Délicieusement mystérieux, baroque, gothique et mélancolique

J'ai été très attiré par ce jeu depuis sa sortie mais vous savez comme c'est... On achète d'autres jeux, on oublie et un jour on passe enfin à la caisse. En l'occurrence, j'ai acquis la très jolie édition collector PC (sortie uniquement en Allemagne) du jeu pour 17 euros et franchement j'aurais pu mettre 50 euros sur la table pour ce jeu.

Mystères à Oxford

L'intrigue de Gray Matter se déroule en 2002 à Oxford. Sam, une magicienne de rue, se rendait à Londres quand elle fut victime d'un accident avec sa moto, juste devant le manoir du Dr Styles, un célèbre neurobiologiste pratiquant ses expériences à domicile depuis la mort de sa femme. Ne sachant pas où elle se trouvait et plutôt à sec au niveau financier, Sam sauta sur l'opportunité qui s'offrait à elle et se fit passer pour l'étudiante qu'attendait le Docteur Styles et qui devait lui servir d'assistante. Bien sûr, même si elle comptait partir le plus vite possible pour ne pas voir sa couverture percée à jour, elle se vit embarquée dans une enquête sur des phénomènes inexpliqués apparus à Oxford ainsi que dans le mystère d'un club de magie secret : le Daedalus Club.

Je ne vais pas aller plus loin pour ne pas dévoiler outre-mesure les éléments du scénario de Gray Matter mais j'ajouterai que celle-ci oscille autour de la frontière entre le rationnel et l'ésotérique, cette hésitation étant le fait des explications divergentes retenues par les deux personnages jouables. Le premier, le rationnel, nous conduira dans une enquête classique avec recherches de preuves, interrogatoires, etc. Le second, lui, explorera les facettes inexplorées du cerveau humain au cours d'une quête plus nostalgique, mystique et mémorielle. Cette dualité permet à la fois de diversifier l'aventure et est au cœur du suspense puisque le joueur hésite constamment lui aussi; de plus, la faible amplitude variation sur cette frontière entre le rêve et la réalité nous empêche de prendre définitivement parti pour l'autre. A ce propos, la narration est assez bien gérée pour ne pas avoir de révélation avant la toute fin (même si certains faits étaient troublants).

Quant l'atmosphère du jeu, je ne peux que féliciter la créatrice pour son énorme travail. On retrouve en effet dans le jeu la particularité des paysages anglais avec leur nuages et leur brouillard nostalgique, leurs édifices séculaires ainsi que leur aura de mystère. Les lieux visités sont d'ailleurs très variés, entre les laboratoires d'allure baroque et les parcs magnifiques aux accents romantiques en passant par les manoirs gothiques, le joueur est servi. En plus, le travail graphique est complètement dans la continuité des thèmes abordés par le jeu comme celui des anges déchus, de la magie, la société occulte, de la mélancolie, des manoirs et de ses fantômes, etc. La musique également, simplement MAGNIFIQUE complète cette symphonie sensorielle.
De plus, sans révéler le scénario, le dernier lieu du jeu s'avère mémorable et étonnante, atteignant le paroxysme du symbolique et du baroque (rappelant un peu Bioshock) tout en rappelant toutes les évocations mythologiques et littéraires du titre.

Mais que serait un point-and-click de ce genre sans sa documentation, sans son écriture, sans ses références ? Gray Matter l'a compris et nous offre un large éventail d'informations dont la quantité est finement dosée (beaucoup de jeux nous noient sous de l'information sans aucune pertinence avec le scénario) et l'écriture e qualité. En plus des éléments proprement liés à l'histoire, on retrouve des articles scientifiques qui ont une allure crédible ainsi que de nombreuses références aux écrivains, aux magiciens et aux légendes d'Oxford puis à la mythologie. Cette paperasse est d'ailleurs très bien exploitée dans le jeu par les énigmes et le symbolisme graphique.

Un pont and click entre tradition et modernité

Concernant la progression, je dois dire qu'elle est plutôt linéaire; je sais d'ailleurs que cette caractéristique peut diviser les amateurs d'énigmes et de longues recherches et les amateurs d'histoires fluides sans trop de prise de tête. Ainsi, le jeu n'est pas très vaste et les énigmes peu relevées ( à l'exception de l'EXCEPTIONELLE grande énigme de fin) . D'ailleurs, seules les énigmes du Daedalus Club fournissent un petit challenge, l'autre partie étant plus narrative. En définitive, le jeu est à mi-chemin entre un Dreamfall (quasiment complètement narratif avec presque pas d'énigmes) et un point and click traditionnel; chacun verra ce qu'il attend, pour ma part, je n'apprécie pas de chercher des heures des hit boxes.
D'ailleurs, si les énigmes ne sont pas nombreuses, leur résolution s'avère toujours logique si l'on écoute bien les dialogues (qui ne nous dit pas par contre précisément quoi faire, heureusement). Cette qualité assez rare dans le genre est bien entendu un des gros points forts du jeu : il n'y a rien de plus détestable que de résoudre des énigmes sans queue ni tête, n'ayant rien à voir avec le scénario ou le background. On est également jamais bloqué par la nécessité de faire une tâche dans un certain ordre alors que ce n'est pas justifié (je pense à l'Œil Noir que je suis en train de faire et qui a côté est loin d'avoir cette qualité).
Enfin, les tâches du jeu s'avèrent assez variées dans leur forme : manipulation d'objets, recherche sur ordinateur, analyse d'IRM, discussions, etc. L'originalité du titre se situe d'ailleurs dans les tours de magie que peut réaliser le personnage principal. Au début du jeu, on dispose d'un livre de magies. Dans certaine situations, on devra les exécuter (au travers d'une interface spéciale ou de mini-jeux) pour réussir des tâches (par exemple subtiliser un objet à quelqu'un).

Au niveau des commodités, l'interface est plutôt agréable (le confort des P&C modernes est quand même appréciables) et on peut faire apparaître les zones cliquables même si cela peut ruiner quelques rares énigmes à mon sens. Des jauges de progression (dont une bonus) montrent l'avancée dans les différentes petites enquêtes propres à chaque chapitre.
Toujours à propos de l'exécution, la qualité d'écriture se révèle de haut niveau, on voit que la réalisatrice est écrivain.

La voix des anges

Dernier point fort du jeu, sans doute le plus appréciable après coup, est l'étonnant souci du détail porté au jeu qui de prime abord, pendant presque toute l'aventure, semblait un peu ne mener à pas grand chose. Le final magistral, bourré de symbolisme et toujours très subtil fait remonter des interrogations, des détails qu'on avait vus sans que l'on s'interroge sur eux. Bien entendu, je ne peux rien révéler, il faut y jouer pour s'en rendre compte.

On en redemanderait bien...

En définitive, que pourrais-je reprocher à Gray Matter ?
Une histoire courte (je l'ai fini en 9 heures en ayant regardé une fois une soluce pour quelque chose que j'avais mal lu, même pas pour l'énigme finale; en général j'ai plutôt lu 12 heures mais bon moi j'ai tout regardé et même écouté les dialogues en entier); on reste un peu sur sa faim malgré tout, on sent qu'on aurait pu rajouter quelques heures.
Les joueurs qui considèrent que le P&C doit avoir beaucoup d'énigmes se sentiront peut-être un peu lésés : le jeu est très guidé et les énigmes peu nombreuses malgré celle de fin. Pour moi, le dosage est parfait avec un bon équilibre entre fluidité de la narration et recherche.

Pour conclure, Gray Matter s'avère être un point and click à la frontière du old-school et du moderne, entre la tradition des énigmes et la fluidité de la narration. Porté par une direction artistique de très haute volée, toujours très subtile, bien documentée et puissante, Gray Matter nous embarque dans une histoire aux accents gothiques, baroques voire romantiques, articulant habilement son histoire entre le réalisme et l'ésotérisme. Son final proprement grandiose, aussi bien du point de vue artistique que ludique (grâce à son énigmes de très haute qualité), permet de faire remonter à la surface tous les petits détails subtils du jeu, nourrissant les interrogations du joueur simplement charmé. Dommage en définitive que le jeu soit si court, on reste légèrement sur sa faim.
Foulcher
8
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le 28 juil. 2013

Critique lue 707 fois

2 j'aime

Foulcher

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