GRIS
7.5
GRIS

Jeu de Nomada Studio, Berlinist et Devolver Digital (2018PC)

J'en arriverais presque à être navré pour tous les game designers du monde qui élaborent de riches mécaniques de gameplay, des choses monstrueuses, qui parfois fonctionnent et parfois se cassent la gueule aussi avouons-le. Ici, Gris fait dans la simplicité, dans la plus pure expression vidéo-ludique. Comme pouvait le faire A Travers de Haugomat avec la bande dessinée, je retrouve ici une forme épurée du jeu-expérience. Quel meilleur pari après tout que de réduire son média à son plus simple appareil (là, un dessin par planche, et un face-à-face pour figurer le regardé et le regardant) pour en faire un véhicule à émotion pure.


Gris, dont la réputation et les holas qu'il récoltait au moindre screenshot diffusé sur les réseaux avaient tendance à m'agacer (plus pour le simple fait que tous ces éléments combinés ne faisaient qu'augmenter mes attentes déjà bien trop hautes par rapport à l'expérience que j'allais y vivre), Gris donc, joue complètement la carte de l'épure, et de la simplicité. Un bouton-action au début : sauter. Puis deux, et à la toute fin une troisième. Des puzzles ridiculement faciles (et c'est un nul comme moi qui le dit) -- du moins durant les trois premières heures de jeu -- ne sont là que pour donner à la progression un peu de piquant et sortir le jeu d'un simple pont en ligne droite sur lequel on aurait le pouce gauche constamment calé contre le joystick. Cependant, ceux légèrement plus corsés de la fin ont pu me faire sortir légèrement des sensations procurées par le jeu.


Des petites actions élémentaires que l'on peut avoir avec notre environnement sans vraiment l'avoir décidé (des oiseaux s'envolent sur notre passage en piaillant, de drôles d'animaux nous saluent), Gris en retire l'émerveillement élémentaire de l'enfant face au merveilleux. Le temps d'une promenade en forêt, voici un petit Être cubique à qui nous offrons des pommes, et avec qui nous coopérons, comme deux compères qui font un bout de route ensemble avant de se séparer joyeusement, et avec en tête, l'envie de se revoir au plus vite.


Gris est à fleur de peau. Au sens propre -- il y est question d'émotions, de tristesse, d'estime et de confiance en soi à regagner -- comme au figuré -- j'en veux pour preuve la gestion des vibrations du joystick, toute en douceur, variante parfois, mais jamais invasive, comme une caresse, une surface légèrement rugueuse sur laquelle nous glissons à l'instar de notre jeune héroïne. En outre, si Hyper Light Drifter avait un bouton pour s'asseoir et rien d'autre, Gris lui a un bouton qui nous permet de se poser et... respirer. Inspirer. Expirer.


La découverte de son monde splendide, fait d'aquarelles, de forme courbes et de lumières jamais blafardes, nous apprend une dernière chose : le lâcher-prise. A plusieurs reprises nous aurons à choisir entre plusieurs chemins : l'un d'eux menant à la suite de notre aventure, le(s) autre(s) vers des élément(s) (les fragments mémoriels) à récolter en nombre si nous voulons espérer débloquer un précieux "succès". Choisir le "bon" chemin qui nous fera poursuivre notre route nous condamnera souvent à ne pas pouvoir faire chemin arrière. Il faudra vivre avec ça et d'une certaine manière c'est aussi ce genre de petit choix de game design qui nous fait aussi accepter nos (certes petites) "erreurs" de parcours pour continuer d'avancer et d'être émerveillé.


Gris est un jeu subtil. Autant dans son discours, que dans ses éléments : la beauté graphique déborde certes, crée un émerveillement de tous les instants, sans jamais cependant paraître gratuite. Elle est épaulée par un design sonore peu chargé mais qui va à l'essentiel et s'avère suffisamment dense et très travaillé. La musique qui règne en maîtresse ici est bien entendu la parfaite accompagnatrice de cette aventure visuelle douce, fragile, et aérienne.


En bref, si on pourrait reprocher bassement (et grassement) à Gris d'être un "sale jeu pour casu" (même si je pense que la collecte de tous les fragments mémoriels ne doit pas être simple, ça reste à déterminer, le monde est très couloir, vous n'avez pas de points de vie, les conflits sont gérés par ce qui s'apparente à de la fuite, pas de high scores, tout est fait pour que vous n'échouiez pas, et croyiez moi j'ai essayé de voir plusieurs fois ce que ça faisait si je sautais dans le vide à tel ou tel endroit : soit j'échouais et une colonne m'en empêchait, soit je retombais sur une rampe qui me ramenait en sécurité à mon point de départ), il a le mérite d'offrir une sacré chouette expérience sensible qui serrera votre petit coeur.

Enenra_
9
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Créée

le 30 mars 2020

Critique lue 84 fois

2 j'aime

Enenra_

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