais, du reste, on assiste en "vue subjective" à sa propre naissance, sortant directement du ventre de notre mère ! La "quête principale", celle qui charpente les jeux dans leur totalité et dont la complétion permet de voir le générique de fin, me plaisait plus également dans l'un plutôt que dans l'autre : tantôt il nous faut rechercher notre père qui s'est enfui de l'Abri pour de mystérieuses raisons, tantôt il n'y a là qu'une banale histoire de vengeance puisque l'on veut faire payer l'homme qui a tenté de nous assassiner.


Bref, au tout début, il est facile de se plonger dans Fallout 3 mais il faut persévérer pour jouer à New Vegas.


Et pourtant, passent les heures et les événements et plus l'intérêt s'inverse : Fallout 3 s'avère finalement bien vide tandis que Fallout: New Vegas grimpe encore et encore avant de se terminer en apothéose. Certes, l'écriture se fait plus grinçante, plus intelligente, plus réaliste ; mais c'est autre chose qui me fascine encore.


Le troisième opus présente un monde, et c'est malheureux, très manichéen : il est évident d'y discerner les limites du "bien" et du "mal" et de faire son choix en conséquence. Deux clans en effet s'affrontent : la "Confrérie de l'Acier" et "L'Enclave" et très rapidement, il est facile de voir quelle voie on peut prendre. Cela rend alors ce système de "karma", bien qu'existant toujours, presque inutile voire superfétatoire, un ajout agréable mais non nécessaire.


Dans ce quatrième épisode en revanche, les choses sont bien moins claires. Trois clans principaux s'affrontent : la RNC ("République de Nouvelle Californie"), la Légion de César et Mr. House, propriétaire de New Vegas, chacun désirant la main-mise sur le territoire ; et à côté de cela, plusieurs petites tribus gravitent, certaines se liant avec ces trois factions principales, d'autres ne désirant rien de plus que leur indépendance. Aussi, au système de karma "global" vient s'ajouter une réputation pour chacun de ses groupes ce qui influencera en retour notre réputation auprès des autres, dans un mic-mac incroyable : ici, impossible d'être bien vu de tous et de tout le monde, et des choix, souvent douloureux, devront être faits.


Du reste, quand bien même la "Légion de César" est ouvertement le "grand méchant du jeu" car cumulant toutes les tares, l'esclavagisme, la misogynie, le racisme... les deux autres groupes sont, quant à eux, bien plus nuancés et alternent grandeur et étroitesse d'esprit. Le choix se fait alors cornélien et quand bien même une couleur parvient toujours à dominer, la chose se fait plus subtile qu'il n'y paraît.


Il va alors de soi que le monde gagne en crédibilité, ce qui est nécessaire pour ce genre d'aventures et le monde autour de nous gagne une profondeur que l'on n'imaginait guère lors de nos premiers pas. Tandis que Fallout 3 ne se présentait, ce qui est déjà bien, que comme un jeu vidéo, New Vegas devient une merveilleuse fable éthique, un conte philosophique presque qui donnerait envie de se replonger dans Zadig ou dans Candide, ou encore dans les Essais tant la nature humaine se fait ici, et pour reprendre un mot fameux, "ondoyante".


Nous sommes véritablement confrontés à notre "humanité", cette chose si délicate et si complexe que l'on connaît intensément sans pouvoir autant en donner une définition. La force morale du jeu est telle que, pour la première fois ou, du moins, pour la seule fois de mon expérience de joueur, je n'ai su faire autrement que de voir monter en moi la rage face à diverses horribles exactions, avoir envie de me venger ou, au contraire, d'aider un hère sur lequel le malheur s'acharne. D'autres fois encore, j'ai réfléchi intensément, de longues minutes durant face à des dialogues aux choix multiples, pesant le pour et le contre avant de me décider tant mes paroles allaient influencer de façon directe et irrémédiable le monde arpenté et ma relation aux autres.


Lorsqu'un jeu parvient à faire cela, c'est qu'il réussit quelque chose de grand.


Fallout: New Vegas, mieux que Fallout 3, propose une expérience hors du commun dans l'enrobage d'un jeu de rôle en vue subjective et au-delà de l'immensité du monde arpenté, de la diversité des personnages rencontrés, du nombre affolant de quêtes à accomplir ou de secrets à découvrir, propose une analyse fine, du moins bien plus fine que tout ce que j'ai pu voir dans le strict domaine du jeu vidéo, de la nature humaine, de son éthique, de ses causes et de ses conséquences. La chose, encore, reste par endroit simpliste mais le pas effectué est grand, c'est un bond de géant peut-on dire : et à l'heure où l'on parle d'un futur "Fallout 4" j'espère que ce dernier saura, mieux encore que ses prédécesseurs, plonger au plus profond de nos âmes et apporter une réponse ou, du moins, des éléments de réponse à cette question éternelle : "Quel est l'Homme ?"


Car la guerre... la guerre a toujours le même visage.

Mathieu_Goux
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le 2 sept. 2015

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Mathieu Goux

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