Descente aux enfers

Une réécriture du mythe d'Orphée, vécue à travers les yeux d'une guerrière Picte souffrant de psychose et cherchant à sauver l'âme de son compagnon, prisonnier d'Helheim après avoir subit l'aigle de sang aux mains des vikings.
On m'aurait demandé de faire le pitch de mes rêves pour un jeu vidéo que je n'aurais pas trouvé mieux.

Looping dans l'Agence Tous Risques, l'engagé Baleine dans Full Metal Jacket, Jack Torrance dans Shining, HAL 9000 dans 2001 L'odyssée de l'espace, l'Épouvantail dans Batman, le Père Grégory dans Half-Life², Mickey & Mallory dans Natural Born Killer, Alma dans F.E.A.R, Rorschach dans Watchmen, Floki dans Vikings Docteur Folamour, V pour Vendetta et surtout, surtout, les nouvelles d'Howard Philip Lovecraft, etc...
Je ne sais pas pourquoi mais grosse partie des récits et personnages que j'adore sont liés à la thématique de la folie.
Et j'ai une fascination sans bornes pour la culture des vikings depuis une bonne décennie

Autant dire que lorsqu'un studio annonce vouloir traiter de la maladie mentale a travers un jeu vidéo, il peut être sûr que je vais lui balancer mon porte-monnaie à la gueule. Ajoutez à cela le cadre de la mythologie scandinave et j'irais moi-même vous enfoncer mon fric en travers de la gorge.

Donc pour faire simple : n'attendez pas la moindre once d'objectivité de la part de cette critique.

Développé par Ninja Theory en collaboration avec des historiens, des psychiatres et des personnes atteintes de différentes formes psychose, Hellblade nous raconte donc l'histoire de Senua, une jeune Picte en proie aux hallucinations et qui entends des voix. Terrifiée par les superstitions de l'époque et craignant que sa pathologie ne nuise à son entourage, elle fait le choix de partir en exil dans l'espoir de vaincre ses propres démons. Lorsqu'elle se décide à revenir, ce n'est que pour pour constater impuissante au massacre dont son village a fait l'objet. Son bien-aimée Dillion est mort atrocement aux mains des vikings, qui ont offert son âme à Hela en sacrifice. Afin qu'il puisse reposer en paix, Senua décide de partir au royaume des morts pour l'arracher des mains de la déesse au corps semi-putréfié.

C'est dans ce contexte pour le moins joyeux que commence notre descente aux enfers dans l'esprit torturé de Senua. À l'image d'Orphée qui parti chercher sa bien aimée Eurydice dans le royaume des morts de la mythologie Grecque, Senua s'enfonce dans l'enfer scandinave. Mais là où Orphée endormit le molosse Cerbère avec sa musique et persuada Hadès grâce à son talent; c'est bien avec sa lame que Senua devra affronter le loup Fenrir et les entités qui se dressent entre elle et Hel.

Bénéficiant d'une mise en scène époustouflante et d'une bande-son hors du commun, Hellblade rivalise d'originalité pour plonger le joueur au cœur de la folie. Les développeurs ont conçu un nouveau système de motion-capture permettant une fluidité impressionnante des animations et en particulier des expressions du visage où les émotions se lisent comme dans un livre ouvert.

Les hallucinations sont abordées sur le plan visuel par des énigmes conçues d'après les témoignages de patients qui entrevoient des patterns autour d'eux comme autant de pièces d'un puzzle dont le sens leur échappe. Et tel le commun des mortels qui s'amuse parfois à chercher des motifs dans les nuages, ces patients et notre personnage perçoivent des images et des motifs dans le paysage qui les entoure. Ici représentés sous la forme de runes, ces motifs obsédants permettront au joueur de progresser dans l'aventure en observant autour de lui.
Les voix intérieures sont également une très grosse part du récit, rendues brillamment réalistes par un micro spécial permettant une localisation en 3D du son. On a réellement le sentiment d'entendre quelqu'un nous chuchoter à l'oreille, tantôt à droite, tantôt à gauche, parfois un cri au loin ou un murmure dans notre dos. Ce jeu est donc à faire impérativement avec un casque sur les oreilles. Ce n'est pas un conseil pour améliorer l'expérience, c'est un impératif pour en profiter correctement.
D'autant que le jeu nous privera parfois de nos autres sens pour obliger le joueur à s'orienter au son d'une voix ou via les vibrations de la manette. Hellblade se veut sensoriel et émotionnel autant que faire se peut.
Notre voyage est également parsemé de stèles runique renfermant les mythes et légendes de la culture scandinave. Enrichissant encore davantage la narration audio déjà très riche avec des pans entiers de cette culture orale fascinante.

Viennent ensuite les combats, qu'il vaut mieux régler en difficile dans les options, et dont la nature dynamique est renforcée par la tension du game over définitif. Notre premier décès annonce en effet la couleur avec l'apparition d'une marque putride sur le bras droit de Senua, dont la surface progressera à chaque décès jusqu'à atteindre le visage de notre héroïne, ce qui marquera alors la fin de l'aventure. Le nombre de décès impliquant la défaite définitive n'est pas énoncé mais je recommande fortement à tout joueur de ne pas chercher ce renseignement sur internet afin de garder la tension au maximum, et de renforcer l'immersion via l'incertitude constante qui plane sur les personnes atteintes de psychose. Le rendu visuel sur le bras de Senua sera de toute façon aussi efficace que n'importe quel HUD pour vous donner une idée.
Sans être les plus riches que j'ai pu croiser en jeux-vidéo, ces affrontements possèdent un certain dynamisme et procurent surtout d’impressionnantes poussées d'adrénaline liées à cette peur de l'échec. Les mécaniques sont très simples : une attaque rapide, une attaque puissante, une attaque pour déséquilibrer l'adversaire et une variante de chaque couplée avec le sprint pour en accentuer l'efficacité. L'usage de la parade et de l'esquive seront également très importants puisqu'en plus de vous épargner une lame rouillée en travers du cou jusqu'au entrailles, ils vous permettront aussi de prendre l'avantage si vous faites preuve du bon timing.
Le nombre de combos et de variables n'est donc pas si important mais la difficulté ne reposera pas tant sur le choix de l'attaque que sur le timing et surtout le positionnement du joueur. Savoir choisir sa cible avec soin pour ne pas se retrouver submergé d’adversaires sera la principal défi des phases d'actions. Car même si les voix dans la tête de Senua la préviendront parfois à la dernière minute d'attaques par derrière, elles tenteront aussi de brouiller son esprit en attaquant son estime de soi et sa raison d'être.

Hellblade : Senua's Sacrifice est donc un jeu expérimental visant à nous donner un aperçu de ce que vivent les personnes atteintes de psychoses via un gameplay original mais qui pourra rebuter certains. Les longues phases d'exploration contemplatives ne plairont pas à tout le monde et certains aspects pourront sembler répétitifs aux joueurs les moins réceptifs à l'objectif des développeurs. Mais pour ceux qui sont prêts à en faire l'expérience, ce jeu procurera une immersion peu commune et un gameplay riche en tension.