GRIS
7.5
GRIS

Jeu de Nomada Studio, Berlinist et Devolver Digital (2018PC)

Un peu de magie quand les temps sont gris


La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste,
écrivait Victor Hugo.



Et de la mélancolie, Gris en a à revendre. Présente à chaque instant, elle perle dans chaque note de piano, ruisselle de chaque fresque aquarellée, et constitue l’essence même du jeu. La transmettre semble en être l’unique objectif.


En cela, Gris s’inscrit moins dans une démarche ludique qu’artistique. Certains y verront sans doute un cliché de la scène indépendante ; ils auraient tort pourtant de fuir ce parti-pris. Gris ne s’adresse pas aux joueurs que nous sommes mais à la sensibilité que nous cachons derrière. En témoignent son gameplay et son gamedesign minimalistes, certes sympathiques mais peu originaux et exempts de toute difficulté. Ici, le jeu vidéo n’est pas une fin en soi, mais un simple vecteur de l’œuvre de son auteur.


En d’autres termes, Gris s’apprécie comme on apprécierait une toile ou une symphonie, pour lui-même, et de manière contemplative. Il n’existe pas pour qu’on y joue mais pour qu’on le parcourt et qu’on s’imprègne de l’expérience qu’il propose.


À la question qu’on se pose parfois : « un jeu vidéo peut-il être une œuvre d’art ? »
Gris répond oui. Car c’est ce qu’il est, non pas un objet de divertissement, mais une composition qui vise la transmission de quelque chose de plus profond. Pour cette raison, c’est un jeu qui ne satisfera peut-être pas le pur gamer qui ne s’intéressera pas à sa dimension spirituelle, mais il est également un jeu que les plus farouches détracteurs du média auraient bien des peines à condamner tant sa portée est universelle.


Voilà où je veux en venir : chacun est libre d’analyser la relative pauvreté des mécaniques de Gris, son absence d’histoire clairement établie, mais s’arrêter à cela pour juger l’œuvre, ce serait manquer de discernement quant à son intention.


Gris est une œuvre profondément contemplative dans ce que le terme a de plus sain. Porté par un fabuleux travail visuel — mêlant une direction artistique sobre et superbement colorée, à des plans et des animations d’une beauté époustouflante — et une musique parfois grandiose, souvent discrète, et toujours charmante, chaque parcelle du jeu cherche à éveiller les sens et enchanter le joueur.


Allégorie du deuil dont la progression retrace les différentes étapes du déni jusqu’à l’acceptation, Gris brasse une large palette de couleurs, d’émotions, teintées de tristesse et de solitude. On n’en saura pas beaucoup plus sur l’histoire de cette jeune femme qui cherche sa voie au fond de son esprit tourmenté. Le propos pourrait alors paraitre vague et manquer de substance. Je crois au contraire que Gris renvoie le joueur à sa propre histoire. On ne sait pas ce qui a amené le personnage là où il est, mais ce qu’elle traverse, ce qu’elle ressent, la douleur face à la perte, ça c’est universel. L’empathie nait de bien peu de choses.


Au final, Gris est une parenthèse magique dans ce monde qui en manque cruellement. C’est une expérience sensitive, esthétique et reposante. Une balade superbement illustrée aux confins de la psyché humaine. Une petite bille de mélancolie qui, sans être fondamentalement enrichissante, mérite tout de même qu’on s’y arrête, et qui saura trouver écho en nombre d’entre nous.

Gilraen
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 30 Days Video Games Challenge, Les meilleures musiques de jeux vidéo et Les meilleurs puzzle games

Créée

le 16 déc. 2018

Critique lue 3.3K fois

60 j'aime

21 commentaires

Gilraën

Écrit par

Critique lue 3.3K fois

60
21

D'autres avis sur GRIS

GRIS
Sytarie
5

Dégrisement

GRIS est beau. C'est irréfutable. Que ce soit dans la flexibilité des animations ou dans la profondeur des décors, tout est parfait et pourrait faire rougir les plus grands noms du jeu vidéo 2D. Il...

le 5 mars 2019

57 j'aime

19

GRIS
MarcLeménager
10

Reconstruction d'un monde de couleurs. GRIS, la claque artistique de fin d'année

Avant de commencer, je tiens à préciser que vu que je parle passionnément du jeu, et que je parle même de son sens et de son message, il y a une partie de spoils sur ce dernier. J'indiquerai la...

le 21 déc. 2018

29 j'aime

3

GRIS
Stark1901
10

50 nuances de... dépression - Critique JV #16

Oui, le monde a les yeux tournés vers un remake d'un certain jeu commençant par Resident et terminant par Evil 2 et nombreuses sont les critiques sur le sujet mais aujourd'hui on va se permettre de...

le 25 févr. 2019

14 j'aime

12

Du même critique

GRIS
Gilraen
7

Un peu de magie quand les temps sont gris

La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste, écrivait Victor Hugo. Et de la mélancolie, Gris en a à revendre. Présente à chaque instant, elle perle dans chaque note de piano, ruisselle de...

le 16 déc. 2018

60 j'aime

21

Premier Contact
Gilraen
9

L'essence de la SF

Que se passerait-il si les E.T débarquaient subitement tout autour de la planète ? « Pan, pan ! Boum, boum ! » répondent aujourd’hui la majorité des grands noms du cinéma. Denis Villeneuve, quant à...

le 2 nov. 2016

50 j'aime

7

Matrix Revolutions
Gilraen
8

La Matrice qui cache la forêt

Blockbuster hollywoodien d’une intelligence rare, la trilogie Matrix aura fait date dans l’histoire du cinéma. Pourtant, l’accueil critique relativement mitigé de ses deux derniers opus — rapidement...

le 6 sept. 2019

44 j'aime

9