C’était en 2013.
Et je pense qu’il faut être capable de se remettre dans le contexte vidéo-ludique de l’époque pour bien prendre conscience de ce que ce « Gone Home » entendait nous offrir.
Pas encore de « Edith Finch », de « Firewatch » ou d’ « Ethan Carter » ; ni même encore de « Stanley Parable » qui ne sortira que quelques mois plus tard.
En gros, le « walking simulator » n’existait toujours pas à cette époque, ce qui veut donc dire qu’avec ce titre, « The Fullbright Company » était en train d’ouvrir une brèche nouvelle dans le média : de se risquer à une proposition de jeu totalement unique.
Donc rien que pour ça : gros respect.


Seulement voilà, découvrir « Gone Home » en 2019 – qui plus est le découvrir après tous les jeux sus-cités – eh bah ça ne se fait clairement pas à son avantage je trouve.


Alors c’est vrai, on y retrouve déjà tous les points fondamentaux d’un bon walking simulator : une intrigue bien concentrée et ramassée dans un seul et unique espace ; une mécanique de jeu qui laisse beaucoup de place à l’observation et à la déduction ou bien encore une écriture habile qui sait à la fois jouer de la richesse et de la subtilité de ses personnages mais aussi d’une certaine ambigüité au niveau de la nature réelle de l’intrigue proposée.
Autant de qualités qui ont fait que l’expérience de jeu ne fut pas si désagréable que cela, loin de là. En plus, ce jeu se fait très vite – trois heures me concernant – donc pas le temps de s’ennuyer vraiment.


Mais bon, comme je le disais tout à l’heure, quand on connait déjà les recettes du genre, ce « Gone Home » fait un peu pale figure tant ses défauts n’en deviennent que plus flagrants.
Trop de textes pour commencer. Non pas que je n’aime pas lire, c’est juste qu’au bout d’un moment le jeu ne se réduit vite qu’à ça.
Lire ce qui traine sur la commode.
Lire ce qui est punaisé sur le mur.
Lire ce qui a été roulé en boule dans la poubelle.
Lire ce qui traine sous le lit, l’armoire, la gazinière.
Y’a des papiers qui trainent partout dans cette maison. A se demander parfois comment ça se fait que que personne n’ait pris la peine de les ramasser…


Et c’est vraiment dommage ce problème de surabondance de feuilles et autres documents à collecter, parce que moi ça m’a un peu sorti de l’ambiance. Je me suis vite dit : « de toute façon, l’essentiel se trouve dans les papiers, à quoi bon regarder les décors et les lieux vu à quel point c’est superficiel dans l’avancement. »


L’avancement d’ailleurs ne rencontre pas de réel obstacle.
A aucun moment on ne se retrouve dans une situation où il faut vraiment avoir compris la psychologie des personnages ou déduit quelque chose de leur passé pour vraiment avancer. Et ça je trouve que ça manque pas mal.
Les codes des coffres nous tombent facilement dans les bras.
Les trappes secrètes se découvrent presque toutes seules.
Pas d’énigme. Pas de mystère. Rien pour sanctionner notre investissement dans l’intrigue.


D’ailleurs – et c’est peut-être le dernier vrai problème de ce « Gone Home » – c’est que du mystère, au fond, il n’y en a que très peu.
Le jeu essaye pourtant d’en générer.


D’abord on se demande où a pu passer la sœur qui devait nous chercher.
Est-ce que c’est l’ancien voisin creepy qui a fait un sale coup ?
Puis vient le moment où on se demande si tout ça n’est pas une histoire de fantôme chelou.
Jusqu’à ce qu’on en vienne à se demander si, au fond, on n’est pas en train d’enquêter carrément sur un suicide.


Mais à cela se heurte deux soucis.


Le premier tient d’abord à l’éventement de certaines fausses pistes.


Moi par exemple, la dimension fantastique à base de fantôme, je n’y ai pas cru un seul instant. En même temps je n’avais absolument aucune raison d’y croire. La tonalité du jeu ne s’y prêtait pas du tout. Donc tout le moment dans les salles secrètes où on est censés être tenus en haleine par ça, bah moi ça ne m’a fait ni chaud ni froid, si bien que cette partie de l’exploration fut assez fastidieuse.
A cause de ça, j’avoue que j’ai fait la seconde partie un peu à la va-vite. Les mécaniques de suspense ne fonctionnant pas sur moi, j’ai un peu rushé tout ça dans le seul but d’arriver à la fin et de savoir ce qu’il était vraiment arriver à Sam.


Manque de pot, le deuxième souci, c’est celui-là : la fin.
Chez moi elle a tout désamorcé. Au point que je me sois dit : « Attends… Tout ça pour ça ?… Mais en fait ce jeu tu passes juste ton temps à brasser du vent… »


Au fond, moi, je trouve qu’il y a un twist de trop sur ce final.
L’idée qu’en fait, depuis le départ, Sam est dans le grenier, morte, parce qu’elle s’est suicidée, quand j’y réfléchis moi ça m’allait très bien.
Parce qu’à bien y réfléchir, on y passe quand même un paquet de fois devant cette trappe du grenier ! Et se dire à la fin qu’en fait, depuis le départ, on se baladait innocemment dans la maison sans s’imaginer qu’au-dessus de notre tête, notre sœur était en train d’agoniser, franchement ça m’aurait fait un sacré coup.
D’ailleurs, je me rends compte a posteriori que c’est mon moment préféré du jeu : ce moment où je me retrouve devant la trappe de ce grenier et où je me demande si j’ai vraiment envie de l’ouvrir ou pas.
Et franchement, s’il y avait eu un corps, ou quelque chose qui laissait suggérer que oui, elle l’avait bien fait. (du genre on avance lentement dans la pénombre jusqu’à ce qu’on devine son corps au sol. Écran noir. Un cri. Et puis on conclut tout ça avec un générique remontrant les photos de chacun, les petits mots collectés, les objets du quotidiens observés durant notre quête : j’aurais trouvé ça super efficace. Très impactant.)
Parce qu’au fond ça aurait donné un sacré sens à toute notre pérégrination dans le jeu. Nous on est là, on se balade aux quatre coins de la planète alors que pendant ce temps là – pendant qu’on mène la belle vie – notre sœur s’ouvre les veines faute d’être comprise et acceptée pour ce qu’elle est.


Et le truc aurait d’autant plus été malin parce que, juste avant de découvrir ça, on aurait pris la peine et le temps de comprendre la situation de chacun ; les raisons des silences, incompréhensions, malaises… Bref, comprendre sans juger.
Une soudaine leçon de lucidité pour la jeune sotte et insouciante qu’on incarne au fond.


Mais non. Finalement on n’a pas eu ça.
On a eu un dernier twist visant à nous rassurer. Une fin heureuse.
Donc au final pourquoi je me suis baladée pendant trois heures ?
Pour découvrir que ma sœur était partie avec son amour de lycée.
D’accord. Cool.
Du coup moi quand je vois ça, en tant que joueur plongé dans mon personnage, je me dis : « Ah OK. J’ai psychoté pour rien. Au final tout va bien. »
Et elle est assez terrible cette impression de « j’ai psychoté pour rien ».
Parce que d’une manière assez inconsciente, chez moi, ça s’est traduit, par : « toutes ces recherches et ces questions pour rien. » Si je m’étais posée devant la télé au lieu de me prendre le chou, la situation au fond aurait été la même au final. Alors que si on nous avait refilé une sœur morte dans le grenier, mon rapport à ma partie aurait été différent. Il y aurait eu ce sentiment de « si seulement j’avais compris plus tôt. »
Pour moi ça aurait été clairement bien plus impactant.


Donc oui, j’ai beau reconnaitre les mérites de ce « Gone Home » – surtout pour son époque – le fait est qu’au final, j’en garde une expérience de jeu des plus mitigées.
Trois heures aux mécaniques narratives assez redondantes, dont l’intérêt s’est chez moi progressivement dilué, et tout cela pour se conclure sur une révélation qui fait pschitt.
Chez moi, ça n’arrive pas à se traduire dans mon esprit comme un bon moment de jeu vidéo.
Du coup, c’est presque lâchement que je ne tranche pas avec cette note de 5/10.
Ni un bon ni un mauvais moment de jeu vidéo.
Et surtout cette impression que, même si je ne regrette pas d’y avoir joué pour le côté « histoire du média », d’un autre je me dis que je n’aurais rien perdu à passer mon chemin.
En somme – et je pense que vous l’aurez compris – « Gone home » marquera peut-être l’histoire du jeu vidéo, mais il ne marquera certainement pas mon esprit…

Créée

le 8 janv. 2020

Critique lue 153 fois

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