GRIS
7.5
GRIS

Jeu de Nomada Studio, Berlinist et Devolver Digital (2018PC)

Voir le trailer a suffi pour me happer.
L’esthétique. La musique. L’atmosphère générale. Tout me parlait. Ça me parlait même tellement qu’il fallait absolument que je joue à ce jeu. Et maintenant que j’y ai joué – que je l’ai même fini – j’en suis arrivé à cette conclusion : OK, « Gris » est vraiment un beau jeu, avec une belle direction artistique, mais est-ce qu’il n’aurait pas pu être plus que ça ?


C’est marrant, parce qu’en me posant cette question là, ça m’a rappelé ce que je m’étais dit en jouant à « Red Dead Redemption II ». C’était beau, oui, mais après ? Or, le simple fait que le dernier titre de Rockstar ne reposait que sur une performance technique ça m’avait carrément gonflé. Ç’en était à tel point que j’avais viscéralement rejeté ce jeu. A bien des égards, « Gris » ne va pas non plus au-delà de la simple claque esthétique. Et pourtant ça me parle davantage. Je ne me suis pas senti transcendé en y jouant, mais malgré cela, je dois bien reconnaître que ce jeu a laissé une trace. Une trace agréable qui me fait régulièrement retourner vers sa bande-originale. Donc rien que pour cela, ça mérite quand même de se pencher sur son cas…


Pourquoi le postulat simplement esthétique de « Gris » me va ?
Eh bien tout d’abord je pense qu’il me va parce qu’il s’applique sur un jeu court. Personnellement, j’y ai mis une demi-douzaine d’heures. Quand on n’a pas grand-chose à dire et à montrer il n’y a rien de pire que de s’étaler dans le temps et dans la répétition à outrance. Heureusement, « Gris » évite cet écueil là. L’autre avantage, c’est que parcourir ce jeu ne signifie pas simplement observer les performances d’un moteur graphique comme ça peut être le cas avec le dernier né de chez Rockstar. Non. Là, avec « Gris », il y a quand même une vraie patte. Une vraie démarche à la fois créative et délicate. C’est touchant. Moi en tout cas ça me parle. Et puisque le gameplay et le gamedesign se révèlent au final tous deux propres et malins, aucun obstacle n’est venu s’interposer à mon expérience de jeu. Pour le coup, ça n’a été que du positif…


Et pourtant…
Bah oui, il y a un « et pourtant ». Parce que l’air de rien, même si j’attribue à ce jeu une note de 7/10 parce qu’il a su me procurer une expérience globalement agréable et mémorable, je ne me voyais pas non plus aller plus haut. Et pour être honnête avec vous, pendant toute la première moitié de ma partie, j’étais loin d’envisager une note si élevée… C’est que, au-delà de la démarche d’esthète, je trouve quand même que « Gris » met du temps avant de faire une véritable proposition de jeu. Pour ce qui relève du premier tiers, cela se réduit souvent à un joystick qu’on pousse vers la droite ou vers la gauche pendant de longs instants sans qu’il ne se passe grand-chose en termes d’exploration de gameplay. On voit les décors défiler. On écoute la jolie musique. Et puis après ? Elle est où l’interactivité ?


Heureusement, le jeu nous fait progressivement comprendre qu’il va nous libérer régulièrement des compétences. Mais bon, le temps d’attendre qu’on en ait suffisamment pour que ça commence à devenir sympa – dommage ! – c’est déjà le grand final. Pour le coup ça a généré chez moi une réelle frustration qui m’a amené à me questionner sur la démarche globale de ce jeu. Parce que oui, ça a beau être très bien réalisé, à quoi « Gris » voulait-il me convier ? Or je pense qu’en termes de gameplay ; les gars et les nanas de Nomada Studio n’avaient pas de grandes ambitions. Ils voulaient juste faire un platformer-2D pour qu’ils servent de support à leur démarche esthétique, mais en soi le game design a quelque chose d’assez impersonnel voire de totalement quelconque. Encore une fois c’est honnêtement exécuté, mais on sent bien que le génie est ailleurs.


Ainsi, il faudra accepter que ce jeu ne dise pas clairement quels éléments de décors on peut traverser et lesquels on ne peut pas, lesquels sont des plateformes et lesquels n’en sont pas (entre les pales de moulin et les colonnes d’un monument, je me suis souvent fait prendre…) De même, il n’est pas rare qu’on débloque une situation un peu au hasard (se rapprocher d’un rocher pour qu’il se lève de ses petites pattes et nous libère le chemin, c’est certes très mignon mais c’est totalement imprévisible). Alors certes, à chaque fois ce n’est jamais un problème puisque le jeu n’est pas du tout punitif (par exemple : on ne peut pas mourir dans ce jeu), mais ce jeu est si court qu’il est quand même dommage de voir son expérience relativisée par ce genre de petits détails parfois pénibles…


(Moi, par exemple j’ai tourné en rond pendant cinq minutes sous l’eau tout ça parce que je n’avais pas compris quelle était la différence entre les colonnes que je pouvais traverser pour aller récupérer le petit item recherché et les autres. Au final, c’est en fonçant contre toutes les colonnes que j’ai fini par comprendre. Pas un moment ultime de jeu…)


Mais bon, après, comme dit plus haut, ces limites de première moitié de jeu sont compensées par une deuxième moitié plus riche et diversifiée. Le jeu est d’autant plus habile que ces quelques enrichissements sont aussi liés à des éléments iconiques forts de l’atmosphère de ce monde si bien que – enfin – le plaisir de jeu se lie au plaisir des yeux.


(Je pense notamment au gameplay lié aux arbres lumineux, aux fleurs qu’il faut savoir ouvrir avec sa voix, ou bien encore aux quelques créatures qu’on sollicite parfois comme le coléoptère, la tortue sous-marine ou l’araignée-plateforme…)


Au final, même s’il y a un goût de trop peu dans ce « Gris », il faut bien reconnaître que l’un dans l’autre, la démarche est suffisamment élégante et maitrisée pour se justifier. Maintenant, je ne peux m’empêcher de comparer ce titre au « Journey » de Thatgamecompany dont il semble d’ailleurs vouloir se faire l’héritier. Même logique épurée au départ. Même volonté de tout faire reposer sur une démarche esthétique saisissante. Même démarche visant à un enrichissement progressif de Gameplay… Seulement, si ça marchait aussi bien pour « Journey » c’est que ce jeu de Thatgamecompany parvenait à donner une vraie cohérence à tout son ensemble, ce que « Gris » ne parvient malheureusement pas à faire. Dans « Journey », la découverte du gameplay était aussi une découverte du lieu, comme une découverte de la finalité de tout ça. Quand on finissait le jeu, on prenait conscience du parcours accompli, des compétences acquises, ce que l’histoire nous présentait d’ailleurs comme étant la finalité de tout ce jeu. Dans « Gris », on recopie le modèle sans vraiment comprendre. OK, Gris perd sa voix, ce qui n’est pas cool. Mais cette voix est un élément de gameplay trop secondaire dans le jeu pour qu’elle soit vraiment perçue comme le cœur de l’expérience de jeu, et donc de l’histoire. Idem pour la finalité de tout ça. Qu’entend dire la fin de l’histoire de notre expérience ? Franchement je n’en sais rien. J’ai même carrément l’impression qu’il n’y a rien à comprendre ; que tout ça c’était juste pour faire beau et puis c’est tout…


Alors bon, l’un dans l’autre je ne sais comment réagir. D’un côté j’ai envie de dire qu’on ne peut pas demander à tous les jeux d’être des chefs d’œuvre totalement aboutis de bout en bout, et de l’autre je ne peux m’empêcher d’être frustré par ce jeu qui est trop beau pour ne pas être parfait. L’un dans l’autre, le positif l’emporte, ma note faisant foi. Après tout, parfois, même quand il est superficiel, ne faut-il savoir se contenter d’apprécier la simple beauté du geste ?

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4
5

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